Parc national de Taï: Odyssée au cœur du royaume des chimpanzés

Parc national de Taï: Odyssée au cœur du royaume des chimpanzés

Le Parc national de Taï (Pnt) est divisé en cinq secteurs (AVK D6, Soubré, Taï, Djouroutou et Djapahé) regroupés dans la direction Sud-ouest. C'est dans le secteur de Djouroutou que nous établissons notre base, plus précisément à l'écohôtel ''Touraco'', situé dans le Pnt. Un complexe hôtelier de 10 bungalows, perché sur une plate-forme verdoyante avec une belle vue sur la forêt primaire. 17h30 mn, Sara et Ghislain de Canal+, Izy de Drone Studio et moi, l’équipe de reportage, tous habillés de bottes et de chasubles marines, sommes prêts pour la remontée de la rivière Hana, à la rencontre des chimpanzés. Nous sommes accompagnés par deux écoguides: Apayou Hino Jacques et Tiekoura Hyacinthe ainsi que le pilote de la navette, Wah Noma Landry.

Notre trajectoire : 2h 00 de navigation jusqu’au point d’entrée de la forêt en direction du ‘’Camp chimpanzé’’ situé en plein cœur des 25 Km2 que constitue le territoire des chimpanzés de Djouroutou. La remontée de la rivière, 2Km environ, est calme mais parsemée d’embûches. Les eaux ont baissé, des troncs d’arbres jonchent le fond de la rivière. Le moteur de la navette bute sur un tronc d’arbre, elle tangue dangereusement puis le moteur s’arrête. Le pilote maîtrise sa barque. On peut repartir. L’inquiétude se lit sur nos visages. Les guides nous rassurent.

La navette serpente entre les obstacles jusqu’à un plus important : un gros arbre couché sur toute la largeur de la rivière. Nous allons devoir descendre pour contourner l’obstacle. La navette accoste. Le guide, Jacques, nous ouvre un chemin improvisé dans la forêt. Le second, Hyacinthe, reste avec Landry, le pilote. Il prend position sur le tronc de l'arbre. Nous parvenons à surmonter l’obstacle. À présent, on se demande ce qu’il en sera pour la navette. Usant d’ingéniosité et d'audace, le pilote fait sa manœuvre. Le moteur gronde et la navette s’élance.

En approche de l’arbre, il pèse de son poids sur l’arrière et accélère. L'avant de la barque se lève et surplombe le tronc. Landry coupe le moteur et la navette s’arrête net à moitié sur le tronc. Le but de la manœuvre, protéger le moteur qui ne pourrait pas passer. Hyacinthe bondit alors à l'avant de la navette. Son poids fait piquer l’avant du nez. Le mouvement soulève le moteur qui passe. Le flash de l'appareil photo de Izy crépite sans arrêt. La caméra de Ghislain tourne. Il faut immortaliser ce grand moment. « Bravo, c’est génial, hourra !», crie de joie Sara. Nos commentaires et félicitations à l’endroit de nos héros vont bon train pendant que nous poursuivons notre progression. Il fait complètement nuit.

À l'aide de lampes torches, nos guides éclairent le chemin du pilote. Soudain, deux points rouges éclairés par le faisceau des lumières apparaissent à la surface de l’eau. Puis disparaissent immédiatement. « Ce sont les yeux d’un crocodile. Tout comme les reptiles et autres animaux aquatiques de la rivière, il a été effrayé par le bruit du moteur. Mais rassurez-vous, ils n’attaquent jamais ici ». Ces propos de Jacques, loin de nous rassurer, en rajoutent plutôt à notre peur. Dans le silence de nos voix et de la nuit noire, nous poursuivons notre route jusqu’à notre point de débarquement. Il est 19h30 mn. Il nous reste encore 2h00 de marche à travers la forêt pour atteindre le ‘’Camp chimpanzés’’ situé à 2Km de notre position.

Pénible marche vers le campement chimpanzé’’

La route reprend. Encore plus pénible. Mais exaltante pour les aventuriers et les amoureux de sensations fortes. Avant de démarrer, le guide donne le premier conseil d’usage. « Pour ce qui est de l'hygiène, lorsque vous voulez vous soulager, faites-le au pied d'un arbre, que vous recouvrez ensuite avec des feuilles mortes. De sorte à ne pas contaminer les animaux ».

Pour détendre un peu l’atmosphère, j’ironise « Mon cher, j’ai déjà uriné sur moi dans le bateau. Ce n’est pas dans cette forêt dangereuse et noire-là que je vais avoir envie de faire quoi que ce soit ». Et mes confrères de reprendre en chœur « en tout cas », une façon pour eux d’approuver  ma pensée. En tête de file, Jacques. Il guide la marche. Hyacinthe et Landry nous couvrent en arrière. La progression est sinueuse et difficile à travers les layons de la forêt.

L'atmosphère est enveloppée par nos souffles entrecoupés par la fatigue, les cris d’animaux et d’insectes en tous genres. Nos pas, alourdis par nos bottes aux pieds, trébuchent sur des troncs d’arbres et autres obstacles qui parsèment le chemin. Mais il faut avancer. Après deux heures de marche, nous sommes enfin à l’entrée du ‘’campement des chimpanzés’’. Nous trempons nos bottes dans de l’eau stérilisée. Histoire de ne pas contaminer le site du campement.

Nous sommes accueillis par les Sergents Franck Sehi Bi et Kobenan Kossonou, les deux agents de l'Office ivoirien des parcs et réserves (Oipr), commis à notre sécurité. Eux ont rallié le Camp à pied, stratégie sécuritaire oblige. Partis de l'écohôtel au moment où nous embarquions, ils sont arrivés 2h00 avant nous. À leurs côtés, deux autres Ecoguides : Tata Roger et Hino Kevin. Eux sont de garde. Après les civilités d'usage et un repas, nous sommes conduit à nos ‘’appartements’’. Avant un moment d’échanges avec nos hôtes.

La vie des chimpanzés contée autour d’un feu de bois

Le ‘’Campement chimpanzé’’, encerclé par la forêt, est constitué de trois tentes et deux bungalows bâtis à hauteur d'un mètre du sol, contenant un grand lit pour l’un, et pour l’autre, deux lits, protégés par des moustiquaires. Un hangar fait office de cuisine, passablement éclairé par une ampoule alimenté par une petite plaque solaire. Le reste du campement baigne dans le noir. C’est autour d’un feu de bois que guides et agents de lOipr nous apprennent un peu plus sur leurs missions et la vie des chimpanzés.

Nous retenons que leur mission consiste à faire l’habituation (une technique pour amener les chimpanzés à s’habituer et à tolérer la présence humaine). Ils les pistent, les observent toute la journée et regagnent le camp à 18H00, lorsque les chimpanzés regagnent leur nid pour la nuit, pour revenir très tôt le lendemain matin à 6H00 au moment où les chimpanzés descendent de leur nid. « Nous les amenons à comprendre que les hommes ne sont pas une menace pour eux et ainsi tolérer leur présence dans leur habitacle naturel », confie Tiémoko Hyacinthe.

Six guides et deux agents Oipr, en équipe de deux, se relaient chaque semaine pour l’habituation. Une journée dans la colonie des 50 chimpanzés déjà ‘’habitualisés’’ se déroule paisiblement. L’essentiel de leurs activités se résume en la nourriture et le repos. Ils passent toute la journée à se nourrir de fruits, se reposer, jouer, casser des noix, grimper aux arbres jusque la nuit tombée où ils regagnent leur nid. « Ils ont aussi des périodes de grandes chasses. Ils s'attaquent aux singes rouges (les babus) et aux blanc et noir (les colopes) », ajoute Kevin. Leur technique est très intelligente.

Les jeunes mâles grimpent à l’arbre pendant que les gros prennent position autour. Ils émettent de grand cries tout en secouant les branches de l'arbre pour effrayer les singes qui s’y sont réfugiés. Lorsque l'un d’entre eux tombe, il est rattrapé, puis tué à l'aide de bois morts ou d'autres objets. Le groupe se partage la viande. Après le repas, ils restent toute la journée dans le même rayon et y passent la nuit. Des histoires racontées par les guides sur les chimpanzés, celle des funérailles révèle davantage l’humanité des chimpanzés.

« Lorsque l’un d’eux vient à mourir, le mal dominant le palpe. Il pose même les doigts au nez à la recherche d’une respiration. Quand il se rend compte du décès, il pousse un grand cri de détresse avec les mains posées sur la tête. Avant de quitter le corps, il dépose sur le cadavre, une feuille ou une branche ou un fruit. Ce même rituel est fait par tous les membres du clan présents jusqu’à ce que le corps soit totalement recouvert. C’est vraiment émouvant », relate avec beaucoup d’émotion Jacques. Qui poursuit par le mode de communication des chimpanzés.

Il explique qu’ils utilisent la technique de la percussion pour communiquer entre eux. Lorsqu'ils se déplacent, ils donnent des coups sur les contreforts des arbres. Ces coups qui sonnent comme des tambours annoncent un déplacement. « Ces sons nous permettre de les localiser et suivre leur déplacement. Avant votre arrivée d’ailleurs, sur le coup de 13H00, nous avons entendus les tambours qui annonçaient le déplacement de la meute en direction de l’autre côté du parc. Ils ont donc traversé la rivière. Nous espérons qu’ils seront de retour demain pour vous permettre de les observer », explique Jacques.

C’est émerveillés par ces belles histoires de chimpanzés que nous nous sommes retirés pour un sommeil réparateur, dans l’espoir d’attendre les tambours sonner le lendemain pour aller à la rencontre des chimpanzés. Comme un collégien qui attend impatiemment son premier rendez-vous amoureux, j’ai le sommeil léger, guettant tous les bruits alentours jusqu’au petit matin à 6H00.

Des singes excités aux sommets de grands arbres qui ceinturent le campement semblent nous souhaiter la bienvenue en attendant notre rencontre avec la colonie de chimpanzés. 7H30 mn, les écoguides et les agents de l’Oipr sont de retour de leurs points d’observations qu’ils ont rejoint depuis 5H00 du matin. Hélas, jusque-là, ils n’ont pas entendus tonner les tambours. Signe que les chimpanzés ne seront pas de retour ce jour. Il est à présent 9H00 et point de signe.

Rendez-vous manqué mais que d’émotions !

Déçus du rendez-vous manqué mais tout de même comblé par les grands moments d’émotions que nous avons vécus, jusque-là, nous devons regagner l’Ecotel ‘’Touraco’’. Notre marche, cette fois de jour, à travers la forêt dense, nous fait goûter aux plaisirs de l’écotourisme sous la houlette de nos écoguides. Les termitières noires, soumises au feu, dégagent une fumée qui protège les chimpanzés et même les hommes contre les moustiques. Des plantes prisées par les chimpanzés, notamment la Maxilaria accumulata, l’Irvingia gabonensis, dont les racines, les écorces, voire les feuilles, sont utilisées en infusion, servent à soigner certaines maladies chez les hommes.

Les arbres à contreforts aux racines développées (Niangon, Dagbeman, Terminalia), les tambours de communication des chimpanzés. Les ateliers de cassage de noix de Panda des chimpanzés. Le Futus étrangleur, une sorte de liane qui s’entoure aux troncs des arbres et les tuent. Le Massularia acuminata, un arbre dont les fruits, l’écorce et les racines constituent un puissant aphrodisiaque pour les animaux et même pour les hommes…Et oui, La forêt primaire, à la fois sauvage, dangereuse, généreuse et protectrice nous laisse découvrir, l’immensité de sa biodiversité jusqu’au point d’embarquement pour descendre la rivière.

Différentes espèces de Calao notamment le Toukan, le Souffleur, le pygmée, l’Ibis, le longibande. Sans oublier les canards d’eau et les martins-pêcheurs sont observés tout au long de notre parcours. Il et 13H00 lorsque nous accostons à l’Ecotel Touraco. Après une bonne douche, nous prenons un bon repas avant notre retour à San-Pedro. Pendant le déjeuner, j’ai une pensée pour ces vaillants et courageux agents de l’Oipr et écoguides qui, nuit et jour, au péril de leur vie, œuvrent pour la préservation de ce trésor national à nul autre pareil. Mais, il leur faut des moyens et de la motivation.

Revalorisation des salaires, acquisition de matériel de communication et de protection, mise en place d’une unité de soin à l’Ecohôtel et au campement sont entre autres préoccupations que j’ai soumises au responsable du ‘’Touraco’’. « Cela fait exactement 6 mois que nous avons pris la gestion de l’Ecohôtel et du Camp chimpanzé. Nous avons de grands projets pour nos agents et tous les touristes qui viendront nous visiter. Je veux rassurer nos écoguides que, bientôt, de grandes actions seront menées à leur endroit pour la bonne marche de leur travail », rassure Karl Diakité, le responsable de ‘’Taï Lodge’’, la nouvelle structure en charge de l’écohôtel dont dépendent les écoguides.

Nous voudrions aussi dire un grand merci au Cen Epokou Yapi Nazaire, Commandant du Groupement tactique inter-armée 2 (Gtia 2) de Grabo, son second, le Cdt Hié Charles, l’Adjudant-chef Soro Salifou, la brigade de gendarmerie de Tabou et de Grabo, qui, respectivement ont remorqué et dépanné notre véhicule en panne d’abord  jusqu’au Gtia 2, puis assurer l’escorte de sécurité jusqu’à Tabou, avant de passer le relais à la gendarmerie de Tabou et celle de la gendarmerie de Grand-Bereby qui nous a escortés jusqu’à San-Pedro. C’est à 2h30mn du matin que nous avons regagné nos chambres d’hôtel pour un repos bien mérité. L’esprit chargé de souvenirs et d’émotions.

SERGES N’GUESSANT