La paix des braves

La paix des braves

Il disait ceci : « En fait, c’est une idée reçue qui veut que la loi de la jungle soit la compétition, l’agression, la lutte de tous contre tous et que cela soit l’unique loi de la jungle…Il ne s’agit pas de nier qu’il existe de la compétition, de l’agression, de l’égoïsme, mais c’est stressant. La compétition, c’est bien, mais sur un temps limité. C’est risqué et c’est dangereux ; les animaux l’ont bien compris puisqu’ils n’entrent en compétition que très rarement. Parfois ils font semblant de se battre mais ils ne se battent pas vraiment. »

En ce moment, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et le Rassemblement des républicains (RDR) sont en train d’exhiber leurs muscles pour se convaincre qu’ils sont forts et qu’ils peuvent se passer l’un de l’autre. Mieux, que chacun peut vaincre l’autre. Et depuis quelque temps, ils jugent intelligent de s’envoyer des noms d’oiseaux sur la place publique. Est-ce bien raisonnable, entre supposés alliés, même si l’alliance tangue un peu ? Que chacun se rappelle l’histoire récente de notre pays dont nous sommes encore nombreux à en avoir été témoins.

La mésentente entre Henri Konan Bédié et Alassane Ouattara avait divisé la Côte d’Ivoire et des militaires en ont profité pour réaliser le premier coup d’Etat de notre histoire. Et au bout de la transition militaire, le PDCI et le RDR ont été écartés du pouvoir au profit d’un troisième larron, le Front populaire ivoirien (FPI) qui, sans une telle situation, n’aurait jamais pu accéder au palais présidentiel. Deux ans après l’arrivée du FPI au pouvoir, c’est une rébellion qui a divisé le pays en deux pendant huit ans et cela s’est terminé par une guerre épouvantable dont les séquelles n’ont pas toutes disparu. L’avons-nous oublié ?

Celui qui ne tire pas de leçon de son histoire se condamne à la revivre. A l’époque, avant le coup d’Etat, le FPI était l’allié du RDR contre le PDCI. Le RDR, rappelons-le, est sorti du PDCI parce qu’il s’estimait exclu et martyrisé par ce dernier. Après le coup d’Etat, le FPI s’allia au PDCI contre le RDR et finalement s’arrangea avec Robert Guéï pour écarter les deux de la course au pouvoir. Et dans la dernière ligne droite, le FPI dribbla Guéï pour s’emparer du pouvoir.

Aujourd’hui, le même FPI susurre des mots très doux à l’oreille du PDCI qui semble prendre un certain plaisir à l’écouter. Et le RDR, lui, sûr de sa force, ne veut rien céder à son partenaire et lui lance même des menaces. Si ces deux partis ne veulent pas comprendre que les plus forts sont les groupes les plus coopératifs, s’ils ne comprennent pas qu’ils gagneraient à coopérer franchement plutôt qu’à se combattre, ils seront surpris d’être surpris, comme on dit au quartier. Lorsque l’on veut tout prendre et le garder pour soi tout seul, on finit le plus souvent par tout perdre.

Que perdraient-ils à s’asseoir de nouveau dans la maison de celui qu’ils considèrent tous deux comme leur père spirituel afin de renouveler leur pacte ? Ont-ils oublié ce pacte scellé en novembre 2010, sur la tombe d’Houphouët-Boigny ? Que croient-ils gagner en s’invectivant sur la place publique ? Qu’ils sachent qu’il y a des mots que les Ivoiriens ne veulent plus entendre et des scènes qu’ils ne veulent plus revivre.

Aujourd’hui, le Président de la République est issu du RDR et le vice-Président, du PDCI. Est-il impossible pour ces deux partis de s’entendre pour proposer en 2020 aux Ivoiriens un tandem de ce genre, et en équilibrant un peu mieux les choses ? Apparemment, le choc des ambitions semble prendre le pas sur toutes les autres considérations et certains croient que la compétition vaut mieux que la coopération.

Plutôt que de se livrer en spectacle comme ils le font en ce moment, un bien vilain spectacle en vérité, le PDCI et le RDR gagneraient à signer la paix des braves. Plutôt que de demander au président Bédié de descendre dans l’arène pour un combat qui risque d’être celui de trop, ses partisans gagneraient à lui demander d’user de sa sagesse et de son influence pour vraiment rassembler les « enfants » d’Houphouët-Boigny.

Que l’on n’oublie pas que c’est lorsque le président Bédié accéda au pouvoir que la maison PDCI se divisa et que certains enfants s’en allèrent fonder leurs propres maisons. Ce serait à son honneur qu’avec le président Ouattara, il parvienne à ramener tous ces enfants à la maison familiale avant de quitter définitivement la scène politique. Même si cette maison devait changer de couleur et de forme pour s’adapter aux temps actuels.

L’on doit tenir compte du fait que les enfants partis depuis plus de vingt ans ont grandi, acquis leurs personnalités propres, sont devenus eux-mêmes des parents et pour cela, la maison pourrait être un peu modifiée. L’essentiel est que l’esprit du père demeure toujours dans la maison.

Venance Konan