La problématique de l’aide

Plume
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La problématique de l’aide

Certains de mes amis européens n’ont que très modérément apprécié ma chronique intitulée « Est-ce que nous sommes sérieux ? », publiée le 14 octobre dernier. Il y était question d’un projet de construction de latrines financé par l’Union européenne dans certaines localités de notre pays, afin que l’on n’y défèque plus à l’air libre. Je décriais dans cette chronique le fait que nous ayons sollicité les Européens pour construire ces latrines. Il y avait de quoi être vexé pour nos amis. Ces braves Européens se sont mis en quatre pour fournir des toilettes décentes à des milliers de personnes, surtout aux femmes qui sans ces toilettes s’exposent en permanence à toutes sortes de maladies et aux regards concupiscents des hommes, et voilà que je dis qu’ils avaient mieux à faire de l’argent de leurs contribuables, plutôt que de « faire ch… » au sens propre des gens en Afrique. Je crois qu’il y a un malentendu. Je ne m’en prends pas aux Européens qui font ce qu’ils peuvent pour nous aider, mais à nous-mêmes. À mon avis, ne voulons plus nous prendre en charge, et voulons que les autres fassent tout pour nous, même nous conduire aux toilettes. Et je pense que si nous voulons que les autres nous aident de façon vraiment utile, tout en nous prenant au sérieux, nous devons commencer par nous aider nous-mêmes, c’est-à-dire faire la part de ce que nous pouvons faire nous-mêmes, et ce que nous ne pouvons pas faire sans les autres. Je l’avais écrit, et je le répète, construire des WC fait partie de nos compétences. J’ai grandi dans une petite localité appelée Ouellé qui est dans les environs de Daoukro. En mon enfance il n’y avait pas d’eau courante, et nous utilisions des latrines que nos parents avaient fait construire. Il s’agissait d’un trou, entouré d’un mur. Ni plus, ni moins. Nous n’avions pas sollicité d’expertise ou de financement étranger. Nous les vidions nous-mêmes lorsqu’elles étaient pleines. Les latrines que les différentes coopérations nous construisent aujourd’hui n’en différent pas beaucoup. J’ai été choqué lorsqu’en 2005 j’ai vu au bord du lac Ahémé au Bénin quatre latrines construites grâce à un financement de la Coopération française. Je l’ai été encore plus lorsque j’ai vu peu de temps après, à la télévision togolaise, de jeunes Allemands, venus d’Allemagne, nettoyer les WC du quartier Bê de Lomé, lesquels avaient été construits par la coopération allemande. Il y a quelques années, j’avais vu dans le village de Zakoua, à quelques encablures de Daloa, un abri fait de tôles et de poteaux en bois simple, qui avait été offert au village par les soldats bangladais de l’Onuci et sous lequel les villageois venaient regarder le soleil se lever et se coucher. Je me suis demandé ce qu’il y avait de si compliqué à faire dans cet abri que les villageois de Zakoua n’auraient pas pu le réaliser eux-mêmes.  Quel genre de peuple sommes-nous donc pour que ce soit les autres qui fassent tout pour nous, y compris nous prendre la main pour aller aux toilettes ? Si aujourd’hui les Européens viennent construire des WC pour nous, demain nous leur exigerons de nous fournir du papier hygiénique et de venir nettoyer ces WC après. Comme les Allemands l’ont fait pour les Togolais.

Il se trouve posé là toute la problématique de l’aide. Dans ce monde interdépendant, personne ne peut dire qu’il n’a pas besoin d’aide. Mais nous, pays pauvres et dépendants,  nous devons nous demander jusqu’où nous pouvons demander de l’aide. Et les pays donateurs doivent se demander jusqu’où ils peuvent de leur côté apporter de l’aide sans que cela ne se retourne contre ceux que l’on veut aider. Si nous ne nous posons pas ces questions, nous nous retrouverons dans des systèmes où des peuples attendent tout des autres et ne font plus aucun effort pour se prendre en charge. Et il suffit que l’on leur lâche la main pour qu’ils soient perdus. On en est là en Afrique, où notre expression favorite est « Donne-moi cadeau. » Pour nous le mot « coopération » est synonyme de « don ». Il faut que les autres nous donnent tout, même lorsque nous pouvons l’acquérir par nos propres efforts. Mais pourquoi faire des efforts lorsque les autres le font pour nous ? Nous ne sommes plus capables de construire des puits pour avoir de l’eau potable, construire des salles de classe, des centres de santé, curer nos caniveaux, redresser nos rues, assécher les poches d’eau sale, vecteurs de paludisme. Il faut que les Blancs viennent faire tout cela pour nous. Nous sommes toujours très heureux d’accueillir des jeunes volontaires européens, américains, japonais ou coréens, mais jamais nous ne nous sommes portés volontaires pour participer à l’amélioration de nos propres cadres de vie. En fait nous sommes devenus des peuples de mendiants.

J’avais dit dans ma chronique du 14 octobre que  nos chefs, nos cadres et toutes nos élites devraient commencer par mouiller le maillot, si nous voulons vraiment émerger. Nous avons dans tous nos villages, du nord au sud, d’est en ouest, des jeunes gens dont la grande majorité ne fait strictement rien de leurs journées. La seule activité qu’ils consentent à faire de temps à autre est de faire semblant de boucher les trous des voiries, en échange de quelques pièces de monnaie. Il faudrait que nos leaders et élites arrivent à les faire travailler réellement, pour nettoyer les rues, arracher les mauvaises herbes, planter des fleurs, boucher vraiment les trous, construire des latrines, contre de la rémunération qui pourrait venir de cotisations faites par ces leaders et élites. Il s’agit pour nous de faire une reconversion de nos mentalités pour gaspiller moins dans des cérémonies inutiles, et consacrer une part substantielle de nos revenus au développement de nos villages.

Venance Konan