Le grand procès

Plume
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Le grand procès

Les faits en cause, qui concernent ce qui s’est passé après l’élection présidentielle d’octobre 2010, remontent à la fin de cette année-là et au premier trimestre de 2011. C’est une histoire vieille seulement de cinq petites années. Nous sommes donc nombreux à l’avoir vécue, à en avoir été témoins ou acteurs à divers niveaux. On connaît la position des uns et des autres, qui n’ont pas varié. Pour les partisans de Laurent Gbagbo, ce dernier est en prison parce qu’il avait voulu respecter la Constitution de son pays qui décrète que les résultats définitifs de l’élection présidentielle sont donnés par le Conseil constitutionnel. Et c’est cette institution qui a le dernier mot. Pour eux, ce procès devrait permettre de savoir qui a réellement gagné l’élection de 2010, car c’est à partir de cette réponse que l’on saura qui a eu tort ou raison. Et si Gbagbo avait raison, il n’aurait fait que se défendre contre le perdant qui l’agressait. évidemment, pour eux, il ne fait pas de doute que

Laurent Gbagbo est le véritable vainqueur du scrutin de 2010, puisque c’est ce que le président du Conseil constitutionnel de l’époque, Paul Yao-N’dré, avait déclaré, en tordant le cou au droit sans aucun scrupule. On se souvient qu’au moment où le porte-parole de la Commission électorale indépendante (Cei) avait voulu donner les résultats, au siège de cette institution, le représentant de Laurent Gbagbo au sein de la commission lui avait arraché les feuilles devant les télévisions du monde entier, et tous ceux qui se trouvaient dans les locaux de la Cei en avaient été chassés. On se souvient aussi que lorsque le président de la Cei avait donné les résultats, le président du Conseil constitutionnel s’est précipité à la télévision pour les contester. Et le lendemain, il a annulé tous les résultats du nord où le candidat Alassane Ouattara avait obtenu ses meilleurs scores, au nom de fraudes qu’il avait été le seul à avoir vu depuis son bureau d’Abidjan. Or, sur cette question, notre droit est sans ambigüité : si le Conseil constitutionnel constate qu’il y a eu des fraudes d’une telle ampleur et qu’elles modifient le résultat du scrutin, il l’annule tout simplement. En outre, compte tenu du manque de confiance entre les acteurs politiques ivoiriens de l’époque, ils avaient tous accepté que les résultats de notre élection soient certifiés par le représentant du Secrétaire général des Nations unies dans notre pays. Et ce dernier avait bien certifié que le vrai vainqueur était M. Ouattara. Enfin, notre élection avait été tellement attendue que le monde entier était venu l’observer. Lorsque Laurent Gbagbo refusa de reconnaître sa défaite, l’Union africaine se saisit de l’affaire et dépêcha dans notre pays de nombreux Chefs d’état et experts qui entendirent toutes les parties, consultèrent tous les documents. Et leur conclusion fut la même que celle du Représentant spécial du Secrétaire général des Nations unies : le vainqueur était bien M. Ouattara. Mais, probablement sous l’influence des nombreux pasteurs qui défilaient alors au Palais présidentiel pour y organiser d’abrutissantes séances de prières, Gbagbo et les siens s’accrochèrent à une étrange certitude qui ne les a toujours pas quittés, à savoir qu’ils pouvaient avoir raison contre le monde entier et qu’en répétant sans se lasser qu’ils étaient les vrais vainqueurs, tout le monde finirait par les croire. Ils se mirent aussi en tête que malgré la précarité de leur situation, une armée d’anges descendrait du ciel pour les tirer d’affaire.

Tout au long de ce procès qui débute aujourd’hui, nous entendrons MM. Gbagbo et Blé Goudé défendre la thèse selon laquelle ils se trouvent derrière les barreaux uniquement parce qu’ils ont voulu défendre la souveraineté de leur pays en en faisant respecter la Constitution, et, au-delà de la Côte d’Ivoire, défendre toute l’Afrique. Ils ont leurs partisans aussi bien en Côte d’Ivoire que dans d’autres pays africains, notamment au Cameroun où l’on préfère s’intéresser à la paille qui est dans l’œil des Ivoiriens plutôt qu’à la poutre qu’ils ont dans le leur. Ils ont aussi de très nombreux partisans en France parmi la diaspora ivoirienne qui ne manqueront pas de faire entendre leurs voix. La tactique des deux accusés consistera à se présenter comme des victimes de la fameuse « Françafrique » pour espérer esquiver les vraies questions. Bien entendu, les magistrats les ramèneront aux faits, à savoir les crimes commis durant la période où ils ont contesté le pouvoir du Président élu par les Ivoiriens. Ces crimes suffiront-ils à les faire condamner ? Nous le saurons à la fin de ce procès qui promet d’être palpitant.

Venance Konan