Émerger vraiment et ensemble

Venance Konan
Venance Konan
Venance Konan

Émerger vraiment et ensemble

Cette conférence réunira une quarantaine de pays et quelque 300 experts de haut niveau d’institutions multilatérales, de centres de recherche, d’entreprises privées et publiques et d’organisations de la société civile. Jusqu’au 20 mars, tout ce beau monde partagera ses expériences, débattra ensemble de stratégies et d’actions à mener pour aller vers l’émergence. Cette émergence dont toute l’Afrique parle et qui fait sourire certains. Chaque État africain rêve effectivement d’émergence, et certains en ont même fixé l’échéance. Cela va de 2020 pour la Côte d’Ivoire et la Guinée équatoriale, à 2035 pour le Sénégal et le Cameroun, entre autres. « Peut-on émerger par décret ? », s’est interrogé un grand penseur africain ; histoire de dire que l’on n’a pas à fixer de date pour l’émergence et que l’on constatera celle-ci lorsqu’elle adviendra. Sans doute. Mais l’on émerge certainement plus sûrement en en rêvant, puis en se donnant les moyens de réaliser ce rêve et en se fixant des échéances. L’émergence en 2020, 2025 ou 2030, est-ce un vain slogan ? On pourrait voir les choses ainsi. Mais lorsque les dirigeants et les peuples ont réellement la volonté d’y parvenir, qu’ils y travaillent effectivement et sérieusement, cet objectif peut devenir réalité. Les pays qui ont émergé avant nous ont agi ainsi. Un pays comme la Chine a établi des plans et s’est donné des échéances qu’elle s’est efforcée de respecter. Aujourd’hui plus que jamais, les États africains disposent d’atouts pour faire émerger le continent. Vers la fin de sa vie, Félix Houphouët-Boigny avait coutume de citer le nombre de cadres qu’il y avait dans son pays lorsqu’il accédait à l’indépendance, en 1960.

Il y en avait très peu. Et pourtant, le visionnaire qu’il était avait, dès 1946, commencé à envoyer bien des jeunes de son pays se former en France, à ses propres frais ; ce que l’on souligne rarement. Dans un pays comme la République démocratique du Congo, au moment de l’indépendance, le plus diplômé devait avoir tout au plus une licence. À cette époque, l’écrasante majorité de nos populations étaient analphabètes. Il y avait très peu de moyens de communication. Et cerise sur le gâteau, du fait de la guerre froide, tous ces pays, dont les dirigeants étaient pour la plupart de simples marionnettes aux mains des grandes puissances, se combattaient les uns les autres. Sans compter le traumatisme de la colonisation. Nous sommes, aujourd’hui, dans une tout autre configuration. Nous avons de plus en plus de dirigeants qui ont une vraie vision de leur continent et de ce qu’ils ont à faire, des populations jeunes, dynamiques, bien informées, à défaut d’être bien formées, largement décomplexées par rapport aux autres peuples et des compétences de plus en plus nombreuses et recherchées. Ce qui a encore changé, c’est, par exemple, le fait que plusieurs pays africains se retrouvent ensemble, ici à Abidjan, pour réfléchir sur leur émergence. Cela veut dire que nous avons tous compris que nous ne pourrons émerger qu’ensemble. Nos entités étatiques sont trop petites ou trop faibles pour espérer pouvoir sortir la tête de l’eau toutes seules. Il est heureux de constater que nos organisations d’intégration économique ont retrouvé leur dynamisme, tout au moins en Afrique de l’Ouest, comme on le voit avec la Cedeao, l’Uemoa ou le Conseil de l’Entente. Mais cela ne doit pas occulter le fait que nous avons encore beaucoup d’efforts à faire au niveau de nos différents systèmes éducatifs. Tant que nous ne construirons pas des écoles performantes qui formeront nos jeunes gens en fonction de nos besoins, tant que nous nous contenterons de distribuer des diplômes sans aucune valeur à nos enfants, l’émergence restera effectivement un slogan creux. Et elle le demeurera aussi tant que nous n’aurons pas appris à nous nourrir nous-mêmes. Tous les pays africains se définissent comme des pays agricoles, mais dans leur grande majorité, ils consacrent leurs terres les plus fertiles à la culture de produits agricoles qu’ils ne consomment pas, tels que le café, le cacao, l’hévéa, la noix de cajou, le haricot, pendant qu’ils sont obligés d’importer leur nourriture. Enfin, on ne pourra véritablement parler d’émergence que le jour où nous aurons libéré nos paysans de la machette et de la houe, et nos femmes du mortier et du pilon. Si nous le voulons vraiment, nous pourrions aisément trouver des ingénieurs d’ici ou d’ailleurs, assez compétents pour nous fabriquer, à moindre coût, des machines capables de remplacer les machettes et dabas dans nos champs, de piler le foutou, le mil, le riz, le sorgho et autres à la place de nos femmes.

Venance Konan