Quand mon ami Tiburce Koffi se fâche

Venance Konan
Venance Konan
Venance Konan

Quand mon ami Tiburce Koffi se fâche

Parce que l’un et l’autre, et surtout « l’Appel de Daoukro », privent Charles Konan Banny, le champion de Tiburce Koffi, de bénéficier du soutien franc du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (Pdci-Rda) et d’avoir ainsi une chance, fût-elle infime, de battre Alassane Ouattara à la prochaine élection présidentielle. Et quand mon ami est fâché, cela donne soit de très longs et poétiques articles, soit des livres. Cette fois-ci, il a choisi de publier un livre intitulé « Présidentielle d’octobre 2015. Non à « l’appel de Daoukro». La visée première de ce livre, comme il l’explique en page 17, est de « participer, de manière citoyenne et ouverte, au débat d’actualité et d’intérêt national que suscite, dans l’informel et autres cercles de discussions clandestins « l’appel de Daoukro. » Je me permets donc de participer à ce débat intellectuel à travers ces lignes.

Tiburce Koffi reproche d’abord à Alassane Ouattara de briguer un second mandat : « Oh ! Comme j’aurais voulu, président Ouattara, que vous ne vous présentassiez pas à ce scrutin, écrit-il à la page 107. Laurent Gbagbo en prison, Henri Konan Bédié mis hors course par les textes, vous restez le dernier du trio infernal qui a conduit la Côte d’Ivoire dans la fournaise. Votre départ à la « retraite politique » aurait sans doute sonné la fin du cycle maléfique - les temps de tornade, de feu et de plomb qui ont sérieusement abîmé ce pays. Et la Côte d’Ivoire entamerait ainsi un cycle nouveau, avec des hommes nouveaux et de nouvelles espérances, pour une nouvelle histoire nationale sans cette culture de la violence qui nous a tant divisés… » Eh oui ! Que les choses auraient été plus simples pour Banny, si Ouattara ne se présentait pas pour un second mandat ! Mais malheureusement pour mon ami, notre Constitution permet au Président actuel un second mandat; et, si d’aventure il venait à l’esprit de Ouattara de renoncer à le briguer, nous serions très nombreux, à défaut de pouvoir l’y obliger, au moins à le supplier de continuer l’œuvre qu’il a commencée. C’est d’ailleurs étrange que Tiburce Koffi demande à Ouattara de se contenter d’un seul mandat lorsqu’il écrit à la page 108 : « Je reste convaincu que, ce que le Président Ouattara a réalisé en moins de trois années d’exercice du pouvoir exécutif, relève du prodige, quand on réalise combien nous avons été sevrés de défis de construction nationale de grande envergure pendant près de deux décennies. »  Un peu plus haut, à la page 103, il écrivait : « Et je devine tout ce que le président Ouattara a encore comme projets de requalification infrastructurelle du pays ! En seize années de règne d’Henri Konan Bédié et de Laurent Gbagbo, la Côte d’Ivoire n’a pu connaître un tel bond qualitatif dans ce domaine ! Et je me dis que, si Ouattara avait été là seize années plus tôt, Abidjan en serait peut-être aujourd’hui à son septième pont, son dixième échangeur ; Abidjan aurait été doté d’un gigantesque aéroport international de l’envergure (ou même plus) de celui de Casablanca. Et tout le pays aurait été équipé d’infrastructures respectables ! Donc, oui, Alassane Ouattara a prouvé qu’il méritait de diriger ce pays sien auquel, il a, certainement, encore beaucoup à donner. » Alors, Ouattara étant donc ce que tu dis, dis-nous, Tiburce Koffi, pourquoi tu veux qu’il ne brigue pas un second mandat, quand la Constitution ne l’en empêche pas ? Ah, j’allais oublier ! Banny ! Oui, 2015 est sa dernière chance de participer à une élection présidentielle, à cause de son âge. Donc, Tiburce reconnaît que Ouattara travaille bien, mais qu’il devrait s’effacer pour que Banny ait la chance de diriger la Côte d’Ivoire. Ferait-il mieux que Ouattara ? Là n’est pas la question. Il faut juste qu’il soit président, c’est tout ! On verra le reste après.

Ouattara ne s’étant pas retiré, l’espoir de Banny et les siens résidait dans une candidature appuyée par le Pdci-Rda. Et voici que Bédié ruine cet espoir par « l’Appel de Daoukro». Ô rage ! Ô désespoir ! Personne n’interdit à Banny d’être candidat, mais il sait très bien que, tout seul, en tant qu’indépendant, ses chances sont quasi nulles. Mon excellent ami se fâche donc et écrit ceci à la page 61 de son livre : « N’hésitons pas à le dire, cet « Appel », aux fondements douteux, est une invite insidieuse à la tricherie ! Oui, c’est tricher que de chercher à se faire élire sans adversaire de poids - par conséquent, de manière hautement antidémocratique.» à la page 64, Tiburce est encore plus furieux : « Soyons très explicites sur la question : pourquoi, mais oui, pourquoi le président Ouattara cherche-t-il tant à aller à cette présidentielle (qui s’avère moins difficile pour lui que celle de 2010) en candidat unique du Rhdp, et donc en candidat unique tout court ? Oui, je le répète : « en candidat unique tout court », car parlons-nous franchement : dans l’état actuel de la vie politique ivoirienne, quelle organisation politique, autre que le Rhdp, peut-elle offrir une corbeille de candidats crédibles au prochain scrutin ?...En somme, l’intelligentsia politique représentative de l’opinion et dotée de moyens, se trouve au Rhdp. » En clair, Tiburce Koffi nous dit ceci : M. Ouattara n’ayant pas d’adversaires de poids en face de lui, il faut, pour crédibiliser son élection, qu’il affronte un candidat issu de son propre camp. étrange raisonnement que celui-là ! à qui la faute, si l’intelligentsia se trouve au Rhdp, et si le Front populaire ivoirien (Fpi), le principal parti d’opposition, se déchire en ce moment ? Et qu’est-ce qui nous dit qu’il ne se ressoudera pas, le moment venu, pour affronter M. Ouattara ?

Le Rhdp est la coalition qui dirige le pays. Le Pdci-Rda en est un des poids lourds, au point que, ne l’oublions pas, le chef du gouvernement actuel est issu de ses rangs. Comme l’était son prédécesseur. Son président est celui que le Président Ouattara consulte régulièrement sur toutes les grandes décisions concernant le pays. Charles Konan Banny, pour qui le livre de Tiburce Koffi a été écrit, est issu de ce parti. Il était même le président de la Commission dialogue, vérité et réconciliation (Cdvr) créée par le Chef de l’État. à aucun moment, on ne l’a entendu se plaindre de la gestion des affaires du pays. Son parti non plus. Bien au contraire, le Pdci-Rda a toujours tressé des lauriers au Président Ouattara. Et voici qu’à quelque dix mois de l’élection présidentielle, Charles Konan Banny se déclare candidat, sans nous avoir dit ce qu’il reproche à l’actuel locataire du palais présidentiel, ni ce qu’il nous propose ou promet de mieux. Et voici que l’intellectuel Tiburce Koffi publie un livre dans lequel il affirme que ce serait de la tricherie que le Rhdp ne présente pas d’adversaire face à Ouattara, le président issu de cette coalition politique. Vous y comprenez quelque chose ? Dans quel pays, un parti, ou un regroupement  de partis, présente volontairement deux candidats face à des adversaires décidés à le battre, sous le prétexte « qu’à vaincre sans péril, on triomphe sans gloire ? », comme l’a plusieurs fois répété l’auteur du livre en question.

Un autre des reproches que fait Tiburce Koffi à Henri Konan Bédié est d’avoir proposé que le Pdci-Rda et le Rdr se réunissent à nouveau dans un parti qui pourrait s’appeler « Pdci -Rdr ». Ce serait là la suprême trahison d’Houphouët-Boigny. Faut-il rappeler à mon ami qu’un parti politique est un organe qui vit, grandit, et s’adapte ? En France, pays qui nous a légué sa culture et une partie de ses mœurs politiques, de Gaulle avait fondé son parti qui s’appelait le Rassemblement pour la France (Rpf). Puis ce parti s’est scindé en plusieurs autres, selon les époques, tels que l’Union pour la nouvelle République (Unr), Rassemblement pour la République (Rpr), Union pour la démocratie française (Udf), et beaucoup d’autres, qui ont fusionné pour devenir l’Union pour un mouvement populaire (Ump), lequel s’apprête à changer de nom.

Henri Konan Bédié a proposé à son parti, membre du Rhdp, de choisir Alassane Ouattara comme candidat unique de ce rassemblement. Son parti a choisi de trancher en février prochain. Pourquoi s’énerver en attendant ?