Apprentis gbaka, coxer, syndicats : Une vie de chien, une culture peu polie

Apprentis gbaka, coxer, syndicats : Une vie de chien, une culture peu polie

Juste quelques questions que nous voulions leur poser lorsque nous sommes allés à la rencontre des apprentis gbaka. Leur arrogance est connue de tous leurs clients et fait régulièrement objet de rixes. Telle celle qui a dégénéré en drame survenu en fin d’année dernière aux 220 logements.

Ce jour-là, un chauffeur et un policier ont perdu la vie parce qu’un apprenti gbaka a trouvé les mots qu’il fallait pour provoquer le courroux d’un client, un policier en civil.

Les échanges qui en ont suivi ont été très houleux. Un autre client dans le véhicule, chauffeur de profession, s’est souvenu qu’avant son permis de conduire, il a été apprenti gbaka et a pris fait et cause pour l’apprenti gbaka.

Le client protagoniste lui aussi s’est souvenu qu’il est policier et bien qu’il soit en civil, il a son arme sur lui. Il a dégainé. Le chauffeur client a été mortellement atteint et lui aussi a été tué par la horde de coxer, apprentis, chauffeurs bref toute la confrérie.

Deux morts pour deux cents francs, coût du transport. Mais deux morts surtout pour le langage peu courtois des apprentis gbaka. Qu’est-ce qui explique cette propension à l’agressivité verbale ?

C’est la principale raison qui nous a conduit à ces jeunes qui vivent des métiers de coxer et apprentis gbaka.

Nous trouvons les concernés pour échanger. Question :

  • Pourquoi êtes-vous si impolis, tout le monde en parle? 

Les visages se renfrognent. Celui qui prend la parole a une réponse appropriée.

  • Impoli là même ça veut dire quoi ?
  • Je dis, impoli là, ça veut dire quoi ? C’est quelle question matin-là ?

Nous sommes à la gare Renault d’Adjamé, bien entouré par des jeunes. Notre interlocuteur n’est pas, à la lecture de son physique, le modèle d’hercule.

Mais si ses lamelles de muscles n’effraient pas, ses yeux qui ont commencé à rougir et ses paupières qui battent à une fréquence accélérée recommandent sagesse.

« Impoli là, ça veut dire quoi ? »

La question n’aura pas de réponse. Pour faire baisser la tension et ramener le calme, nous invitons à trouver un endroit pour discuter tranquillement autour d’un pot.

Dans mon esprit, prendre un pot comme cela  signifie, c’est trouver un bistrot pour partager un verre. Mais ici, le pot a une autre signification. C’est une tasse de café. C’est un kiosque à café du coin qui va nous accueillir. Ici, on ne sert que du café noir. Du café ‘’serré’’. Tout le monde s’installe et passe sa commande.

Il faut d’abord les laisser vider leur sac. Cible les clients. « C’est pour nous là vous voyez ? Les clients sont trop compliqués. On leur dit de monter avec la monnaie mais ils ne le font jamais. On ne sait pas comment ils sont, mais ils font tout pour énerver les gens. »

Petite pause. Le temps de vider la petite tasse de café noir. Je place un mot.

  • Calme-toi
  • De me calmer comment ? Tu prends client, tu lui dis, montez avec la monnaie. Tu répètes mille fois, montez avec la monnaie, il dit pinhinn (Ndlr oui). Quand tu viens l’encaisser, il tend un billet. Mille francs ou deux mille francs. Ton cœur est chaud en même temps ».

La mine change encore. Le geste brusque qui accompagne ‘’ton cœur est chaud en même temps ‘’ renverse la tasse de café au tiers vide. Notre chemise en prend un coup.

- Vieux père pardon. Les clients là énervent trop. Il y en a qui attendent leur descente pour sortir le billet. Certains même ne disent pas où ils vont descendre. C’est quand on arrive qu’ils crient ‘’apprenti ça descend’’. Tu vois ça ? »

Ces clients qui ne respectent pas la consigne de ‘’ monter avec la monnaie’’ et qui descendent sans prévenir « énervent tellement que quand tu le regardes, tu as envie de le gifler en même temps. » Pourquoi tant de colère ? « Ce genre de clients énervent tout le monde. Ils énervent tout le monde je dis ».

L’explication ne me paraît pas convaincante « C’est quoi tu (ne) comprends pas encore ?

Vous êtes trop compliqués. J’aime pas ça (je n’aime pas cela) » Les yeux commencent à rougir et les gestes menaçants. Bizarrement ce qui paraissait confus est devenu subitement limpide dans mon esprit !

  • Vous avez raison, les clients énervent trop
  • Vieux père, il faut écrire ça. Il faut écrire hein !

Plus rien contre les clients ? « C’est ça-là même qui énerve à part leur gros gros français ».

Réquisitoire terminé ? « Ce qui peut tuer même, c’est quand ils négocient le prix et puis ils tendent un billet. Il y a des choses qui chauffe kair». Entendez, énerver, ce mot mille fois utilisé.

   Chiens de faïence

Les clients, de leur côté,  ont toujours l’impression que ceux qui les encaissent dans ces véhicules de transport en commun sont titulaires de chair en impolitesse. « S’il y a diplôme dans impolitesse, c’est que les apprentis gkaka ont grand frère d’agrégation. Ils ne respectent personne, se payent la gueule de tout le monde. Ils sont vraiment dégueulasses.»

Les incessantes palabres entre les apprentis et les clients de gbaka? Une des raisons est qu’au départ, chacun a gros sur le cœur. Chacun veut faire payer ce qu’il pense avoir subi ailleurs. « Il y a des clients qui considèrent qu’apprenti gbaka, c’est apprenti gbaka. Si un les a insultés il y a un an, il faut qu’il fasse payer ça à un autre. Il monte dans le véhicule avec la colère en souvenir de ce qu’on lui a fait un jour. Or, toi, tu n’es au courant de rien. Tu l’approches avec ton sourire et lui t’accueille avec des mots durs.  Quand c’est comme ça, tu fais comment ? »

« Chaque quartier a sa façon de parler. Chez vous là-bas à Cocody, c’est les cravates avec les s’il vous plait. Et puis vous parlez comme à l’église où à la mosquée. »

Des choses qui fâchent ? On en rencontre dans tous les métiers sans pour autant qu’on mette à l’index particulièrement toute la corporation d’impolitesse et d’agressivité. « Ceux qui nous critiquent là, est-ce qu’ils savent comment on vit même ? »

Le quotidien d’un apprenti gbaka ? On s’est montré intéressé. Cinq parmi eux sont disposés à rester avec nous pourvu qu’on « paye leur ‘’ration’’ ». La ration, c’est la paye d’un apprenti de gbaka. Ils sont rémunérés à trois mille la journée. « En plus des  gbas ». Les gbas, c’est l’argent que l’apprenti  garde par- devers lui sur les recettes qu’il encaisse. Chacune des quatre personnes a évalué son gain journalier à 8000 FCfa.  La facture réglée, nous montons à bord naturellement d’un gbaka. Direction, Abobo. Destination, le quartier Colombie. « Comme vous voulez savoir pourquoi  selon vous on est impoli, on vous a amené où on est nés »

Il y a donc un quartier qui fabrique des impolis ? «Nonnn. Mais chaque quartier a sa façon de parler. Chez vous là-bas à Cocody, c’est les cravates avec les s’il vous plait. Et puis vous parlez comme à l’église où à la mosquée. Chez nous, quand on a dit ‘’vieux père’’ ou vieille mère, ‘’ le respect s’arrête là »

A Colombie, quartier à mille histoires. Histoires que nous vous raconterons. Nous sommes à Colombie pour découvrir « comment on vit.  Comme ça, tu vas comprendre comment on est ». Nous entrons dans une concession par un couloir très étroit. Il faut chercher ses marques « Vieux père, fais attention hein, y a des enfants qui jouent dans le couloir ».  Des enfants ? Plutôt des mômes, la plupart encore au biberon. « Chez nous ici, c’est ça on appelle enfants. Leurs grands frères sont partis cirer chaussure ou vendre lotus »

  • Les enfants ne vont pas à l’école à Colombie ?
  • Si mais ce n’est pas obligatoire. Le matin, chacun se cherche. La mère va vendre eau glacée ou se promener avec arachide ou sachets d’eau. 
  • Et le père ?
  • Vieux père, c’est papa- là qui est devant toi comme ça. Quatre heures du matin ne le trouve pas ici

Nous entrons dans la cour, une cour bien commune. Dix-sept familles vivent ici, si nous nous en tenons aux portes. Mais très vite, nos techniques d’évaluation sont mises à jour. « Ici, ce n’est pas comme cela on compte. Dans chaque maison, il y a plusieurs familles. Chez moi ici, on est quatre.

Quatre personnes ou quatre familles ? « On se gère comme ça »

Ça veut dire quoi « on se gère comme ça » ?

  • On se débrouille

Dans la petite pièce, chacun vit avec sa petite amie. Quatre familles donc. Dont deux, avec un enfant chacune. Comment vit-on, avec tant de promiscuité ? « C’est à cause de cela qu’on est venu ici avec vous. D’abord, apprenti gbaka, sa chambre, c’est son gbaka. On dort dans le véhicule. Ça veut déjà dire qu’on dort mal. Ça veut aussi dire qu’on se réveille vite. On dort tard, on se réveille tôt, on court toute la journée. Quand c’est comme cela, tu veux qu’on parle comment ? »

Apprenti gbaka n’a pas de salaire. Il vit de ‘’ration ‘’. La ‘’ration’’ est une paye quotidienne. Elle est de trois mille francs Cfa. « Tu peux faire quoi avec ça ? rien »

  • Trois mille francs par jour, ça fait quand même 90 mille francs à la fin du mois
  • Vieux père, c’est ça votre problème à Cocody. Vous aimez trop calcul. On ne peut pas balancer tous les jours quand même. Y a des jours où ton corps ne répond pas. Il y a des jours aussi tu ne trouves pas de gbaka.

Le fait de se mettre à quatre pour louer une maison provient de ce qu’il y a moins de gkaka que d’apprentis. Ailleurs, on dira que le marché est saturé. « On est trop. Donc il y a des jours où il n’y a rien à faire. Les jeunes qui grandissent, y a rien à faire pour eux si ce n’est pas balancer ? vendre lotus, cirer chaussures et après, apprenti gbaka »

 

Bledson Mathieu