Les germes du terrorisme

Venance Konan
Venance Konan
Venance Konan

Les germes du terrorisme

Qu’avons-nous fait, nous, dans notre beau pays dit de droit, lorsque, en 1999, un individu, de nationalité burkinabè, nous a-t-on dit, a tué un autre individu, de nationalité ivoirienne et d’ethnie kroumen, à Tabou? On a expulsé 10 000 Burkinabè, et même des Lobi ivoiriens qui avaient le défaut d’être assez proches des Burkinabè. Au nom de quoi ? Au nom, nous a-t-on dit, d’une loi kroumen qui dit que tout assassin doit être banni pendant une période de sept ans. Tous les hommes politiques de la région nous l’ont répété à plusieurs reprises. L’année dernière encore, ils l’ont répété devant le président de l’Assemblée nationale du Burkina Faso qui visitait Tabou. Deux questions se posaient auxquelles, curieusement, aucun de nos nombreux juristes n’a tenté de répondre. D’abord, quelle est la loi qui s’applique en Côte d’Ivoire ? Ensuite, si tant est que l’on veuille  appliquer,

disons, de  manière exceptionnelle, la loi tribale des Kroumen, pourquoi  expulser            10 000 personnes qui n’ont absolument rien à voir avec le crime ? Etait-ce vraiment ce que disait cette loi ?

Personne ne s’est posé toutes ces questions et, sous nos yeux, sans qu’aucun défenseur des droits de l’homme murmure, on a expulsé 10 000 personnes de leurs terres, parce que l’une d’entre elle, que la grande majorité de ces hommes et femmes ne connaissait ni d’Adam ni d’Ève, aurait commis un crime. Personne ne s’est posé la question de savoir de quoi ces derniers allaient désormais vivre, puisqu’ils tiraient tous leurs revenus des plantations dont on venait de les expulser. On a dit : « Qu’ils rentrent chez eux ! » Personne ne s’est demandé où c’était “chez eux’’. Personne ne s’est dit que la plupart d’entre eux vivaient sur ces terres depuis des décennies, où leurs enfants étaient nés et avaient grandi et que chez eux, c’était justement là. Personne ne s’est posé toutes ces questions et nous les avons regardés partir. Ces personnes ne pouvaient même pas espérer que l’État leur rendrait justice, puisque leur expulsion s’était faite avec sa caution.

Les mêmes scènes se sont produites sur les lacs d’Ayamé et de Kossou où des milliers de Maliens ont aussi été expulsés.

Personne n’a été dupe dans toutes ces affaires. Surtout celle de Tabou. C’était un problème d’occupation des dernières terres cultivables. Et le crime n’a servi que de prétexte. Mais si la question foncière est un problème sérieux, la solution imaginée a été des pires.

Que fait-on d’une personne que l’on prive brutalement de tout moyen de subsistance, sans dédommagement et sans même l’espoir qu’on lui rendra justice ? Que fait-on, lorsque l’on prive injustement une personne des fruits de toute une vie de travail ? On fabrique un terroriste.

Et qu’espérons-nous qu’une telle personne fasse, le jour où elle entend dire que des hommes, quelque part, se préparent à prendre les armes, pour, entre autres, lui rendre justice ?

Je suppose que le jour où nous apprendrons que le fils d’un des expulsés de Tabou ou d’Ayamé se trouve parmi les rebelles qui ont pris les armes le 19 septembre dernier (19 septembre 2002, ndlr), ou qu’il les soutient, nous le traiterions d’ingrat, lui à qui nous avons accordé l’hospitalité. Bien entendu, quiconque nous traitera de xénophobe ne sera qu’une personne de mauvaise foi, qui refuse de reconnaître que nous avons la plus forte proportion d’étrangers au monde.

Lorsque l’on applique de mauvaises solutions à de vrais problèmes, on aboutit à des résultats dramatiques. La question foncière est un vrai et sérieux  problème qu’il convient de régler avec intelligence, en veillant à ne commettre aucune injustice. Surtout en ne privant personne des fruits du labeur de toute sa vie. Il est possible que des personnes occupent illégalement des terres. Mais il est faux de dire que tous les étrangers qui occupent des terres dans ce pays les ont volées à leurs légitimes propriétaires. Et les expulsions à tout va ne peuvent être que de mauvaises solutions qui ne peuvent que conduire à créer des frustrés, des désespérés, et, pour tout dire, des terroristes qui finissent par se dire un jour que seules les armes peuvent leur rendre justice.

Venance Konan