Immigration clandestine: QUAND LE RÊVE TOURNE AU CAUCHEMAR

Des Clandestins qui tentent de prendre d'assaut les grilles de Ceuta et Meli
Des Clandestins qui tentent de prendre d'assaut les grilles de Ceuta et Meli
Des Clandestins qui tentent de prendre d'assaut les grilles de Ceuta et Meli

Immigration clandestine: QUAND LE RÊVE TOURNE AU CAUCHEMAR

Il est un peu plus de 16 H (GMT), ce samedi 28 septembre, dans une forêt de Tanger, ville située non loin de Ceuta, une enclave espagnole, située en terre africaine, faisant frontière avec le Maroc.

Assis à côté d’un feu, devant une baraque en carton recouverte de plastique déchiré par endroits, Halidou Fall, la trentaine révolue, s’apprête à “tondre” à la flamme, le rat qu’il vient de tuer, en compagnie de son ami d’infortune Bukary Djamey , un Gambien de 30 ans.

‘’Nous n’avons plus rien comme provision. Nous sommes obligés de nous livrer à la chasse aux rongeurs, qui foisonnent dans la forêt pour nous nourrir’’ explique Bukary Djamey, dans un très bon anglais. Normal. Dans son pays, il travaillait dans l’administration publique. Jusqu’à ce qu’il décide, un certain jour de l’année 2003, d’aller à l’aventure, en Europe.  En passant par le Maroc.

Un jeune homme d’une vingtaine d’années, Yékini Augustin, un Nigérian,  assis, lui, à même le sol soigne ses blessures aux pieds et aux mains. Il raconte qu’il s’est fait écorcher la peau, alors qu’il tentait d’escalader les barbelés qui séparent le territoire marocain de l’Espagne.

Malgré ses blessures, très profondes au niveau des paumes, il est déterminé à prendre le risque d’escalader les grillages une autre fois.

“Nous sommes décidés à attaquer la grille. Nous nous préparons pour le faire en groupe. Il nous faut absolument passer de l’autre côté en Espagne avant l’hiver ”, souligne sa camarade, qui fait office d’aide-soignante. Avant de soutenir qu’ils feront tout pour escalader ce mur. Non loin de là, des femmes font cuire le repas du soir, du riz, dans de grosses boites de conserves de tomate.

 

Situation précaire

 

D’autres, des clandestins, qui ont trouvé un refuge momentané dans cette forêt, eux, s’attellent à enlever le linge mis à sécher depuis le matin. Un autre groupe de personnes, une dizaine environ,  discute avec un arabe d’une quarantaine d’années, vêtu d’un boubou Marocain, le traditionnel “ djellaba ”. “C’est certainement un passeur qui est en train de proposer ses services à ces personnes”, suppose notre guide, Rachid Taoufik.

Il nous apprend qu’ils sont plus de 2.000 clandestins concentrés dans des campements de fortunes dans la forêt et les montagnes. Selon lui, beaucoup d’entre eux sont cachés dans ces lieux depuis plusieurs années. “Cela fait deux ans que je suis arrivé ici. J’ai tenté, à plusieurs reprises, de passer de l’autre côté de la grille”, révèle Ousmane Cissé, jeune Malien dans un français approximatif.

Les clandestins vivent dans des baraques en bois, en carton et en plastique. Presque tous dépourvus d’argent, ils se débrouillent comme ils peuvent pour survivre.

Comme Halidou Fall et son ami Bukary Djamey, ils sont nombreux les Africains subsahariens qui ont échoué en ce lieu.

Tous espèrent passer de l’autre côté de la barrière. Laquelle donne accès au ‘’paradis européen’’. Et ce,  malgré les expulsions massives et le ratissage de la forêt qui surplombe Nador, près de Ceuta, et à Belyounech , dans les bois proches de Melilla.

Comment ces clandestins de plus en plus nombreux s’y prennent-ils pour se retrouver dans cette situation précaire dans la région de Tanger ?

Selon le gouverneur de Tanger pour arriver au Maroc, les clandestins subsahariens, originaires en grande majorité de la République Démocratique du Congo, du Nigeria, du Mali, du Cameroun, du Sénégal, de la Guinée, du Liberia, de la Côte d’Ivoire, du Ghana et du Burkina Faso mettent en moyenne 15 mois.

“ 82 % d’entre eux sont entrés par Oujda, la frontière avec l’Algérie”, indique le fonctionnaire Marocain. Les candidats à l’aventure européenne, en passant par le Maroc, traversent le désert qui sépare le Mali ou le Niger de l’Algérie.  Au péril de leur vie. A partir de ces pays, les passagers embarquent dans des camions pour traverser le désert.

Le hic, c’est que ces camions tombent très souvent en panne dans ce vaste désert de sable et de grottes. Ainsi, les voyageurs sont livrés à eux-mêmes.

“Notre véhicule étant tombé en panne dans le désert nigerien, nous avons marché pendant plusieurs jours, sans eau ni nourriture”, raconte Niamkey Alain, un Ivoirien, avant de relever que,  au nombre d’une vingtaine de personnes, il est parti du Niger. Dix de leurs compagnons sont morts dans le désert. “A chaque fois qu’un des leurs tombait, on le recouvrait avec du sable” raconte-t-il, les larmes aux yeux.

 

Le long périple dans le désert

 

Selon les migrants, c’est le long de ce périple dans le désert qu’ils font appel aux services des “guides”, moyennant quelque chose. Ceux qui veulent s’en sortir d’eux-mêmes se perdent très souvent dans le désert et meurent de faim et de soif. Certains migrants sont aussi agressés et pillés par les bandits, qui ont une maîtrise parfaite du désert.

Ceux qui franchissent cette étape arrivent dans le Sud Algérien. Ils sont alors confrontés à une autre difficulté, la traversée de l’Algérie.

Pour la plupart démunis, les clandestins sont alors contraints de se trouver un boulot et se faire un peu d’argent, avant de continuer. Ce qui n’est pas du tout facile. “Travailler clandestinement vous expose, vous et votre employeur, aux contrôles de police”.

C’est que, sans papiers, beaucoup de clandestins se font arrêter par la police algérienne, avant d’être refoulés vers le Mali ou le Niger, dans le désert. Ceux qui, malgré tout, arrivent à progresser dans le nord algérien rentrent au Maroc, à partir du désert d’Oujda qui sépare les deux pays.

Une fois dans le désert marocain, ils sollicitent très souvent l’aide de certains passeurs. “Nous préférons nous cacher dans les grottes, pendant la journée et progresser vers les enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla, la nuit tombée” révèle Yékini Augustin.

Avec la complicité de certains passeurs marocains, ils se retrouvent dans les forêts de Nador, près de Ceuta, et à Belyounech.

Là, ils attendent le bon jour, pour escalader les grillages pour se retrouver en  ‘ Espagne’’. Face ‘’aux attaques’’ de plus en plus massives de la part des clandestins, les autorités espagnoles ont doublé la hauteur des grillages.  De trois à six mètres. Malgré cela, certains continuent à affronter ces grillages.

L’autre option pour les clandestins pour atteindre l’Europe à partir du Maroc, c’est la traversée de Laayoune aux Canaries un peu plus au sud. Mais, il faut avoir suffisamment d’argent. Selon un officier de Police du royaume chérifien, le coût du passage est de 1 million de Franc Cfa (1500 Euros), pour un Subsaharien, et environ 525 mille Franc Cfa (800 euros) pour un Marocain.

 

Un cycle infernal

 

Selon les autorités marocaines, des opérations anti-immigration sont menées depuis des années dans le Sahara, près de Tanger, Tétouan et Nador; ainsi que le long de la frontière algérienne.

Le gouverneur d’El-Aiun explique qu’ils ont reçu des instructions fermes pour enrayer le phénomène de l’immigration clandestine. “On a exigé de nous des résultats. Aujourd’hui, nous pouvons dire que nous avons fait avorter 50 % des traversées vers les Canaries.”

 Les clandestins appréhendés séjournent pendant une durée de deux semaines au plus dans un centre d’accueil. Ils sont par la suite jugés par des hommes de droit s’exprimant en arabe ; avec un avocat commis d’office par un tribunal en arabe.

 Le verdict, connu d’avance, est de un mois de prison pour être entré illégalement dans le pays et une amende. Les clandestins sont théoriquement expulsés du Maroc; après avoir purgé leur peine.

 A la vérité, totalement démunis, les clandestins ne sont pas en mesure de payer l’amende. Ils ne feront pas non plus la prison. Mais, ce qui est sûr, ils seront reconduits à la frontière entre le Maroc et l’Algérie, dans le désert d’Oujda.

Le gouvernement réquisitionne des cars de la compagnie publique de transport terrestre (CTM), pour convoyer les clandestins vers la frontière.

Une fois là-bas, ils ne pourront pas entrer en Algérie. Parce que n’ayant pas de visa. Ils vont alors attendre que les forces de l’ordre marocaines repartent, pour qu’ils rebroussent chemin. Ils vont marcher sur plusieurs centaines de kilomètre pour revenir à Tanger. Jusqu’à ce qu’ils se fassent prendre encore une fois.

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Encadré

Pris pour un clandestin

Devant me rendre au Maroc, pour un séjour d’une dizaine de jours, j’informe un de mes amis, qui a l’habitude de voyager sur ce pays. Afin qu’il me donne quelques informations. Il me prévient qu’il est de plus en plus difficile pour les subsahariens de voyager sur le Maroc, si le séjour n’a pas un but bien précis. “Les contrôles sont très stricts à l’aéroport” me prévient-il.

C’est ainsi que j’embarque pourFès, via Casablanca. Après un peu plus de4 heures de vols, nous atterrissons à l’aéroport international de Casablanca.

Une fois au poste de contrôle des services d’immigration, je tends mon passeport. Le policier de service me demande ce que je viens faire au Maroc. Je lui explique que je bénéficie d’une prise en charge totale pour un séjour à Fès et Agadir.

Mes explications ne semblent pas convaincre le policier. Qui me demande ma profession. Je lui indique que je suis journaliste. Il me demande ma carte de presse. Ce que je présente. Il m’exige encore d’autres documents qui prouvent que je suis journaliste ivoirien. Je sors alors des journaux dans lesquels j’ai signé des articles. Mais notre policier n’est pas convaincu. Je lui demande ce qui se passe. Il m’avoue qu’il me soupçonne d’être un clandestin. Qui tente de passer par le Maroc pour joindre l’Espagne.

Je lui explique très posément que j’ai dans mon passeport, un visa Schengen valable. Et que je n’ai pas besoin de passer par son pays pour aller en Europe. Mais, que je pouvais le faire directement. Il tourne les pages et aperçoit effectivement le visa Schengen.

C’est alors qu’il me lance : “Qu’est-ce qui prouve que ce passeport vous appartient effectivement ?”. Un officier qui suivait nos échanges - lesquels avaient duré presque 30minutes -s’approcha de nous. Et demande à voir le passeport. Après inspection de mon document de voyage, ils échangèrent en arabe.

C’est après cela que le policier se décide à estampiller mon passeport du cachet ‘’Entrée’’. Qui me  permettait d’accéder au territoire chérifien. Comme pour s’excuser, le policier m’explique que les Services de Police ont été plusieurs fois confrontés à des cas de faux passeports. Une fois sur le territoire marocain, nous n’avons plus eu de difficultés avec la Police.

Des arrivants d’Abidjan et régulièrement inscrits au Maroc n’ont, eux, pas eu la même chance que moi. Ayant oublié leurs différentes attestations d’inscription à Abidjan. Bien qu’ayant montré leur passeport en règle, ils ont été priés de retourner sur Abidjan, pour chercher le précieux document; avant d’entrer sur le territoire Marocain.

 

Théodore KOUADIO

Envoyé spécial à Tanger

Theodore.kouadio@fratmat.info