L’argent ne circule plus

Venance Konan
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L’argent ne circule plus

« Franchement l’argent ne circule plus. Aucun bar ne marche dans le quartier et c’est partout pareil. Sous Gbagbo, lorsque les brouteurs* coupaient** un Blanc, ils venaient claquer leur argent ici

Certains pouvaient dépenser plus de cinq cent mille francs par soirée. Aujourd’hui, ils ont créé une brigade pour traquer les brouteurs et ces derniers rasent les murs. Ils ont vendu leurs véhicules et se cherchent.

Il y avait aussi les gens de la Fesci qui dépensaient beaucoup dans les bars. Eux aussi, ils ont disparu. Il y avait également les gens du café-cacao. Même certains fonctionnaires, à l’époque, grâce à leurs rackets, avaient toujours de l’argent qu’ils venaient dépenser ici. Maintenant, tout le monde compte son argent, et c’est devenu dur. L’argent ne circule vraiment plus. »

L’argent ne circule plus. C’est la phrase que l’on entend partout. Le Chef de l’État a répliqué que l’argent ne circule plus, parce qu’il travaille. Sous Gbagbo, effectivement, un certain type d’argent circulait, faisant le bonheur d’un groupe très restreint. Il y avait les escrocs de tous poils, et surtout l’argent volé. On se souvient de ce petit homme aux grands chapeaux qui était réputé pour distribuer cinq cent mille francs à toutes les jeunes filles qui venaient le voir, et qui se vexait lorsqu’elles ne lui demandaient rien. Personne n’a oublié le train de vie des barons de la Refondation, de la rébellion et de la filière café-cacao. Beaucoup de personnes qui gravitaient autour de ces fortunés, arrivaient à grappiller une partie de l’argent qu’elles gaspillaient à leur tour. Oui, au temps de Gbagbo, les maquis marchaient très bien. La bonne affaire était de monter un maquis. C’est à cette époque que l’on a assisté à la naissance des hyper-maquis, des bars climatisés, et des bars où les filles dansaient totalement nues, souvent en s’introduisant des bouteilles dans le sexe. Et pour le Chef de l’État que Laurent Gbagbo était, la fréquentation de ces lieux était l’indicateur de la bonne santé de notre pays.

Pendant ce temps, nos routes, nos hôpitaux, nos écoles, tout était laissé à l’abandon. Cette réalité-là est encore sous nos yeux. Les rues d’Abidjan saturées dès sept heures du matin, ce phénomène a commencé depuis le régime passé. Et nous étions tous à réclamer la construction d’au moins un troisième pont. Qui a oublié la réplique de Laurent Gbagbo qui disait que cela n’était pas une priorité ? Qui a oublié que le pont qui l’intéressait était celui qu’il projetait entre l’île Boulay et Yopougon ? Qui a oublié que les grands travaux qui le préoccupaient n’étaient ni les routes, ni les écoles, ni les universités, ni les hôpitaux, ni la fourniture d’électricité, ni le sort des paysans, mais plutôt un nouveau palais présidentiel et un hôtel des parlementaires à Yamoussoukro, alors qu’aucun député n’y siège, la plus grande Assemblée nationale d’Afrique, un sénat qui n’est pas prévu dans notre Constitution…

Pouvions-nous continuer ainsi sans que notre pays périsse ? Il fallait que les choses soient remises à l’endroit, que les conditions pour le développement de notre pays soient recréées. Il fallait que l’argent travaille, avant qu’il ne puisse circuler à nouveau, mais plus sainement. Pouvons-nous développer notre pays sans reconstruire nos routes, nos écoles, nos centres de santé, nos ponts, sans nous doter des moyens d’avoir de l’électricité en permanence, sans réformer notre manière de gérer, sans revoir nos mentalités ? C’est à cette tâche que le Chef de l’État s’est attelé. C’est à tout cela que travaille l’argent de la Côte d’Ivoire. Certes, rien n’est parfait et beaucoup de nos mauvaises habitudes perdurent. Il appartient à chacun de nous de contribuer à son niveau à la moralisation de notre nation. Dégrossir la pierre très brute qu’est devenu l’Ivoirien après tant d’années d’impéritie et de mauvaise gouvernance n’est pas chose aisée. Mais nous devons tous travailler sans relâche à l’amélioration et au perfectionnement de notre société. Certes, nous sommes tous impatients. Mais nous devons nous garder de commettre, à nouveau, les erreurs du passé qui consistaient à consommer toutes nos récoltes,  sans en laisser pour planter et semer à nouveau. N’oublions pas que la cigale ayant chanté tout l’été se trouva fort dépourvue lorsque l’hiver arriva. Nous avons passé une quinzaine d’années à chanter, à boire et à danser. Il est temps de nous ressaisir et de faire quelques sacrifices sur nous-mêmes, si nous voulons avoir encore de quoi manger demain.

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*Brouteur : escroc opérant sur internet et qui fait miroiter des fortunes à des gogos en Europe, ou se fait passer pour une jeune fille en quête du grand amour. La Côte d’Ivoire est devenue la championne dans ce type d’escroquerie.

**Couper : escroquer

Venance Konan