Bouaké : Autopsie d’une ville qui veut rebondir

Bouaké : Autopsie d’une ville qui veut rebondir

Tout « natif natal » (Simone Schwartz Bart) de Bouaké qui y débarque, éprouve toujours de la nostalgie pour cet autre royaume d’enfance perdu : Bouaké la coquette, Bouaké ville cosmopolite, Bouaké la paisible… Comme il y faisait si bon vivre ! En flash-back, je revois Bouaké. Les hôtels : Gabrielli qui ne désemplissait pas, l’Harmattan et le RanHôtel si riches de leurs clients descendant, entre autres moyens de locomotion, des trains de la Régie Abidjan Niger (RAN) reliant Abidjan-Bouaké et Ouagadougou (Burkina Faso) ; la Calanque, l’Amicale, le Cactus, lieux de récréation des jeunes cadres de la jadis belle cité sous l’autorité du premier maire, Djibo Sounkalo ; le Centre culturel Jacques Aka, l’hôpital central de Bakassa, la maternité de Koko, les quartiers propres de Koko, Air-France, Nimbo, plus tard de Kennedy et autres ; les établissements scolaires : le Collège d’Orientation de Bouaké (COB – Lycée Nimbo, aujourd’hui) du mythique proviseur Tafébé, le lycée municipal de Bouaké où régnait un nommé Yao Yao Jules, célèbre homme de Lettres au langage délicieux et raffiné, le Lycée classique sous le regard policé de Maméry, un Surveillant général qui avait plus d’autorité que les proviseurs qui se sont succédé à la tête de cet établissement scolaire ; le Jardin public, l’orchestre de la Fraternité ivoirienne (OFI) que dirigeait Lou Pierre (c’était un Camerounais) chantant et vantant les charmes de sa ville: Bouaké, avec ses longues rues éclairées, sa piscine municipale, son zoo, etc. « C’était le Bouaké de Djibo Sounkalo (premier maire) et son carnaval. Djibo sur son mythique cheval blanc ! » Voilà autant de belles images qui caressent la mémoire des habitants de cette ville symbole d’une Côte d’Ivoire de l’abondance et de la paix, de la propreté urbanistique. Sacrée belle époque, celle de 1960 à 1980!

 

Á la recherche d’elle-même

Bouaké que je redécouvre, que je ne reconnais plus, en ce mois de janvier finissant, 39 ans après ce premier maire mythique, 17 ans après la rébellion, ressemble à une ville à la recherche d’elle-même ou se fuyant elle-même, fantôme architectural qu’elle est devenue, sombre ensemble de bâtisses décrépies, sans âme, et pleurant de meurtrissures et violences inouïes d’hier — souvenirs douloureux de la rage d’une rébellion qu’elle n’a pas recherchée ni provoquée. Peut-elle se retrouver, elle qui a changé grandement dans le sens qu’il ne fallait pas ? Elle, si calme, si accueillante, et qui fut le théâtre d’une histoire qui sera difficilement oubliée, celle de  cette rébellion qui l’a défigurée et blessée jusque dans l’âme ? Oui, il y a une espèce de rancœur qui échappe au verbe agréable et doux, un sombre désir de vengeance qui n’ôte pas la cagoule, mais qui se murmure chez des gens qui n’ont pas de choix que d’être dans cette ville des rêves brisés, cette cité où ils ont tout perdu, ou presque. Comme celle de ce haut cadre de la fonction publique, M. Konan. J. qui a vu détruite sa maison de retraite, fruit de tant d’années de sacrifices : « Il tient à la réhabiliter ; c’est sa vie ! », dit sa fille. Comme celle, ordinaire, de Rose, une tenancière de gargote qui recevait du beau monde naguère, et qui a dû fuir ce temps des fureurs.

Aujourd’hui, revenue après neuf ans passés à Abidjan où elle avait tenté de se refaire, encouragée par ceux qui avaient fui, comme elle, Bouaké, elle se « cherche. » C’est que les mentalités et les habitudes ont changé. Même si sa petite baraque a été épargnée, ce lieu ne sent plus la rose. « On m’a dit: Tu dois retourner à Bouaké. J’y suis revenue et voilà ! ». Sa bicoque, branlante, avec ses chaises vides, ne survit que grâce à quelques clients fidèles dont la plupart n’est plus revenue à Bouaké : « Ils n’y reviennent qu’à l’occasion de brefs séjours, pour des funérailles, des missions. On fait avec…» Sa fille a eu le Bac, son petit commerce ne marche pas. Comment juguler tant d’infortunes?

 

Comme toutes les cités, le règne des motos

Il y a, dans cette ville, une espèce de violence comme suspendue, prête à… Elle se «sent » aussi une ville… au regard. Le corridor d’entrée qu’annonçait, jadis, une teckerie reposante, ressemble et rassemble aujourd’hui, dans son désordre, (à) toutes les entrées des cités ivoiriennes : un marché de tous les possibles où l’on vend de tout. Foule bigarrée noyant des agents de l’ordre qui tentent de se rendre utile en poussant et retirant, à chaque passage des camions, des herses d’un autre âge auxquelles viennent en secours des pneus usés et sales. La déchéance de cette ville se sent encore dans le spectacle des motos à deux ou trois roues, le premier transport en commun qui a envahi la ville, qui n’est pas sans rappeler une autre ville d’un pays si proche de nous. Sans casques de protection, indisciplinés comme à ne pas le souhaiter, ils sont les maîtres de la circulation. Ils ne respectent rien, sauf eux-mêmes. Le verbe violent à la bouche, se livrant des fois à cabrer leurs motos dans des défis insensés, ils terrifient la ville à coups de vrombissements à faire frémir, surtout quand ils viennent à se retrouver en grand nombre au feu et à marquer l’arrêt; un arrêt qui, visiblement, les gêne, impatients qu’ils sont de partir. « Les accidents sont nombreux, avec de nombreux décès, de nombreux invalides», dit un confrère. Ces quatre mots d’une autorité médicale sont révélateurs et résument à eux seuls la situation : « Les chiffres sont alarmants». Ce témoignage de N’Dah Éric, jeune cadre du centre, corroboré par celui d’une autorité de la ville est édifiant : « Ils roulent n’importe comment. Et puis, vous le savez si bien, nous sortons de guerre, il faut y aller doucement… Après la phase de sensibilisation, ce sera la répression. Á Korhogo, par exemple, ils sont disciplinés, qui roulent avec des casques. Pourquoi pas, ici ? »

 

Comme les temps ont changé !

Ici, c’est Bouaké. Et, doucement donc, Bouaké perd ce qui faisait aussi son charme dont on pouvait rire : le conducteur qui pouvait poursuivre, sans se décourager, un autre qui lui aurait brûlé la priorité à un rond-point, pour lui donner la leçon. Oui, c’était hier, cela, Bouaké : une ville de discipline, coquette, ombragée ; une ville aux rues bordées d’arbres fruitiers et fleuris (manguiers, acacias, flamboyants), petites et propres ; une cité pleine de joie de vivre, fraternelle, avec ses nombreux ronds-points. Comme les temps ont bien changé ! Il n’y a plus de piscine municipale, il n’y a plus de zoo, il n’y a plus d’OFI, il n’y a plus de grandes équipes sportives dans cette ville qui a vu fleurir tant de gloires dans presque toutes les disciplines. Il n’y a plus cette propreté d’hier, et cette philosophie écologique à laquelle veillaient l’institut d’hygiène et son premier maire. Signe ? Le mythique jardin public a été transformé en siège de la BCEAO. Le béton, à la place de la verdure !

Dans cette cité mesurée au compas de mon enfance, comme les temps ont changé! Tout s’est, d’un coup, dégradé. Les ronds-points, nombreux, sont devenus des places de marché : un agent de la Chambre de commerce dira : « Ici, c’est le monde de l’informel en marche qui envahit tout l’espace ». Des commerçants d’un autre âge et d’une mentalité nouvelle ont érigé l’irrespect et l’indiscipline en principe de vie, sous le regard impuissant des autorités. Y a-t-il encore des rues propres, sans ces marchés de la débrouillardise qui saturent l’espace urbain, ces nombreux kiosques de mauvais goûts comme on en voit à Adjamé, Yopougon, Abobo, etc., avec ces vendeurs ambulants vendant de tout ?

 

Le règne des marchés et des bars

Koko, vieux quartier de cette cité, est l’image désolante d’une ville qui peine à respirer l’air sain d’une urbanisation civilisée. Même la célèbre rue Reutlingen, financée par l’Allemagne, est ceinturée par des magasins de tous ordres. Á Bouaké, depuis l’incendie qui a ravagé le marché central, la cité est devenue un vaste marché. « Chaque quartier a son jour de marché désormais»,  précise un habitant de la ville.

Le spectacle est à l’image des mauvaises habitudes prises et tolérées : les voies sont alors barrées par les commerçants étalant leurs marchandises de tous ordres, comme nous avons pu le constater un mercredi. « C’est le marché le plus célèbre, celui de Koko ». C’est une sorte de Comices agricoles, où tous les produits de la terre se laissent admirer dans leur diversité, perturbant toute la journée la circulation : « On n’y peut rien. Les agents municipaux y viennent pour lever des taxes ».

Dans ce qui est considéré comme une tradition, à chaque quartier, son marché, des voies à occuper, il y a encore une autre violence de fait qu’imposent les commerçants aux usagers de la route et aux habitants qui se trouvent noyés dans cette occupation de terrains, « sauvage ». Mais, même là, Bouaké n’en est pas à un inconfort près ! Les nuisances sonores des bars qui occupent de force les espaces, avec les devantures des habitations occupées par le tout magasin ou marché, sans grand effort d’esthétique, les rues dégradées sans aucune connexion avec les autres quartiers – il faut nécessairement passer par le centre-ville, tout cela fait partie du vivre ensemble. Et cela est visible de partout, dans cette ville qui s’étend à n’en point finir: Dar-Es-Salam, Sokoura, Djanmourou, etc. Même à Air France, jadis quartier de la bourgeoisie naissante. Même à Kennedy, avec ses rues impraticables, à l’image encore de tous les quartiers à la voirie à refaire – à part les grandes voies, encore bonnes à prendre, bien éclairées aussi la nuit, - ; même Belle-ville où il ne fait pas beau d’y aller, avec ses constructions sans grand effort d’urbanisation, n’ont plus fière allure et n’en ont plus. Ahougnanssou, avec sa voie bitumée, et son marché en construction, non plus. Tout comme l’habitat de la Caisse, tout comme… tant et tant de quartiers. Il  faut y entrer, pour voir le même spectacle : les caniveaux à ciel ouvert, les rues et routes encombrées par des kiosques et marchés  de tous ordres, créant le tout désordre. Quand à tout cela, s’ajoutent les tas d’immondices…

 

 

Opération ville-propre, où es-tu ?

 La grande profession de foi du ministre Allah Kouadio Rémi, alors ministre de l’Environnement, de la Salubrité urbaine et du Développement durable, avant la visite mémorable du Chef de l’État dans le Gbêkê, en novembre 2013, résonne aujourd’hui comme une puérile incantation. Dans le cadre de cette visite, avait été initiée, en effet, une « opération ville propre ». Cette opération avait même divisé la population, habituée à vivre tranquillement dans son anarchie et dans la saleté sans limite : « Nous allons continuer d’agir sans état d’âme » afin de mettre fin au désordre qui s’était installé dans cette cité, capitale naguère de la rébellion. Il avait même fait la promesse que, même après la visite du  Président de la République, l’opération se poursuivrait. Parlotes !

Dans cette ville sinistrée presque, par endroits, avec des maisons ceinturées par la broussaille que sèche ce temps sec d’harmattan, il y a l’habitat, des édifices publics et privés qui s’en sont trouvé dégradés. Comme encore les bâtiments vieillis du Lycée classique, sans entretien, sans clôture, à la pelouse séchée comme peau de lézard écrasée moins pire que les toitures décoiffées, maisons détruites à l’abandon, des camps militaires (ENSOA, 3e Bataillon, etc.), moins pire encore que le vaste champ de ruine du Cafop II, etc. On comprend le cri du cœur de Thiero Abdramane, directeur de cabinet du maire, absent : « Il faut un plan Marshall pour Bouaké ! »

Un jeune cadre, conseiller juridique, Bléou Stéphane, plein de rêves et de volonté, y a créé une entreprise, Fricor, pour réhabiliter des maisons sinistrées. Il en a, à son actif, quatre « sur fonds propres », précise-t-il. C’est peu. L’une d’elles lui sert de bureau : « Ce n’est pas facile. J’ai sollicité beaucoup de banques pour m’aider dans cette mission, mais elles affichent une réticence que je comprends : les propriétaires des maisons à réhabiliter, doivent être des salariés, avant de m’avancer quoi que ce soit ; si l’État, pouvait être un appui pour moi…»

 

Du plomb dans l’aile ?

L’immense espoir de voir renaître Bouaké qu’avait suscité la visite mémorable dans le Centre, notamment dans le Gbêkê; cet enthousiasme a, sans aucun doute pris du plomb dans l’aile. Cela est lié à plusieurs facteurs, notamment les soubresauts de l’après visite, avec les révoltes intempestives des soldats réclamant butins. La route du développement passe par la paix, dit-on. De plus, « On ne sort pas d’une guerre comme d’un dîner de gala. » Sentences on ne peut plus vraies, car aujourd’hui, le bilan pour Bouaké est lourd : gâchis sur tous les plans !

Sur les champs des ruines…

La préfecture rénovée, flambant neuve et équipée en matériels de travail modernes, n’est plus qu’un champ de ruines, ravagée par le soulèvement des soldats dans cette ville. Aujourd’hui, ce qui sert de bureau au Préfet de région n’est qu’une modeste demeure d’un ex-ministre de la République. Dans  son bureau, ce colonel de l’armée, ex-rebelle, Tuo Fozié, qui a servi à Bouna, nous reçoit. Avec beaucoup d’élégance et de courtoisie mêlées. Dans son regard qui interroge, il semble se demander : « Mais pourquoi donc moi, là, à cette place ? ». 

-Tu es militaire, me dis-je, intérieurement.

Il ne parle pas de sa ville. Il me reçoit. Secret de mission ? Peut-être. Sur son front, semble se lire tant de réflexions sur sa mission : comment faire renaître cette ville, et imposer la discipline à tous, surtout à ce monde que les crises et le long temps, dix ans de rébellion, a créé ? « Ici, ces jeunes- là, tous te diront qu’ils ont fait la guerre, même si c’est faux », ironise le confrère. Le matériau humain à refonder, les infrastructures, les secteurs économiques, etc. Immense est la tâche. À la dimension du champ de ruines : le zoo inexistant depuis belle lurette, la piscine, également. En lieu et place, quelques murs décoiffés, témoins des splendeurs de ce lieu, résistent encore à l’usure du temps. Les deux bassins portent dans leurs ventres des eaux verdâtres où s’agitent des crapauds. Depuis quinze ans, un gardien surveille les lieux. Pour meubler le temps, il arrose son potager, avec l’eau souillée de la piscine. « Il y a deux ans, dit-il, c’était un nid de bandits, qui y venaient pour fumer la drogue». Á l’entrée de ce que fut cet endroit, résiste au temps une statue de la reine Pokou, réalisée en 1987 par le sculpteur Donkor. Elle offre en sacrifice son enfant, symbole de la légende baoulé. Quels sacrifices faudra-t-il faire encore pour faire renaître les activités dans la cité de Gbêkê ?

 

La chute !

Avant la crise de 2002, Bouaké, carrefour d’échanges, était le 2e pôle économique de la Côte d’Ivoire, après Abidjan. Son secteur privé formel symbolisait cette vitalité économique, avec ses entreprises de la filière textile florissantes (Cidt, Fibako, les Établissements Robert Gonfreville) employant des milliers de travailleurs (plus de 3. 700), produisant plus de 150. 000 t de coton, plus de 2000 t. de tissus, 2. 200 t de fil ; avec ses centaines de PME/PMI ; son secteur touristique, l’hôtellerie par exemple et ses 75 établissements tous types confondus; de l’agro-industrie (Trituraf devenu Oleol, avec une capacité de 28. 000 tonnes d’huile raffinée ; la Sitab dans le tabac et la Sodialci dans l’alcool. Tous ces acquis, du fait de la crise, ont chuté : disparition de nombreuses PME, fermeture ou délocalisation des grandes entreprises, perte de 60% des emplois dans le secteur. Seule OLAM, dans l’industrie alimentaire, spécialisée dans la transformation de l’Anacarde, «  la plus grande et la plus moderne au monde » réalise, dit-on, de bonnes performances, employant plus de 1.200 personnes, dont 90% sont des femmes.

Signe : le 28 février 2019, Filtisac, ex-Fibako, fermera ses portes. Signe encore, Trituraf devenue Oleol, traverse des difficultés de tous ordres. Depuis deux ans et plus, les activités se sont arrêtées. Au moins 500 employés sont au chômage : « Nous voulons nos droits et nos arriérés de salaire », revendique Assa Alain, S/G de la communication du syndicat (Syntraoci), porte-parole. Le 29 janvier,  ils ont barré l’entrée de l’usine au nouvel acquéreur, Sipefci. «Le tribunal a ordonné la vente depuis le 25 janvier. Nous ne sommes pas obligés de prendre tout le personnel. Nous voulons remettre l’usine en marche et créer des emplois», affirme, serein, un des représentants. Gonfreville, hier fleuron de l’industrie naissante à Bouaké, aux murs sales aujourd’hui, est aussi le symbole de cette région à sauver.

Signe encore. Auparavant, le 9 janvier 2019, à 88 ans, sans doute plus, s’éteignait l’un des plus illustres fils de la région, Kouamé Konan N’Sikan, premier président de la Fédération nationale des commerçants de Côte d’Ivoire (Fenacci), homme d’honnête fortune qui s’était illustré notamment dans le domaine du transport, avec sa compagnie UTB qui fit de lui, le plus grand transporteur de son pays.

Tissu économique dégradé, c’est le règne du monde de l’informel, avec sa débrouillardise dans cette ville-boutique: « En 2002, on était à environ 340 PME. Depuis 2012-2013, on a du mal à les identifier. Moins d’une centaine, davantage même. Il faut un plan Marshall pour relancer cette ville, à commencer par le dédommagement des opérateurs économiques touchés par les crises de tous ordres.» Ces paroles du président de la Fédération des PME, responsable des industries de Bouaké, Brou Frédéric, directeur de l’Entreprise ivoirienne de ferronnerie, tuyauterie et de chaudronnerie industrielle, résonnent comme une supplique. Il ajoute : « Ce n’est pas tant le marché qui a brûlé, même si le reconstruire serait une bonne nouvelle. Mais, notre problème, ce sont les marchés publics qui arrivent et qui sont donnés depuis Abidjan, sans que nous, opérateurs économiques, nous en ayons droit. Alors qu’on veut qu’on continue de payer des impôts. Pas facile, pour nous.» Alors : « Ce sont les maquis qui font du bruit, avec des motos. De plus, beaucoup d’opérateurs économiques sont partis et ont du mal à revenir. Il n’y a pas d’éléments incitatifs »

 

Notre espoir, c’était la Coupe d’Afrique de 2021

Les acteurs de la filière de l’hôtellerie ne sont pas en reste, même si cette filière a connu un petit boom, elle ne fait pas recette. Comme en témoignent les dires de Loukou Guy, secrétaire général de l’Association des hôteliers du centre, forte de 138 déclarés, sans compter ceux qui se créent dans la clandestinité qui leur livrent une concurrence illégale: « Dans l’ensemble, nous sommes entre 20 à 30 pour cent du taux de remplissage, surtout les weekends et lors des funérailles ou des cérémonies majeures. En semaine, on tourne autour de 10 pour cents. Notre espoir ? C’était la coupe d’Afrique que la Côte d’Ivoire devait organiser en 2021. Hélas !  Nos recettes ne sont pas bonnes, et nous ne pouvons rénover les hôtels, surtout face aux charges fixes à payer, sans compter les impôts. Ça fait beaucoup». Pour l’heure, c’est dur ; et c’est peu dire : « Seuls Ranhôtel, Hôtel du stade, Mon Afrik, Résidence Hôtel Éléphants, les étoilés, marchent. Nous, on se débrouille, parce que les activités fonctionnent au ralenti, avec les vols de motos, et les agressions ». Un responsable municipal tente de me rassurer : « La situation s’est largement améliorée. Il n’y a pas de sécurité zéro. Mais Bouaké ne fait plus peur.» Il ajoute : « En témoigne le dynamisme, la nuit, de la « Rue-princesse », notre rue, située au Commerce ».

« Au rythme lent de la vie » (I. Sy Savané), avec ses moments de paix et de troubles, de difficultés de tous ordres, Bouaké veut pourtant rebondir. Les attentes sont nombreuses, comme celles du grand marché qui a brûlé, qu’il faut reconstruire, comme celles des infrastructures à réhabiliter. Mais comment décoller quand l’aéroport, lui-même, est à l’abandon comme cloué au sol ? Seul personnel trouvé en ce jeudi de notre visite, une équipe de deux personnes en partance pour une tâche. « En bout de piste, disent-ils, va décoller un Gruman ». Ce lieu est à l’image de beaucoup d’endroits de la cité, avec ses maisons aux alentours décoiffées, ceinturées par la broussaille. Gestoci, société de Gestion des stocks pétroliers de Côte d’Ivoire, à l’entrée de l’aéroport, avec ses 7 citernes, est à l’abandon. Fermé depuis 2002. Plus de carburant. Citernes vides.

 

Pas de carnaval cette année !

Comme un coup de poignard: cette année, il n’y aura pas de carnaval, ce grand moment d’orgueil de la cité en fête, avec sa foire commerciale où s’affichaient fières les entreprises locales, face à celles venues d’Abidjan ; il n’y aura pas ce moment de communion du centre avec sa gastronomie, avec ses cultures, avec encore son élection miss carnaval qui attirait plein de monde ; il n’y aura pas de roi carnaval : « Nous avons reculé pour mieux sauter. Il faut passer à une autre dimension du carnaval, et se donner les moyens. En 2020, le carnaval reviendra, plus fort encore avec de nouvelles idées ». C’est l’assurance et la promesse du directeur de cabinet de la Mairie. Il faut y croire.

 

Michel Koffi