Notre presse

Venance Konan
Venance Konan
Venance Konan

Notre presse

Oui, il était temps que quelqu’un mette le holà à cette plaisanterie qui consistait à primer chaque année la médiocrité et à donner l’illusion à de petits journalistes qu’ils étaient devenus grands. Sans vouloir jeter le discrédit sur aucun des lauréats de nos Ébony, force est de reconnaître qu’après les célébrations, peu d’entre eux se sont réellement fait un nom dans la presse par la suite. La plupart d’entre eux se sont éteints tout seuls, parce que leur prix n’était que celui du moins médiocre des candidats de l’année.

Depuis plusieurs années, nous nous interrogeons sur les raisons de la mévente de nos journaux. Nous tournons autour du problème sans vouloir l’aborder franchement. Le vrai problème que le jury des Ébony 2013 a osé toucher du doigt dans la nuit du 28 décembre est que nos journaux sont mal faits, que la qualité de nos écrits laisse à désirer. Et le public qui n’est pas dupe nous le fait payer en ne les achetant plus. Le volume des invendus qui augmente d’année en année aurait dû attirer notre attention. Mais nous préférions regarder ailleurs.

Les causes de la mauvaise qualité de nos journaux sont nombreuses. L’on note, entre autres, le niveau général de notre enseignement qui s’est considérablement dégradé ces dernières années, l’absence d’école de journalisme dans notre pays, mais surtout, l’absence d’éthique et le poids des « gombos » chez bon nombre de nos journalistes. Ils sont nombreux, ceux d’entre nous, parfois très expérimentés, occupant de hauts postes de responsabilités dans leurs rédactions, qui ne cherchent à écrire que des articles qui peuvent leur rapporter de petites ou grosses enveloppes. Ils sont légion dans nos rédactions, ces journalistes qui, au milieu du mois, disent : « Je suis fauché, il faut donc que j’aille interviewer telle personnalité. » Ils pullulent, ces journalistes qui refusent d’aller faire des reportages qui ne leur rapportent pas d’argent. Le « gombo » a gangréné toute notre presse et le résultat est celui que nous voyons : une presse bas de gamme qui perd chaque jour un peu plus de sa crédibilité et qui court à sa perte. La presse ivoirienne qui veut s’ériger en donneuse de leçons est malheureusement peuplée d’individus qui sont à l’image des autres membres de notre société : obnubilés par l’argent, sans éthique, sans morale et souvent sans compétence.

La décision du jury des Ébony 2013 devrait interpeller toute notre corporation, à commencer par les journalistes eux-mêmes. Leur orgueil, s’ils en ont encore, devrait être fouetté. On n’a pas besoin de passer par une école de journalisme pour être bon journaliste. Il suffit de le vouloir pour l’être. L’apprentissage peut se faire à tout moment, sur le tas, en respectant la déontologie de ce métier qui n’est pas plus compliquée que celle des autres  corporations.

 L’orgueil des patrons de presse devrait aussi être fouetté par la décision du jury. Il n’y a aucune gloire à diriger un journal que le public méprise. Plus que jamais, nous devons mettre l’accent sur la formation de nos journalistes, mais surtout, nous devons veiller à mettre dehors les brebis galeuses qui ternissent l’image de toute la presse et la mettent en péril.

Cela dit, je souhaite à tous une très bonne et heureuse année 2014 qui marquera pour Fraternité Matin les cinquante ans de son existence. En cette année 2014, nous nous efforcerons de ne plus être le moins médiocre des journaux, mais véritablement le meilleur.