Abengourou: Quand l'accès à l'eau potable plombe le développement dans plusieurs villages

Quand l'accès à l'eau potable plombe le développement dans certains villages
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Abengourou: Quand l'accès à l'eau potable plombe le développement dans plusieurs villages

Ce dimanche de décembre,  au petit matin, un attroupement inhabituel est observé dans la  cour du chef du village d’Améakro. Localité située à une quarantaine de kilomètres d’Abengourou dans la sous-préfecture d’Amélékia. Deux familles se sont retrouvées devant le tribunal coutumier pour régler un différend qui les oppose. La veille, deux jeunes adolescentes de 16 ans, appartenant à ces deux familles sont venues aux mains à la fontaine du village. Mlle Affoua Micheline explique que s’étant rendue à la pompe aux environs de 2 heures du matin pour chercher de l’eau, elle a dû  marquer sa place compte tenu de la longue file d’attente. En effet, elle a placé son seau vide derrière d’autres récipients qui étaient déjà là. Lasse d’attendre son tour, la jeune fille s’assoupit. Ainsi elle n’a pu voir son tour arriver.

Réveillée aux alentours de 4heures du matin par les chants des coqs, elle tente de remettre son seau dans la file indienne constituée de nouveau par les femmes. Un acte que n’apprécie pas Kadjo Hortense, une autre adolescente. C’est que, celle-ci  refuse que Mlle Affoua Micheline  installe son récipient au-devant d’elle sous prétexte qu’avant son somme cette position était  la sienne.

La petite Kadjo Marcelline ne veut rien entendre et renvoie du pied le récipient de Mlle Affoua dans les broussailles. “ Depuis 1heure du matin, je suis sur pied et attend mon tour. J’aurais pu aussi dormir comme elle, mais j’ai fait des efforts pour résister ”, se justifie-t-elle. 

Une bagarre s’engage alors entre les deux petites. Les parents alertés vont se mêler à la danse en se rangeant chacun du côté de son protégé. La bagarre se généralise. De sorte que cette histoire banale s’est transformée en palabre entre deux familles qui se connaissent depuis des décennies.

Le chef du village d’Améakro Nanan Kanga Fils Nazaire, appelé à trancher cette affaire, après avoir entendu les parties en conflit, a remis son verdict pour le jour suivant. Il entend s’entourer de toutes les garanties pour rendre sa décision. Car, selon le tribunal coutumier, celui qui perd le procès aura à payer comme amende…un mouton. En milieu rural, cette peine est considérée comme très lourde.

L’accès à l’eau menace la cohésion sociale

Selon les responsables coutumiers de la région, il a fallu instaurer cette amende pour éviter des conflits sanglants dans la localité. Mais surtout, maintenir la cohésion sociale dans les villages. “ Il ne se passait pas un jour sans qu’on assiste à des bagarres à la fontaine. Si ce ne sont pas des rixes entre autochtones ou entre allogènes ce sont entre allogènes et autochtones. Cette situation menaçait gravement la paix civile dans le pays rural de Tahakro.

Ainsi depuis l’instauration de l’amende, il y a une année de cela, les rixes à la fontaine ont été réduites de façon drastique. Surtout que les anciens se montrent intraitables sur les amendes infligées ”, explique Edoukou N’Dri, président des jeunes d’Anougbakro.

Outre Améakro, les bagarres et autres obstacles pour se procurer le liquide précieux sont très fréquentes dans tous les villages du pays rural de Tahakro. Bien qu’arrosé par le fleuve Comoé et les pluies, le pays rural de Tahakro connaît un véritable problème d’accès à l’eau potable.

De sorte que, les femmes des villages de Kouadiokro à Anougbakro en passant par Elinso, Tahakro et les campements de Konan konankro, N’dri kouassikro, Sialoukro et Koffikro consacrent une partie de leur journée à la recherche de l'eau pour l'usage quotidien de la famille.

“ Pour un seau d’eau vous pouvez passer la nuit à la fontaine. Et, il n’est pas évident que vous ayez le précieux liquide ”, soutient dame Adou  N’gouan  Suzanne du village d’Elinso II.

En réalité, les  pompes très sollicitées par les populations tombent constamment en panne. C’est que les différents forages réalisés dans les années 1980  en Côte  d’Ivoire sont aujourd’hui vétustes et dépassés.

Les populations ont augmenté entre-temps ainsi que les besoins en eau potable. Alors que les infrastructures n’ont pas suivies. Selon le chef du village de Tahakro, capital du pays rural, localité forte d’environ 7000 habitants, les 2 pompes villageoises forées en son temps sont aujourd’hui dépassées. “ Sur les deux pompes ce n’est qu’une qui fonctionne normalement ”, souligne- t-il.

Face à cette situation, les ménagères n'ont d'autres solutions que de se déporter sur le fleuve Comoé situé à moins d’un kilomètre de Tahakro.

Le hic,  c’est que l’eau du fleuve n’est pas bonne pour la consommation domestique. “ Les responsables de la santé publique nous ont interdit de consommer l’eau du fleuve Comoé. Au risque de contracter des maladies liées à l’eau. Mais nous ne pouvons pas faire autrement. Les pompes villageoises fonctionnent un jour sur 7 ”, se plaint une ménagère d’Anougbakro. 

Le fleuve Comoé qui traverse la localité est  en effet  source de plusieurs maladies telles que l’onchocercose, la diarrhée et d’autres maladies hydriques. L’infirmier du centre santé de Tahakro M. Soro Nazéténé, ne dit pas autre chose quand il indique que sur le “ taux de fréquentation du centre de 70 et 100 malades par mois, la diarrhée occupe une place de choix dans les maladies traitées ”.

En plus des maladies hydriques, le fleuve Comoé est impure. De façon quotidienne, des corps humains des populations environnantes sont repêchés par les pêcheurs et autres personnes qui naviguent sur ce plan d’eau.

La situation pour se procurer de l’eau est plus difficile pendant la saison sèche. Les femmes qui sont un peu éloignées du fleuve Comoé, se rabattent sur les  marigots de fortune creusés dans le lit de la rivière M’brassué situé à 12 km du village d’Elinso II. L’eau obtenue, d’une couleur verdâtre, est consommée directement sans traitement préalable.

Quant aux ménagères plus proches du fleuve, elles ne se font pas prier. “ Pendant la saison sèche où le problème d’eau se pose avec beaucoup plus d’acuité nous faisons fi des recommandations des agents de santé pour boire l’eau du fleuve parce que nous n’avons pas de choix. ”, se justifie  dame Ehouman Ahou du village de Tahakro.

Sa camarade, elle, explique qu’il est très fréquent de voir des corps en putréfaction avancée s’immobiliser dans les branchages à l’endroit où elle puise l’eau. “ A l’aide d’un bâton nous poussons le corps comme s’il s’agit d’une feuille et nous récupérons l’eau à l’aide de nos seaux. A force de voir les corps flottés sur le fleuve Comoé cela nous laisse indifférentes ”.

La recherche de l’eau du fleuve Comoé par contre ne se fait pas de toute gaieté pour les femmes.

La piste boueuse est envahie par les hautes herbes. Plus grave, la descente pour avoir accès à l’eau est en pic.

Ce qui nécessite que beaucoup de femmes gardent leur sang-froid. Au risque de basculer dans le vide. “ Dans ce cas vous vous relevez toute mouillée. Vous vous  assurez que vous n’êtes pas blessée et reprenez le chemin du fleuve ”, souligne souriante une adolescente de Tahakro Benié Angèle.

Ces femmes sont  la plupart du temps exposées aux morsures de serpents.

L’année dernière, une dame, du nom de Mawa Koné, revenant du fleuve dans le village de Tahakro, a été mordue par un serpent. Grâce à la célérité des soins donnés par  l’infirmier tout c’est bien terminée.

Des femmes des villages d’Elinso II et d’Améakro se contentent, quant à elle, de la retenue d’eau réalisée par une compagnie d’exploitation forestière de la région. D’une couleur verdâtre qui se confond avec la forêt environnante, l’eau est recouverte de jacinthe d’eau douce.

Malheureusement, c’est cette eau que dame N’zi Ya Madeleine consomme régulièrement. En effet, cette femme qui a perdu son bras gauche à la suite d’une maladie qui l’a clouée au lit pendant des années ne peut plus porter l’eau sur sa tête comme cela se pratique dans la région.

Ses deux filles mariées  qui l’ont soutenue pendant sa maladie ont rejoint leurs foyers respectifs. Elle ne vit aujourd’hui qu’avec sa sœur qui a aussi du mal à se déplacer. Ainsi pour sa consommation d’eau  potable elle a un fût de 4 litres.

“ Je compte sur la générosité des villageois pour qu’il soit rempli. Car je ne peux plus aller à la pompe ni au fleuve ”, indique-t-elle. Avant de révéler que lorsqu’elle n’a plus d’eau ou pendant la saison sèche où l’accès à l’eau potable se pose avec acuité, elle se dirige vers la retenue d’eau … boueuse pour se ravitailler. “ Alors qu’en temps normal cette eau ne permet que de faire la lessive. Mais moi je l’utilise pour la cuisson de la nourriture et pour boire directement ”

Le développement du pays rural est menacé

En dehors des consommations quotidiennes des foyers, l’accès à l’eau est un handicap pour le bon fonctionnement du centre de santé du pays rural de Tahakro et de l’école primaire publique du village.

Le pays rural dispose d’un dispensaire et d’une maternité moderne. Cependant, il n’est pas alimenté en eau courante. “ Faute d’eau courante, je suis contraint de recueillir chaque fois de l’eau de pluie pour nettoyer le matériel de travail ”, relève l’infirmier du village, M. Soro Nazéténé.

Sa collègue sage-femme de la maternité, Mme Brou Bahé, explique que pour les cas d’accouchement, elle demande aux parents de la patiente de faire venir de la maison deux grands récipients d’eau.

La situation est plus difficile à gérer lorsqu’il s’agit d’une hospitalisation. Les patients ne peuvent pas utiliser les sanitaires réalisés pour eux. Les sanitaires modernes ne fonctionnent qu’avec l’eau courante. Ce qui fait cruellement défaut dans le dispensaire.

Hospitalisé pour un accès palustre, le 24 juillet dernier, M. Kouadio Michel  est contraint de faire ses besoins naturels dans les broussailles situées derrière le centre de santé. Avec tous les risques que cela comporte. Les morsures de serpents et autre.

Après une chute à Konan Konankro, campement situé à une dizaine de kilomètres de Tahakro, il a été évacué sur le centre de santé de Tahakro. La préoccupation est que lui et les membres de sa famille n’ont pas de parents dans ce village centre. Son voisin de chambre d’hospitalisation,  affaibli par une fièvre Typhoïde, fait, quant à lui, ses besoins dans un bocal que ses parents se chargent de jeter dans les broussailles. “ Avant même de sortir ici tout le monde va tomber malade ”, indique un parent de patient.

Tanoh Ernest, lui, a plus de chance, ses parents ont une famille alliée qui habite le village. Bien que se déplaçant difficilement, ses parents l’envoie chaque jour chez “ ses parents ” pour sa toilette. Et cela  prendra  le temps nécessaire que va dure son hospitalisation.

Selon plusieurs habitants du pays rural de Tahakro, l’absence d’eau courante ralentit le développement du village.

De nombreux cadres et planteurs de la localité sont freinés dans leur volonté de bâtir leurs différents villages. Car l’absence d’eau courante ne permet pas de réaliser certains projets.

Certaines personnes ont tenté sans succès de réaliser des puits dans les différentes concessions. “ J’ai fait réaliser un puits de plus de 15 mètres chez moi. Mais, on ne peut que retirer tout au plus un seau d’eau de 10 litres par jour. Après cela on n'obtient que de la boue. ”, selon un cadre à la retraite à Elinso II.

Faute d’eau, certaines personnes des campements rattachés à Elinso II qui désirent s’installer dans le nouveau village hésitent encore. C’est le cas de M. Kouadio Sénédja Georges.

Planteur de café cacao à Elinso, il a bâti une résidence de 4 pièces avec toutes les commodités modernes. Cependant, il tarde à l’habiter avec sa famille. Toutefois, Il est contraint de toujours vivre dans sa petite maison devenue exiguë pour sa famille dans l’ancien village. Là-bas, à défaut d’avoir l’eau courante, il a en abondance l’eau du fleuve Comoé… source de toutes les maladies hydriques.

Pour les populations du pays rural de Tahakro, l’instabilité des fonctionnaires dans la cité s'explique par la cécité des rivières, l’électrification rurale. Mais surtout, l’absence d’eau potable.

En effet, les enseignants affectés dans les écoles du pays rural de Tahakro désertent les lieux aussi vite qu’ils sont venus. Ils ne font pas en moyenne plus d’une année scolaire. “ Il arrive très souvent que les instituteurs affectés dans notre localité abandonnent les classes en pleine année scolaire ”, insiste le président des jeunes de Tahakro, M. Enoukou Aka François. Les populations d’Anougbakro, eux, expliquent que l’année dernière face au déficit d’instituteurs ils ont dû faire appel à des enseignants bénévoles pour encadrer leurs enfants. “ Chaque parent d’élèves a dû mettre la main à la poche pour assurer le salaire de ceux-ci ” relève-t-il.

Aujourd’hui, l’un des souhaits de la population rurale de Tahakro est d’avoir l’eau courante en quantité suffisante pour les ménages. Aussi les populations plaident-elles pour l’avènement de l’Hydraulique villageoise améliorée (HVA) dans leur localité. Mais, selon des spécialistes en Hydraulique villageoise améliorée, la réalisation des HVA nécessite l’énergie électrique. C’est pourquoi, les populations du pays rural de Tahakro souhaitent en plus de l’eau courante l’électrification rurale.

“ Avec le fort potentiel économique  du pays rural de Tahakro, nous méritons l’électrification rurale et l’eau courante ”, a conclu M. Etienne Joseph, notable à Anoungbakro.

HVA, LA SOLUTION

L’hydraulique villageoise améliorée (HVA) est une mini-adduction d’eau comprenant un forage équipé d’une pompe électrique, d’un réservoir en polyester de 5 à 20 m3 monté sur un trépied de 10 à 15 m de haut. L’eau est distribuée à l’aide d’un réseau simplifié qui alimente les bornes fontaines.

Théodore Kouadio

Theodore.kouadio@fratmat.info