Nous revenons de si loin…

Nous revenons de si loin…

Nous revenons de si loin…

Ce samedi, j’ai eu l’occasion de retrouver chez mon frère Bernard de vieux amis, tous militants du Rassemblement des républicains (Rdr), avec qui nous avons animé un « village de campagne » dans le quartier de Treichville-Arras lors de la campagne électorale de 2015 pour la présidentielle.

Nos discussions ont inévitablement tourné autour de ce que l’on pourrait appeler l’affaire Soul To Soul. « On ne parle plus que de cela dans les « grins », m’ont-ils dit. Et cette affaire nous a complètement divisés. Certains en sont même venus aux mains. »

Les « grins », ce sont ces endroits où les militants du Rdr se retrouvent pour discuter, généralement de politique, autour d’un verre de thé. A la question de savoir quelle était la position de mes amis, ils m’ont presque tous en chœur répondu à peu près ceci :

« Nous revenons de trop loin pour en arriver là, à nous battre aujourd’hui entre nous. Nous nous sommes battus contre Bédié et nous avons fait la paix avec lui. Nous nous sommes battus contre Gbagbo et nous cherchons aujourd’hui à faire la paix avec lui. Pourquoi nous battre entre nous ? Quel est le palabre que nous n’aurions pas pu régler dans notre case ? Où ira notre pays si nous les militants du Rdr, nous faisons la guerre ? Nous le détruirons et ce sont les autres qui nous détesterons à jamais. Parce que lorsque nous nous sommes battus contre Bédié et Gbagbo, le pays est resté intact. Cela fait même honte que nous soyons dans une telle situation. Nous sommes la risée de nos adversaires. » Et mes amis de supplier les uns et les autres afin qu’ils mettent balle à terre, qu’ils mettent de l’eau dans leur ‘’gnamankoudji’’ (jus de gingembre) et qu’ils aient, comme le disait feu le général Guéï, le « bon ton ».

Ils étaient tous très remontés contre certains journaux proches de leur parti qui, selon eux, ne joueraient qu’à mettre de l’huile sur le feu.

Je suis, pour ma part, totalement en phase avec mes amis de Treichville pour dire qu’effectivement, nous revenons de loin et que nous devons absolument trouver le moyen de régler dans le silence, au petit matin, à l’intérieur d’une maison, comme cela se fait dans nos villages, ce palabre qui va au-delà de la simple personne de Soul To Soul.

Nous devons déjà commencer par arrêter les invectives et les injures qui n’honorent personne et tous les actes et propos qui ressemblent à un manque de respect envers notre chef. Nous sommes dans un monde où quels que soient les griefs que l’on pourrait avoir contre son chef, l’on ne doit cependant jamais lui manquer de respect. Et nous sommes dans une société africaine où le respect envers l’aîné est sacré.

Nous ne devons pas non plus oublier que nous sommes aussi dans des États modernes où force doit toujours rester à la loi. Une fois ces principes simples posés, tout le reste est possible lorsqu’il s’agit de retrouver la cohésion et bâtir la paix. Parce que nous revenons de très loin.

Oui, nous revenons de très loin. Souvenons-nous. Avant 1990, notre pays était sur la voie de l’émergence. Et puis il y a la crise économique, ensuite la crise politique qui a vu l’arrivée sur la scène de nouveaux partis politiques d’opposition, les marches, les casses et tout ce qui a fortement fait reculer notre pays. A la fin de l’année 1999, nous avons connu le coup d’État et les dix longs mois du règne chaotique des militaires. Puis l’arrivée de Laurent Gbagbo et ses refondateurs, la rébellion de 2002, avec le nord du pays occupé, coupé du reste du pays, abandonné, pillé, pressuré et, cerise sur le gâteau, la crise post-électorale de 2010-2011 avec son bilan de 3000 morts.

Nous revenons de loin. Il a fallu reconstruire ce pays, réparer ses infrastructures détruites ou saccagées, en construire de nouvelles. Réconcilier les Ivoiriens. Nous revenons de très loin. Mais nous avons réussi à avoir une croissance économique qui nous a valu les félicitations de tous les observateurs. Certes, elle n’a pas été suffisante pour résorber la grande pauvreté dans laquelle vit une grande partie de notre population. Certes, certains travaux ont été mal faits. Et c’est justement la raison pour laquelle nous ne devons pas nous laisser distraire par des combats d’arrière-garde.

Nous avons encore beaucoup d’efforts à fournir, beaucoup de travail à faire, beaucoup de sueur à verser pour atteindre cette émergence que nous nous sommes fixée comme horizon. Nous le pouvons. Certains pays partis de situations plus difficiles que nous y sont parvenus. Nous devons, plus que jamais, rester soudés, unis autour du chef que nous nous sommes donné. La bataille pour la conquête du pouvoir, telle que le prévoit notre texte fondamental, n’aura lieu que dans trois ans.

Nous avons donc trois ans pour essayer de relever notre défi. Nous devons, pour le moment, éviter les actes de défiance et de division afin de permettre aux sages du village de réunir qui il faut, là où il faut, pour que la concorde revienne dans la famille et que notre pays évite les aventures hasardeuses.

Venance Konan