Sauver nos forêts

Plume
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Sauver nos forêts

Certes, avec la saison des pluies, d’autres galères vont commencer et nous pourrions même assister à des tragédies, avec nos canalisations bouchées, nos caniveaux à ciel ouvert et nos maisons mal construites dans des zones non-constructibles. Mais il y a quelque mois, nous étouffions sous la chaleur et certaines parties de notre pays étaient ravagées par les feux de brousse. Et si la saison des pluies nous permet de voir tous les défauts de notre Abidjan, la sécheresse nous a permis de toucher du doigt une autre réalité qui est la déforestation de notre pays. Moins il y a de forêt, moins il pleut. Et la faute n’incombe pas seulement aux feux de brousse. On le sait, au moment de l’indépendance de notre pays, nous étions à environ vingt millions d’hectares de forêts pour une population d’à peine deux millions de personnes. Aujourd’hui, nous sommes à plus de vingt millions d’habitants et il nous reste moins de deux millions d’hectares de forêts. Ce qu’il nous reste de forêt est-il condamné à disparaître ? Oui, si nous ne faisons rien. Avons-nous besoin de forêt ? Oui, si nous ne voulons pas vivre dans un désert. Le désert avance depuis longtemps vers les pays côtiers d’Afrique de l’Ouest qui s’en croyaient très éloignés. Et notre pays n’est absolument pas à l’abri d’être rattrapé par le désert. Notre forêt nous a permis de développer une agriculture florissante qui a fait de ce pays le plus attractif de la région; elle nous a permis de ne pas souffrir les affres de la sécheresse qui décime les populations et les humains comme c’est le cas dans les pays du Sahel, et elle a aussi permis à de nombreuses entreprises de gagner de l’argent en vendant le bois. Aujourd’hui, alors que la terre toute entière est confrontée au réchauffement climatique et à ses conséquences désastreuses, tout le monde comprend la nécessité de sauver les forêts. Nous aussi nous subissons les conséquences de ce réchauffement climatique, avec ces montées de grosses chaleurs, ces inondations, ces saisons décalées qui désorientent nos paysans, avec pour corollaire l’absence de certains produits vivriers sur nos marchés. Si rien n’est fait, la situation ira en s’aggravant, jusqu’à ce qu’elle soit irréversible. Est-il encore possible de faire quelque chose ? Oui, si nous le voulons. Et c’est à ce niveau que se trouve la difficulté. Voulons-nous vraiment renverser la vapeur, c’est-à-dire faire d’abord en sorte de ne plus perdre de forêt, puis ensuite d’en gagner ? Il y a quelques mois, le ministère des Eaux et forêts avait organisé, en présence du Premier ministre, un atelier sur ces questions et il en est ressorti qu’il est encore possible d’arrêter de massacrer nos forêts et même d’en créer de nouvelles. On peut tout à fait arrêter de détruire ce qui nous reste de forêt et commencer à reboiser, c’est-à-dire planter de nouveaux arbres. Ce n’est pas plus compliqué que cela. Tout est une question de volonté. Mais entre l’affirmation d’une volonté d’agir et l’action elle-même, il se passe souvent beaucoup de temps et parfois, l’on finit tout simplement par oublier d’agir.

Nous devons tous comprendre que la sauvegarde de notre forêt est une question de survie pour notre pays. La Côte d’Ivoire sans sa forêt ne sera plus la Côte d’Ivoire. Nous serions tout simplement comme un pays sahélien, avec les souffrances qu’endurent ces genres de pays et qui poussent leurs populations à les fuir, au péril même de leurs vies. Certaines décisions seront sans doute difficiles à prendre, mais il faudra les prendre. Si des personnes vivent dans des forêts classées et les détruisent, il faudra les en chasser. Si des entreprises pillent les forêts, il faudra les sanctionner, même si cela devrait créer du chômage. Il faudra surtout engager une vraie politique de reboisement. On peut consommer du bois sans perdre des forêts, pourvu qu’une bonne politique de reboisement soit mise en place. Si depuis le début de la colonisation de notre pays, période où le bois a commencé à être exporté, nous avions planté de nouveaux arbres pour remplacer ceux que nous abattions, notre couvert végétal serait à peu près intact, malgré l’accroissement de notre population, ou du moins il serait dans un état moins dramatique qu’il ne l’est aujourd’hui. Mais, comme des inconscients, nous avons continué à couper le bois comme si la forêt ne pouvait pas finir. Et quand nous avons réalisé qu’elle pouvait finir, et même qu’elle était en train de finir, nous n’avons pas arrêté pour autant de la détruire. Là, ce n’est plus de l’inconscience.

Venance Konan