Émergence et attentes sociales

Venance Konan
Venance Konan
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Émergence et attentes sociales

Le B de BRICS désigne le Brésil, le reste étant Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud. Le Brésil est tellement fort aujourd’hui qu’à l’occasion du cinquantenaire de l’Union africaine, il a annulé les dettes de plusieurs pays africains dont le nôtre. Le Brésil a été choisi pour abriter la prochaine coupe du monde de football, ainsi que les prochains Jeux olympiques. Organiser ces deux grands évènements sportifs est la preuve la plus tangible, si besoin en était, qu’un pays est entré dans la cour des grands, sur le plan économique. Mais voilà que depuis quelques semaines, sa jeunesse ne cesse de protester bruyamment, et parfois violemment, dans les principales villes du pays. Elle proteste contre la hausse des prix des transports, le coût de l’organisation de la coupe du monde de football qu’elle trouve exorbitant, la corruption dans le pays, et globalement, contre son mal-être. Que de jeunes Brésiliens protestent contre l’organisation de la coupe du monde de football dans leur pays est assez symptomatique de la profondeur de leur malaise. Cela signifie qu’ils ne se retrouvent pas dans la belle image que donne leur pays, et qu’ils ont le sentiment de ne pas profiter assez de sa forte croissance économique.

Le S de BRICS désigne l’Afrique du Sud (South Africa, en anglais). Ce pays est aussi sur la liste des nouveaux pays émergents. Il n’y a pas longtemps, on y a vu des policiers tirer à balles réelles sur des mineurs en grève. On y décrie, depuis longtemps, le fossé qui s’agrandit, de jour en jour entre les riches qui deviennent de plus en plus riches et les pauvres qui deviennent de plus en plus pauvres. On y parle aussi de la corruption des gens du pouvoir et de nombreux observateurs se demandent si ce pays saura préserver sa stabilité, lorsque Mandela et Desmond Tutu, les consciences morales du pays, auront disparu. Monseigneur Tutu a déjà fait savoir qu’il ne votera plus pour l’ANC, le parti au pouvoir, à cause de sa corruption et son incapacité à répondre aux aspirations des plus pauvres.

La Turquie est aussi un autre pays émergent, même si elle ne figure pas sur la liste des BRICS. Peut-être parce qu’elle n’en est plus là. Cela fait de longues années que la Turquie cherche à entrer dans l’Union européenne, parce qu’elle estime que son économie obéit à tous les critères qu’exige l’Union. Mais elle n’a pas encore réussi à y adhérer, seulement parce que certains Européens estiment que les racines de l’Europe sont, avant tout, chrétiennes, alors que la Turquie est musulmane et que la plus grande partie de ce pays se trouve sur le continent asiatique. Toujours est-il que l’économie de la Turquie est extrêmement dynamique ; d’où le fait que de nombreux pays européens soutiennent son adhésion, malgré sa culture islamique et sa géographie asiatique.

À l’instar de certains membres des BRICS tels que le Brésil, la Chine ou l’Inde, la Turquie a aussi entamé une opération de charme envers l’Afrique, le continent de toutes les convoitises pour les pays qui veulent réellement émerger. Là-bas aussi, la jeunesse n’est pas contente de son sort et manifeste, depuis plusieurs semaines, contre le Premier ministre.

En 2011, au moment où nous nous battions contre la dictature de Gbagbo, la Tunisie s’est enflammée, contaminant son voisin libyen et plusieurs autres pays arabes. Et pourtant, pour l’Ivoirien que je suis, la Tunisie me semblait être un modèle de pays en voie d’émergence. Ce n’était pas faux, mais le régime de Ben Ali avait oublié les aspirations de la jeunesse et n’avait pas tenu compte des accusations de corruption contre son régime et surtout sa belle-famille.

Ces exemples nous montrent bien qu’un pays peut très bien se porter sur le plan économique, ses dirigeants peuvent être vertueux, mais si la perception que le peuple a de ces derniers est différente, si les attentes de sa jeunesse ne sont pas prises en compte, il se met en danger. Lors des échanges que j’ai eus avec l’ancien Président allemand, Horst Köhler, dimanche dernier, à Bassam, il a beaucoup insisté sur la vertu dans la gouvernance, la nécessité de former la jeunesse et surtout de l’intégrer très tôt au débat politique. Plus une jeunesse est formée, a-t-il ajouté, plus ses attentes sont fortes. D’où l’obligation, pour les dirigeants d’être toujours à son écoute en lui donnant, très tôt sa place dans le jeu politique et dans le tissu économique. Méditons tout cela en nous disant que ce dont nous devons le plus tenir compte est la perception du peuple.

Venance Konan