La France et nous

La France et nous

Après avoir écouté et fait l’amer constat du niveau très bas de certains étudiants burkinabè qui ont dialogué avec le président français, Emmanuel Macron, mardi à Ouagadougou, il nous apparaît évident qu’il y a effectivement urgence à investir dans nos jeunesses, si nous voulons compter sur elles pour développer nos pays.

La question qui se pose est de savoir s’il y a eu un filtre des questions ou non. S’il n’y en a pas eu, c’est grave. Lorsqu’on veut que des étudiants soient autorisés à avoir un entretien avec un chef d’État, et ce, devant le monde entier, on trie sur le volet ceux qui doivent poser les questions.

S’il y a eu un filtre et que ce sont les meilleurs que nous avons entendus dans cet amphithéâtre, c’est encore pire. Parce que cela montre, non pas seulement le faible niveau des étudiants burkinabè, mais surtout celui de leurs formateurs et la qualité de l’enseignement dans cette université. Mais au-delà de l’incohérence de certaines questions, elles ont été révélatrices du faible niveau de culture de nos étudiants et de nos relations complexes avec la France.

Pendant que l’on demande à la France de mettre fin à la « françafrique » et de nous laisser nous débrouiller tout seuls comme des grands, nous lui reprochons de ne pas nous donner assez de bourses, assez de visas pour aller dans ce pays, de ne pas nous construire des amphithéâtres et de ne pas réparer nos climatiseurs. Que voulons-nous de la France en fin de compte ? Et que dire à ceux qui lui reprochent d’avoir des soldats chez nous ? Qu’ils se rappellent simplement la reconnaissance des Maliens à l’égard du Président français François Hollande pour avoir lancé l’opération  Serval ; ce qui fit dire à ce dernier le 2 février 2013 à Bamako qu’il venait « sans doute de vivre la journée la plus importante de sa vie politique. »

Pourquoi ? Parce que les Maliens venaient de le célébrer pour avoir sauvé leur pays. Que l’on se rappelle notre incapacité, nous Africains, à réunir une armée capable de freiner l’avancée des djihadistes sur Bamako. Que faisait l’armée malienne à la même époque ? Elle avait renversé le Président en exercice du pays et le pillait en laissant les islamistes couper les pieds et les bras des populations livrées à elles-mêmes.

Sans l’armée française, les barbus sanguinaires seraient descendus sur Bamako et peut-être aussi sur Abidjan dans la foulée. Nous reprochons peut-être aujourd’hui à l’armée française de ne pas parvenir à vaincre les terroristes. Mais sommes-nous certains que si elle se retirait, nos armées à nous y parviendraient ?

Quant à mettre fin à la fameuse « françafrique », pourquoi ne le demanderions-nous pas aussi à nos chefs d’État ? Chaque fois qu’un nouveau Président arrive en France, nous attendons de lui qu’il dise qu’il mettra fin à la « françafrique ». Et nous applaudissons à tout rompre lorsqu’il le promet.

Un des aspects les plus décriés de cette « françafrique », ce sont les fortunes colossales que certains de nos chefs ou leurs enfants gaspillent en France. N’est-ce pas à nous de nous battre pour que notre argent soit dépensé par nos chefs chez nous, pour notre développement ? On parle aussi de la présence des entreprises françaises dans nos pays.

Pourquoi voulons-nous qu’un Président français mette fin à un système qui arrange son économie ? Avons-nous des entreprises tenues par nous et qui sont capables de les remplacer ? Il en est de même de ceux qui font de la guerre contre le franc CFA le combat de leur vie. Qu’ils demandent aux Ghanéens s’ils auraient aimé en ce moment avoir du Cfa ou du Cedi, leur propre monnaie, et ils sauront à quoi s’en tenir.

Rappelons-leur que la République Démocratique du Congo et le Zimbabwe ont leurs propres monnaies, mais tout le monde utilise le dollar américain dans ces pays. Le tout n’est donc pas d’avoir sa propre monnaie, mais il faut pouvoir la gérer. Et avoir sa propre monnaie n’est pas une garantie pour se développer. Ce qui pourrait nous assurer notre développement, c’est dans un premier temps, notre investissement dans l’éducation, qui me semble être le point de départ de toute volonté d’émergence.

Nos urgences me semblent être de faire en sorte que nous ayons des ingénieurs capables de construire nos routes sans qu’elles se détériorent en quelques mois, que nous sachions comment exploiter nous-mêmes nos ressources, les transformer, nous soigner, nous nourrir sans tendre la main. De tout cela, nous sommes capables. Des pays africains y sont parvenus. Tout est une question de volonté. Espérons que ce sommet qui se tient en ce moment nous donne les clés et les moyens pour commencer les investissements nécessaires en notre jeunesse.

Venance Konan