Education nationale: Que reste t-il de la première école de Côte d'Ivoire !

Ce qui reste de la résidence de Verdier
Ce qui reste de la résidence de Verdier
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Education nationale: Que reste t-il de la première école de Côte d'Ivoire !

Une résidence coloniale en ruine perchée sur une colline. À une centaine de mètres de là, dans la vallée, des pans de murs de plusieurs maisons se sont effondrés, des rails déboulonnés, des locomotives rouillées, une usine de décorticage de café éventrée avec plusieurs machines abandonnées dans les broussailles, sont devenus le gîte des animaux et autres reptiles. Non loin, se dresse un banal petit village forestier d'à peine 800 âmes donnant sur la lagune Aby.

Il est dépourvu d'école, d'électricité, d'adduction d'eau potable et de formation sanitaire. Voilà ce qui reste de la belle cité coloniale d'Élima située dans la sous-préfecture d'Etuéboué dans la préfecture d'Adiaké.

Site où le négociant français Arthur Verdier s'est installé en 1880 pour créer sa plantation de café dénommée Société des plantations d'Élima (SPE). Deux ans plus tard, il ouvre la première école occidentale de Côte d'Ivoire. Ainsi, plusieurs enfants sont recrutés dans les villages environnants pour faire leurs premiers pas dans cette école primaire. Elle sera par la suite fermée et rouverte en 1887 avec 20 élèves. Au nombre des figures marquantes ivoiriennes qui ont fréquenté cette école, les populations n'hésitent pas à citer M. Joseph Anoma, l'un des compagnons de Félix Houphouët-Boigny dans la lutte pour l'indépendance de la Côte d'Ivoire.

En 1892, une école de moniteurs sera également créée à Elima. Ce qui va donner un rayonnement certain à cette cité jusqu'à la fin de la deuxième guerre mondiale. En effet, Elima disposait de toutes les commodités, électricité, adduction d'eau et dispensaire. Elima avait même sa monnaie pour les différentes transactions commerciales. « Seulement, cet argent n'était utilisable que dans ce village », relève M. Assohoun Ahico, qui fait aujourd'hui office de conservateur des « restes d'Elima ».

Les traces de ces infrastructures sont toujours visibles. Il s'agit du château d'eau, des forages, du chemin de fer, etc.

Après la deuxième guerre mondiale, les Européens vont se désintéresser des plantations caféières d'Elima pour s'occuper d'autres activités dans les autres régions de la colonie de Côte d'Ivoire. Ainsi débute le déclin de la belle cité d'Elima avec son quartier européen, ses écoles et ses villages indigènes.

Les écoles ferment définitivement leurs portes. Même après l'indépendance aucune école ne sera construite dans le village.

Selon les habitants du village, jusqu'en 1971, le bâtiment abritant la première école de Côte d'Ivoire était en bon état avec sa toiture en tôle renforcée. Ainsi que toutes les bâtisses et autres infrastructures d'Elima.

« Un monsieur du nom de Sandoko est arrivé à cette époque dans la cité en compagnie d'un élément des forces de l'ordre ivoiriennes. Il a indiqué qu'il avait l'autorisation de l'État pour démonter tout ce qui appartenait à Arthur Verdier », se souvient M. Assohoun Ahico. Ainsi, pendant trois ans, M. Sandoko, ferrailleur de son état va détruire de façon systématique et progressive cette cité. Ce, au grand mécontentement de la population qui entre temps avait pris possession des maisons.

« L'unique maison qui garde encore sa toiture était l'habitation du chef des chantiers de la SPE. Elle était habitée par ma famille après le départ des blancs. M. Sandoko l'a épargnée parce que mon père lui a versé la somme de 18.000 Fcfa pour les tôles qui couvraient la maison », explique-t-il.

De la première école occidentale de Côte d'Ivoire, il ne reste actuellement que la façade du bâtiment et le mur gauche.

S'agissant de la résidence d'Arthur Verdier, elle a commencé à tomber en ruine en 1982. Après qu'un petit-fils de Verdier en 1977 eût déterré selon les villageois un sac de pépites d'or caché dans la maison de son grand-père. « En 1982, un entrepreneur ivoirien est arrivée dans le village et a indiqué qu'il était là pour restaurer la résidence d'Arthur Verdier. Après avoir fait enlever la toiture et déposer un tas de sable et quelques sacs de ciment, nous ne l'avons plus revu », explique un villageois.

À propos de la résidence de Verdier surnommée « la grande maison blanche », M. Amédée Brétière le maître d'œuvre de cette bâtisse écrivait dans ses mémoires qu'il s'est « consacré à l'exploitation des champs de café et à l'exploitation des bois précieux en forêt pour le compte de M. Verdier. Nous menions de paire la construction de la grande maison blanche tout en haut d'une colline donnant sur la lagune Aby. Ce fut la première maison en dur de la Côte d'Ivoire, un véritable château pour l'époque ». C'est que, la bâtisse est entièrement construite en pierre.

La cité d'Elima après avoir servi de porte d'entrée du savoir et de la culture du café en Côte d'Ivoire est aujourd'hui à la traîne du développement. Alors qu'« au Ghana la première école occidentale a été créée à Cape coast. Qui est aujourd'hui un grand centre d'éducation de ce pays. Mieux, c'est l'un des endroits les plus développés du pays », soutient Kadio Justin, un fils de la région.

Les écoliers du village d'Élima sont contraints de parcourir plusieurs kilomètres à pied pour se rendre dans les établissements des villages voisins. Nombre de villageois ne comprennent pas non plus que la ligne haute tension passe à 200 m du village et qu'ils ne puissent pas bénéficier de l'électrification rurale.

Cette situation d'obscurité favorise le banditisme dans cette région agricole. Plusieurs fois, les populations de cette localité ont fait les frais des bandits. Le dernier événement en date est l'agression de la famille du conservateur des vestiges d'Élima. Après l'avoir tailladé dans le dos, ils ont emporté ses maigres ressources.

Blessé grièvement, ses parents ont du mal à le conduire au centre de santé qui est à plusieurs kilomètres de là. Le village souffre cruellement du manque d'infrastructures sanitaires. Les patients sont obligés de parcourir de longues distances pour une simple injection ou un pansement. Les formations les plus proches sont celles d'Etuéboué à environ 3 km et celle du village d'Aby, à plus d'une quinzaine de kilomètres.

« Récemment pour une simple consultation, j'ai dû louer une pirogue à 5000 Fcfa pour envoyer mon enfant au dispensaire d'Aby», raconte une mère de famille. C'est pourquoi, elle souhaite ardemment la construction d'un dispensaire.

Pour avoir accès à Élima, deux solutions s'offrent aux passagers : la voie lagunaire à partir d'Adiaké en utilisant la pirogue ou la pinasse. Ce moyen de déplacement est disponible tous les jours et c'est le chemin le plus court.

Ensuite, la voie terrestre à partir d'Aboisso. Distante d'une quarantaine de kilomètres d'Aboisso, la route passe par Eboué, Aby et Abiaty. Les véhicules de transport en commun adapté aux pistes villageoises, tels que les taxis-brousse et les camions de 2,5 tonnes de marque Kia Motors, desservent une fois par jour Élima. « Si vous raté le départ, il faut attendre le jour suivant », explique un chauffeur de cette ligne.

Si le voyageur tient obligatoirement à rallier la localité même s'il a manqué le véhicule de la ligne, il peut toujours le faire en empruntant une voiture pour Aby ou Abiaty. Ainsi, pour la quinzaine de km à parcourir pour atteindre Élima, il a le choix entre la pirogue ou la marche.

Pour nombre d'habitants, Élima mérite une attention particulière des autorités administratives et politiques de la Côte d'Ivoire. Car, disent-ils, « historiquement, c'est notre village qui a ouvert la voie au développement de notre pays. Aussi en retour, l'État devrait classer notre localité comme patrimoine culturel national et procéder à la réhabilitation des vestiges historiques ».

Mais avant cela, Élima souhaite bénéficier des différents projets d'électrification rurale de la région et accéder aussi à l'adduction d'eau. « Lors des festivités du centenaire de l'école organisées ici à Élima en 1995, le ministre de l'Éducation d'alors M. Pierre Kipré, a promis la construction d'une école dans notre village. Mais depuis plus rien », a-t-il conclu.

Théodore Kouadio

Theodore.kouadio@fratmat.info