Visa, investissement et tourisme

Visa, investissement et tourisme

De nombreux pays européens, surtout la France, venaient de subir des attentats meurtriers perpétrés par des terroristes basanés. Et, dans la même période, de nombreux Africains cherchaient à fuir leur continent qui se paupérisait de plus en plus pour  aller chercher leur pitance en Europe. C’était l’époque où l’on parlait de « conjoncture » en Côte d’Ivoire.


Vexés que les Européens que nous prenions pour des amis, voire des parents, nous ferment ainsi leurs portes au nez, nous exigeâmes de nos gouvernants qu’ils leur imposent aussi des visas. Nos dirigeants, que notre exode vers l’Europe ne dérangeait pas du tout, bien au contraire, se vexèrent aussi et obtempérèrent. Ils décidèrent presque tous d’appliquer la règle de la réciprocité. Des visas pour entrer dans nos pays furent donc imposés aux ressortissants des pays les plus riches du monde, c’est-à-dire les Européens, les Américains, les Japonais, les Coréens, etc. « Ils vont voir ce qu’ils vont voir, ces gens-là. Ils croient qu’ils sont les seuls à savoir imposer des visas ? »


Le problème est que ces gens-là ne sont pas très demandeurs pour venir dans nos pays. Depuis le milieu des années quatre-vingt justement, lorsque la galère a commencé chez nous, et surtout après quatre-vingt-dix, lorsque la démocratie a pointé le bout du nez chez nous et que nous nous sommes mis à brûler très démocratiquement nos rares bus, la plupart des Européens avaient commencé à rentrer chez eux. Le mouvement s’est accéléré, lorsque nous sommes devenus soit des rebelles, soit des patriotes et que quelqu’un a dit «  A chacun son Blanc. » Et, à part quelques-uns qui avaient vraiment notre continent dans la peau ou qui se faisaient beaucoup d’argent, malgré la misère qui avançait à grands pas, la majorité d’entre eux n’avait plus envie de revenir chez nous.


Nous sommes en 2013 et la galère est toujours là. Ce qui ne nous empêche pas de rêver de devenir un pays émergent. Pour la Côte d’Ivoire, l’échéance est 2020. Pour devenir un pays émergent, il faut des investissements. Qui dit investissement dit investisseurs. Il faut bien qu’ils viennent chez nous pour investir. D’ailleurs, tous nos chefs parcourent le monde régulièrement à la recherche d’investisseurs, puisqu’il n’y en a pas beaucoup chez nous. Mais comme nous sommes toujours fâchés contre le visa qu’ils nous imposent, nous continuons d’imposer le nôtre. C’est comme ça. Tant que vous ne supprimerez pas le vôtre, nous ne vous emboîterons pas. D’ailleurs, pour bien leur montrer que nous sommes très vexés, nous avons corsé les choses dans nos ambassades dans leurs pays, de telle sorte qu’obtenir nos visas est un vrai parcours du combattant. N’est-ce pas ce qu’ils nous font subir dans nos pays ? C’est cela la réciprocité.


C’est au début des années quatre-vingt-dix que nous avons englouti une bonne partie de nos ressources dans la construction de la plus grande basilique du monde avant ou après celle du Vatican. Nous rêvions secrètement d’y voir débarquer des charters entiers de touristes. Force est de reconnaître que depuis plus de vingt ans, on n’en voit pas beaucoup. Nos réceptifs hôteliers sont désespérément vides et nous ne comprenons pas pourquoi.


Finalement, que craignions-nous en instaurant nos visas aux Européens et Américains qui veulent venir chez nous ? Que craignons-nous toujours en les maintenant ? D’être envahis par des hordes d’Européens et d’Américains affamés qui chercheraient à venir nous piquer nos bananes braisées et notre attiéké ? Il faudrait que nous sachions ce que nous voulons. Quand on veut des touristes et des investisseurs pleins de devises, on ne met pas d’entraves à leur venue. Or, c’est ce que nous faisons. Dans un pays comme la Tunisie dont les ressortissants doivent obtenir des visas pour se rendre en Europe, les Européens peuvent y aller en présentant seulement une carte d’identité. Les Tunisiens n’ont pas cherché à appliquer la réciprocité. Ils ont compris que si les Européens n’avaient pas besoin d’eux dans leurs pays, eux par contre avaient besoin des Européens, et surtout de leur argent dans leur pays. Le résultat est que des millions de touristes défilent chaque année en Tunisie, en y laissant de substantielles devises. Tunis est à deux heures de Paris avec des billets d’avion qui ne coûtent pas cher. Abidjan, c’est à près de six heures, avec des billets d’avion qui coûtent les yeux de la tête. Si en plus, nous y ajoutons des visas qu’il faut trimer pour obtenir, ne soyons pas étonnés de ne pas voir beaucoup de touristes sur nos plages et autour de notre basilique. Même Dieu ne fera pas de miracle pour ça.


Venance Konan