Turquie : M. Erdogan fait preuve d’intransigeance et de fermeté

M. Erdogan
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Turquie : M. Erdogan fait preuve d’intransigeance et de fermeté

Avant la rencontre d’explication entre le Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan et les représentants du mouvement de contestation prévue aujourd’hui, après 12 jours de crise politique, des milliers de manifestants sont revenus, mardi soir, sur la place Taksim d’Istanbul alors que la police s’est retirée en bordure de ladite place après une journée d’affrontements avec les contestataires, ont constaté des journalistes de l’AFP. C’est que le Premier ministre a choisi la fermeté et d’user de la force contre les manifestants. Il a assuré que son gouvernement ne ferait plus preuve « d’aucune tolérance » envers les contestataires : «Je m’adresse à ceux qui veulent poursuivre ces événements, qui veulent continuer à semer la terreur : cette affaire est maintenant terminée. Nous ne ferons plus preuve de tolérance », a-t-il déclaré devant les députés de son Parti de la justice et du développement (Akp, issu de la mouvance islamiste).

Cette sévère mise en garde contre ceux qui ont décidé d’instaurer la dictature de la rue pour se faire entendre, sonnait comme un mot d’ordre pour les forces de sécurité. La police qui n’avait plus mis depuis une semaine les pieds sur  la place Taksim a signé son grand retour mardi, en réveillant au petit matin, les manifestants encore endormis sous les tentes dressées dans le parc Gezi et sur la place Taksim. Surpris dans leur sommeil par des gaz lacrymogènes et des canons à eau, les contestateurs ont dénoncé le double jeu du Premier ministre qui les invite au dialogue et les attaque. Et leur cri d’indignation est poussé par un groupe de supporters du club de football de Besiktas, qui se trouve à la pointe de la contestation : «Vous voyez ça ? Nous attaquer après avoir annoncé qu’il nous rencontrerait demain (aujourd’hui Ndlr) pour discuter ? Quel genre de chef de gouvernement fait ça ? » Puis les manifestants de réaffirmer leur détermination : «Nous n’abandonnerons pas le parc Gezi, ils peuvent envoyer des centaines d’autres policiers, nous sommes plus nombreux ». Ils ont scandé des slogans hostiles au chef du gouvernement turc : «Maudite soit la dictature de l’Akp. Ce n’est que le début, la lutte continue. Main dans la main contre le fascisme ».

 Dans sa volonté de casser la fronde, le gouvernement qui, par la voix du Premier ministre, a déploré, selon France 24, 4 morts, s’est aussi attaqué aux hommes en toge. La police a interpellé hier 73 avocats qui protestaient contre son intervention dans la matinée contre les manifestants occupant la place Taksim d’Istanbul, a rapporté l’Afp citant un communiqué de leur association : «  Le nombre des avocats arrêtés a maintenant atteint 73 ». La réaction du président des barreaux de Turquie a été immédiate. Metin Feyzioglu, dans un  commentaire publié sur sa page facebook, s’est ému de ces arrestations : «Nous nous rendons d’Ankara à Instanbul pour rencontrer les autorités sur place». L’interpellation des avocats devenue un fait divers en Turquie (32 d’entre eux sont actuellement en détention provisoire pour leurs liens supposés avec des organisations clandestines, notamment les rebelles kurdes du Parti des travailleurs du Kurdistan (Pkk), n’a pas cependant manqué d’émouvoir les responsables du Parti pour la paix et la démocratie (Bdp, pro-kurde) qui dans un communiqué, ont réclamé «  la libération immédiate des avocats en garde à vue et le lancement d’une enquête contre les responsables qui ont abusé de leur charge officielle en ayant recours à la violence ». Ils ont également enjoint le gouvernement d’arrêter d’utiliser « le langage de la violence ». Dans une telle atmosphère où la crise de confiance est profonde, quelle chance pour la dialogue voulu par le gouvernement ?

 Quel dialogue ?

 En plus des acteurs de la crise, notamment les manifestants qui dénoncent la mauvaise foi du gouvernement : «  Pouvez-vous croire ça ? Ils attaquent Taksim et nous gazent ce matin (hier) alors qu’ils ont proposé hier soir de discuter avec nous ? », l’Ong Greenpace, invitée à ce rendez-vous, a déjà fait savoir qu’elle ne s’y rendrait pas. En faisant de la fin des violences une conditionnalité : «  D’abord, la violence doit cesser ». De son côté, le collectif des écologistes de défense du parc a, lui aussi, dénoncé le recours à la violence : « Nous restons là tant qu’aucune mesure concrète n’aura été prise pour satisfaire les demandes des jeunes qui protègent Taksim et le parc Gezi». Mais le plus grand danger qui rend cette sortie de crise improbable, c’est la question de la légitimité dont se prévaut de façon infatuée le chef du gouvernement qui est l’autre antagoniste. En 2011, l’Akp avait recueilli lors des législatives 50% des suffrages et Recep Tayyip Erdogan, assuré du soutien de la majorité de ses compatriotes, n’a cesse de renvoyer les contestataires aux élections municipales de 2014 pour examiner leur mécontentement. Bien que son intransigeance lui ait value bien de critiques dans le monde, notamment de la part de son allié américain ou de l’Union européenne (UE) qui ont dénoncé le recours abusif de la force par la police turque, Erdogan n’est pas prêt de lâcher du lest.

Franck A. Zagbayou