Barrage du Nil : Le partage des eaux agite les relations entre l’Égypte et l’Éthiopie

Mohamed Morsi, Président de l’Egypte dénonce le projet éthiopien.
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Barrage du Nil : Le partage des eaux agite les relations entre l’Égypte et l’Éthiopie

Ndlamini Zuma a situé le cadre qui doit soutenir la solution négociée au différend autour d’un projet de barrage éthiopien sur le Nil-bleu et auquel s’opposent les autorités égyptiennes, qui craignent que la construction du barrage Grand Renaissance sur le Nil-bleu ne réduise le débit du Nil, vital pour l’Egypte. Les deux pays doivent trouver une solution dégagée du « contexte colonial ». Alors que l’Union africaine recommande une solution « dans un contexte nouveau qui ne soit pas celui créé par les puissances coloniales » , mais  qui soit un contexte « panafricain », l’Egypte considère que ses « droits historiques » sur le Nil sont garantis par des traités de 1929 et 1959, lui accordant le droit de veto sur tout projet en amont qu’elle jugerait contraire à ses intérêts.

Ces textes sont toutefois contestés par la majorité des autres pays du bassin du Nil, dont l’Ethiopie, qui ont conclu un accord distinct en 2010 leur permettant de réaliser des projets sur le fleuve sans avoir à solliciter l’approbation du Caire. L’Accord-cadre de Coopération (CFA) signé depuis 2010 a été ratifié, jeudi, par le Parlement ethiopien. Paraphé par six des dix Etats-membres de l’initiative du Bassin du Nil (NBI, qui regroupe les pays riverains du fleuve), cet accord –cadre prévoit notamment «  une utilisation équitable des eaux du Nil ».

Outre l’Ethiopie, le Burundi, le Kenya, le Rwanda, la Tanzanie et l’Ouganda ont signé le Cefa, la République démocratique du Congo (Rdc) et le Soudan du Sud, indépendant depuis juillet 2011, ont annoncé leur intention de le faire. Cette passe d’arme entre l’Egypte et l’Ethiopie pose la question cruciale du partage des eaux du Nil et Frédéric Lasserre, auteur de « Les guerres de l’eau »,2009 Editions Delavilla, nous rappelle que l’eau est au cœur des conflits du XXIe siècle.

Contexte historique

 Le Nil est au cœur d’un grave conflit. Puissance dominante du bassin du fleuve, l’Egypte a signé  des accords avec certains de ses voisins du sud pour se garantir l’essentiel du flux. 95% de l’eau égyptienne provient de l’extérieur de ses frontières, ce qui entretient la crainte que les eaux du Nil, vitales dans le désert, viennent un jour à manquer. Doté d’une démographie galopante et d’une surface utile très réduite, l’Egypte a montré des signes très nets d’agressivité dès que le Soudan ou l’Ethiopie, que drainent les affluents du Nil, ont laissé paraître une volonté d’exploitation de leurs ressources en eau.

En 1979, le Président Sadate affirmait : «Le seul facteur qui pourrait déclencher l’entrée en guerre de l’Egypte est l’eau. Boutros Boutros-Ghali, alors ministre des Affaires étrangères, avait résumé en 1987 la position de son pays, en soulignant que « La prochaine guerre dans la région porterait sur les eaux du Nil » D’où provient la crainte égyptienne ? Les pays d’amont, Ethiopie, Ouganda, Kenya ont-ils eu la possibilité de bénéficier de la ressource du fleuve ? Est-il possible d’envisager une mise en valeur conjointe de ces eaux ?

Le Nil est le plus long fleuve du monde. Il draine, sur ses 6671 km, un bassin imposant de 2,9 millions de km2, qui regroupe dix pays : Burundi, Rwanda RDC, Ouganda, Kenya, Tanzanie, Soudan, Ethiopie, Erythrée, Egypte. Le Nil est pour l’essentiel alimenté par les cours d’eau issus des plateaux éthiopiens (Nil bleu, Sobat, Atbara). Ils représentent 86% de son  débit.

Les enjeux socio-économiques

La population active dans le secteur agricole de l’Egypte est encore importante (35%), mais sa surface agricole utile demeure réduite, du fait de la salinisation dans la vallée du Nil. En 2040, le pays sera peuplé de 120 millions d’habitants or avec une population de 80 millions d’habitants en 2007, il y a eu un empiètement urbain sur les meilleures terres agricoles et une augmentation de la consommation.

L’Egypte pour régler ce dilemme est obligé de recourir à des importations massives de denrées alimentaires : il est le quatrième importateur mondial de blé. L’Ethiopie comme l’Egypte doit faire face à la fois aux conséquences de sécheresse cumulées qui fragilisent les exploitations agricoles existantes et à l’augmentation rapide de sa population : 65,5 millions d’habitants en 2001, 76,2 millions en 2008 et 120 millions en 2025, selon les prévisions de Jacques Bethmont, Les Grands Fleuves. Entre nature et société, Armand Colin, Paris 1999,P.202. L’Ethiopie pour assurer un certain degré de sécurité alimentaire à sa population refuse de renoncer à un ambitieux programme de mise en valeur des terres agricoles par l’irrigation.

Entre  1990 et 2005, ce sont 128 000 hectares de terres qui ont été mises en irrigation soit 2,2% des terres arables contre 100% en Egypte. Les projets retenus par le gouvernement prévoient à court terme la mise en valeur de 90.000 hectares grâce à la construction d’un réservoir de 7,5 milliards de mètres cubes au lac Tana. A moyen terme, le gouvernement envisage la mise en culture de 434.000 hectares, et à plus long terme, la construction de 36 barrages et la mise en culture de 1,5 million d’hectares dans les régions du Ouollo et du Tigré.

L’augmentation de la population et le désir de développement économique amènent aussi les pays situés plus en amont du fleuve à envisager d’exploiter davantage leurs ressources en eau et cela donne des inquiétudes à l’Egypte : «La sécurité nationale de l’Egypte repose dans les mains des huit autres pays africains du bassin du Nil », avait dit l’ancien ministre égyptien des Affaires étrangères, Boutros Boutros- Ghali, à la tribune du Congrès américain en 1989Avec le projet de construction du barrage Grand Renaissance, Addis-Abeba veut augmenter sa production énergétique et la vendre aux autres pays notamment le Kenya,le Soudan, Ouganda et le Rwanda. Mais la mise en valeur des ressources du Nil par les voisins d’amont de l’Egypte se double d’une dimension diplomatique : Israël est présent dans les projets éthiopien et ougandais.

A la rivalité sur le partage des eaux du Nil se superpose désormais une joute diplomatique entre Israéliens et Egyptiens sur l’allégeance des pays d’amont. Pour Israël, il est tentant d’offrir sa coopération technique, voire militaire, aux pays en butte à la colère égyptienne.

Vers une solution négociée ?

Des responsables et experts soutiennent que l’Egypte est limité dans  ses options. Ils estiment que l’Egypte ne semble avoir d’autre choix que de privilégier le dialogue pour régler ce contentieux considéré comme «  une question de vie ou de mort ». Le Caire n’avait pas écarté la possibilité de dépêcher son ministre des Affaires étrangères à Addis-Abeba après que le Président Morsi a indiqué que «  toutes  les options étaient sur la table ».

Le Chef du groupe parlementaire des Frères musulmans Essam el-Erian a affirmé que « le choix doit être celui des négociations et de la coopération » prenant certainement au sérieux  la mise en garde d’un chef de l’armée égyptienne, Sameh Seif al-Yazal, cité par l’hebdomadaire al-Ahram Hebdo : «L’Egypte sera la première perdante dans une telle guerre, car elle n’a pas les moyens de mener des opérations d’envergure aussi loin de ses frontières », rapporte l’Afp.

Franck A. Zagbayou