Orphelinat de garçons de Bingerville: 209 enfants en quête d’amour

Orphelinat de garçons de Bingerville: 209 enfants en quête d’amour

Orphelinat de garçons de Bingerville: 209 enfants en quête d’amour

C’est un havre loin du tumulte des grandes agglomérations et des vicissitudes de la vie.  Dans la banlieue abidjanaise, l’orphelinat de Bingerville offre  un nouveau port d’attache aux petits  garçons  dont l’existence a été malencontreusement bouleversée. Mais bien plus qu’un espace, cet orphelinat se veut une famille. Ainsi,  tout homme qui franchit les portes de l’institution  devient un «papa» et toute  femme, une «maman». Papa directeur, Marcel Légré et ses collaborateurs ne sont donc pas de simples travailleurs sociaux, mais souvent les principaux repères pour leurs 209 pensionnaires. 209 enfants avec chacun une  histoire et un chemin de vie à tracer ou à retracer. Et pour la plupart, l’histoire commence mal. Des faits tragiques que ces frêles silhouettes  doivent avoir la force de transcender. Patience, amour sont donc les maîtres mots pour les 110 travailleurs de l’institution qui doivent donner à leurs protégés des raisons de croire en la vie.

Au nombre des pensionnaires sans famille, il y a le petit Jonas*, retrouvé dans une forêt à Guiglo dans l’ouest du pays. L’enfant y aurait passé deux semaines. En nous le présentant, Stéphane Bolou, notre guide,  maître d’éducation spécialisée, se demande toujours par quel miracle ce petit garçon fragile a survécu dans cet environnement sauvage. « L’enfant présente des troubles du langage. Lorsqu’il arrivait ici, il ne disait aucun mot. Aujourd’hui, il a fait quelques progrès. Il peut  émettre des sons. Nous continuons la prise en charge », indique-t-il.

Marc Florent, lui, a été retrouvé dans une poubelle au marché gouro de la gare Utb de Yopougon. Il avait été abandonné là parce que  la femme qui lui a donné la vie n’en voulait pas. Pour elle, il n’était qu’un «enfant serpent».

Avec eux, il y a aussi ces deux frères qui sont restés toute une journée auprès des corps de leurs parents qu’ils croyaient simplement endormis. Et cet autre devenu orphelin parce qu’un soir, en rentrant du travail, son père a rencontré sur le chemin un malade mental qui l’a découpé à la machette.  Et puis encore cet autre dont l’innocence servait de couverture pour un commerce de stupéfiants exercé par la mère. C’est le petit garçon qui livrait la marchandise. On pourrait multiplier les portraits où les couleurs sont plus sombres que claires. Pour tous ceux-là, l’orphelinat est un refuge.

Aujourd’hui, derrière les sourires et l’insouciance, ces enfants que le destin a marqués ont retrouvé une existence presque normale. «L’enfant serpent» ne rampe pas. C’est un gamin d’une dizaine d’années qui se déplace sans aucune aide. Avec nous, il partage son rêve et ses goûts musicaux  avec un grand sourire.  Et quand, de sa voix chaude, il imite son artiste préféré,  ces notes dans les cœurs  soulignent toute l’absurdité de certaines de nos croyances. « Il a été le major de sa classe pendant trois années successives », nous apprend-on.  Cet enfant  qui clame son appartenance à une église bien connue regarde l’avenir avec sérénité. Son rêve, il est déterminé à le réaliser, « si Dieu le veut », nous dit-il toujours avec le même grand sourire.  Un autre futur semble possible. Et les premiers pas semblent prometteurs.

Pour raconter l’histoire de cet orphelinat, il faut remonter aux années 1900. En effet, à partir de 1910, le gouverneur  Gabriel Angoulvant est confronté «aux preuves vivantes visibles»   des rapports extraconjugaux des colons qui ne résistent pas aux charmes des femmes ‘’indigènes’’. Un foyer est créé  à Ouagadougou pour accueillir tous ces métis de l’Afrique occidentale française.  En 1934, après le transfert de la capitale à Abidjan, le responsable de l’éducation demande et obtient le transfert du foyer des métis de Ouaga à l’ancien palais du gouverneur sur un site de plus de 4 hectares. Les premiers pensionnaires arrivent en 1935. Mais l’institution  ouvre officiellement ses portes en 1939.

Ensuite l’institution va accueillir les orphelins des anciens combattants tombés au front pour la France afin de leur donner une éducation  en reconnaissance du sacrifice de leurs pères. C’est ainsi qu’en novembre 1953, le foyer des métis devient l’orphelinat national de Côte d’Ivoire.

Mais en 1972, l’Etat est obligé de créer l’orphelinat des filles de Grand-Bassam pour mettre fin à la proximité  entre les pensionnaires  filles et garçons dont résultaient de nombreuses grossesses. Et depuis, l’orphelinat de Bingerville est le domaine réservé aux «jeunes messieurs».

 

Le jeudi 23 juin, nous sommes accueillis par un vacarme. « Ils sortent d’une séance de projection de films (Tarzan et Mowgli, ndlr) et on leur a accordé quelques minutes pour se défouler», nous explique en souriant Maman Any Denise, la responsable du service social. Après cette récréation, ils s’éparpillent, colorant la cour de leurs tenues jaune violet,  bleu, orange, rouge… Si l’uniforme sert à les repérer par niveau d’études, il permet surtout d’annihiler les frustrations entre enfants parrainés et non parrainés, relève notre guide. Dans cet orphelinat, les pensionnaires  sont prioritairement des orphelins complets, c’est-à-dire des enfants dont les deux parents sont décédés. Mais il y a également des orphelins partiels, des enfants des pouponnières qui n’ont pas été adoptés jusqu’à l’âge de 5 ans  et des enfants qui, bien qu’ayant leurs deux parents en vie,  sont dans des conditions d’existence difficiles. Et pour eux, l’orphelinat  est l’unique chance  de dompter un destin implacable.

 Avec ses espaces verts bien entretenus, il y règne un air de tranquillité où il doit faire bon vivre. Des dortoirs aux petits lits  propres et bien dressés aux salles de classe studieuses en passant par le réfectoire décoré de dessins appétissants, l’orphelinat de Bingerville, au-delà de la charge émotionnelle que suscite la condition des enfants, est un espace fort agréable.

Les garçons, sous la surveillance des éducateurs et des enseignants, apprennent à se construire grâce à un suivi scolaire efficace et des projets éducatifs (hygiène corporelle,  environnementale, l’art de se tenir à table, le savoir-vivre).  L’institution conduit  aussi des activités extra-scolaires comme l’élevage ou la culture hors-sol, un atelier de création…pour accroître les chances d’insertion professionnelle et l’autonomisation de ces enfants.

« Nous avons tous une obligation de résultats. L’accent, dans chaque activité, est mis sur le sens du partage et l’esprit d’équipe ». Et le personnel, pour atteindre cet objectif, sollicite le soutien de tous.

« On souhaiterait que les populations rendent visite à nos pensionnaires.  Nos enfants ont un énorme besoin de présence. L’amour que donne chaque homme, chaque femme qui nous rend visite fait énormément de bien à ces enfants», confie la responsable du service social.  «Ces visites permettent de montrer aux enfants qu’ils ne sont pas seuls. Ce n’est pas ce que nos visiteurs  nous apportent qui est important. L’essentiel est le moment qu’ils passent ici avec les enfants. Ces moments aident nos pensionnaires à se projeter dans l’avenir et à avoir des modèles. Beaucoup de nos enfants souhaitent épouser les professions de certains de nos visiteurs », renchérit Papa directeur.

 Le parrainage fait partie des mécanismes qui permettent à une personne physique ou morale d’apporter un peu de présence et chaleur à un ou plusieurs orphelins.

«Le parrainage est une aide qu’une personne apporte à un ou plusieurs enfants. Au-delà de l’aide matérielle que l’on estime à 56 000 FCfa …par enfant et par an, le parrainage est le témoignage de l’affection qu’on apporte à l’enfant parrainé en lui rendant visite »,  poursuit Any Denise.

« Le parrainage étant très important pour l’équilibre des enfants, il est proposé à nos différents visiteurs. Et ils sont nombreux à l’accepter », se réjouit-elle.

Et au nombre de ces visiteurs, il y a les anciens pensionnaires de la maison qui gardent toujours un lien avec l’institution.

 « Après l’association des métis, une association des enfants de l’orphelinat est en train d’être mise en place. Les anciens sont avec nous pour les grandes occasions comme la rentrée scolaire, Noël… Ils nous apportent une aide appréciable. Ils sont nombreux à parrainer les enfants, même des étudiants », confie la responsable du service social.

« Ces anciens ne renient pas ce passé. Pour certains, c’est avec fierté qu’ils retrouvent leur dortoir et racontent la vie dans cet internat. Leurs passages sont mis à profit pour donner des conseils à nos enfants. On peut sortir de l’orphelinat et devenir une personnalité », affirme Stéphane Bolou.

De grands hommes sont effectivement sortis de cette institution et ont contribué au développement du pays. C’est dire que pour les orphelins, rien n’est joué d’avance. Le souhait des éducateurs est que chacun d’entre nous puisse, par sa générosité, son amour et sa présence, offrir une chance à ces enfants de se construire un avenir qui tranche avec leur passé.

SETHOU BANHORO

*Tous les prénoms ont été changés

 


Une chance de vivre une vie d’enfant

Le bain, l’étude, les repas, les anniversaires … dans un orphelinat, ces choses se font ensemble. Certaines petites filles n’ont connu que cette vie de groupe. De la pouponnière  qui a vu leurs premiers pas dans la vie, elles ont été accueillies par  l’orphelinat de Grand-Bassam. Sans pouvoir expérimenter  le fait d’être simplement un enfant dans une famille ordinaire. Ici comme à Bingerville, les encadreurs plaident  pour que de nombreuses  familles  se rapprochent des orphelinats pour apporter  un peu de  chaleur et d’amour aux pensionnaires. Il s’agit de leur donner une chance de vivre leur vie d’enfant.

« Ce n’est pas facile d’être dans un orphelinat, de faire  et de voir toujours les mêmes choses », indique maman Aurélie Guidy, éducatrice spécialisée.

« Quand  nos enfants vont passer  les vacances dans des familles, elles en reviennent très heureuses. C’est important pour leur équilibre », ajoute-t-elle

« Et la directrice, Mme Ouattara Mahoua Marie Cécile, se bat pour trouver des parrains et des familles d’accueil pour ses filles », souligne le chef du service éducatif, Coulibaly Gnénéma.

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Ouverte en 1972, l’institution  a vu passer plusieurs générations de filles. Cette année, elle comptait 125 pensionnaires dont 24 candidates au Cepe et à l’entrée en 6e. « Nos filles ont bien travaillé. Le taux de réussite est de 100% », nous apprend fièrement un éducateur.

Cet orphelinat  dont l’espace est exigu, comparativement à celui de Bingerville,  a fait une cure de jouvence lors de la visite de la Première dame de Turquie, Emine Erdogan, en février. Il a fière allure avec ses murs fraîchement repeints. L’illustre hôte, accompagnée de la Première dame de Côte d’Ivoire, Dominique Ouattara, y a effectué une visite que les pensionnaires ne sont pas près d’oublier.  La Première dame de Turquie  a  réhabilité l’infirmerie, a offert une salle informatique, un groupe électrogène …, des actions très appréciées par les premiers responsables de l’orphelinat. Cette visite a été un moment très fort  aussi bien pour les pensionnaires que pour le personnel de l’encadrement.

« Si l’orphelinat de Bingerville, de par son ancienneté et sa proximité avec Abidjan, attire plus de visiteurs, ce n’est pas le cas de Grand-Bassam », déplorent certains travailleurs. L’institution est située dans les anciens locaux de la Compagnie française de Côte d’Ivoire. Et cet endroit, lit-on dans le document de présentation, avait été aménagé par la Croix-Rouge pour accueillir les jeunes Biafrais, lors de la guerre de sécession  (1966-1967). Ces derniers souhaitent que leur institution bénéficie du même élan de solidarité pour améliorer le quotidien et dessiner des lendemains meilleurs. « Nous soutenir, c’est aider à assurer à nos petites orphelines une protection contre l’exploitation, les violences, les abus et la maltraitance », peut-on lire sur un des prospectus.

Et sans trop de mots,  les besoins ont été  placardés sur le tableau d’affichage. Afin que les visiteurs qui le peuvent  apportent  leur soutien. L’institution reste confrontée à un problème d’éclairage, malgré le groupe électrogène. En plus du car de transport offert par la fondation Children of Africa, le personnel aimerait avoir un véhicule de liaison pour faciliter les déplacements. « Ce véhicule pourrait servir d’ambulance en cas d’urgence  la nuit», explique  le chef du service éducatif.

Ici comme à Bingerville, l’après Cm2 reste une préoccupation majeure. A leur sortie de l’orphelinat, si les filles sont livrées à elles-mêmes, elles peuvent emprunter des chemins tortueux. C’est pourquoi, en plus des études, les responsables aimeraient leur donner une formation professionnelle. Elles apprennent la couture, la broderie, la pâtisserie… Aujourd’hui, les éducateurs souhaitent avoir le matériel nécessaire  pour leur apprendre la coiffure. Des savoir-faire qui, espèrent-ils, pourraient les aider à faire face à leurs besoins. Leur permettant de dire non à certaines tentations.

S.B.

 

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Besoin d’amour

Bains en groupe, anniversaires en groupe, repas en groupe, études en groupe, promenades en groupe. A Bingerville comme à Bassam, tout se conjugue au pluriel. Il y a comme une mise en sourdine des individualités,  des « je » qui doivent se dire « nous » parce que les cœurs et bras des Papas et Mamans des orphelinats ne suffisent jamais. Et pourtant, les parents en général connaissent la jalousie de l’enfant. Un sentiment cash, sans hypocrisie, qui montre qu’il veut l’exclusivité et être le centre de l’affection parentale. En Côte d’Ivoire, selon les régions, il y a même des rituels à faire pour guérir l’enfant de la jalousie qu’il ressent devant la petite sœur ou le petit frère qui vient, selon sa perception des choses, braconner sur son espace vital : le cœur  de ses parents. Oui, il arrive souvent que les enfants aient du mal à partager l’attention de leurs parents. Sur la palette des ressentis, ils peuvent passer  d’un état d’excitation ou de fierté à la jalousie, la tristesse ou au ressentiment. Parce qu’au fond de nous-mêmes, même adultes devenus, nous nous sentons valoriser lorsque l’on nous manifeste de l’amour de façon nominative : « Joyeux anniversaire Malika ! » ; « Viens prendre ton goûter Jean » ; « J’ai acheté ton doudou Akissi ». Qui n’a pas vécu cela comme une marque particulière d’attention à lui dédié exclusivement et qui n’a pas été aux anges pour cela ?

A Bingerville et à Bassam, nos enfants ont certes ce qu’il leur faut leur vivre dignement. Ils ont des Mamans et Papas qui s’évertuent à leur donner le meilleur d’eux-mêmes. Mais même ces Papas et Mamans savent que sur l’échelle de l’amour il faudrait qu’en plus des dons que nous faisons leur offrir de ce bien qui ne se vend pas et qui ne s’achète pas : l’amour.

Oumou DOSSO