La culture est ce qui reste…

La culture est ce qui reste…

A la fin de la visite elle me dit : « mais il n’y a rien de la culture ivoirienne ici ! C’est juste des salles de spectacles construites à la chinoise, et la seule culture que j’y ai vue est justement celle de la Chine avec les écriteaux en chinois. » Ouvrez grands vos yeux la prochaine fois que vous y serez, et vous verrez qu’à part les noms de certains artistes ivoiriens donnés à des salles et leurs photos, il n’y a pas grand’chose de la culture ivoirienne au Palais de la Culture d’Abidjan.

Ce n’est pourtant pas l’espace qui manque pour que ce Palais de la culture soit le lieu où l’on découvrirait des échantillons de toutes les cultures qui font la richesse de notre pays, sans cesser d’abriter des spectacles. A ce propos, que reste-t-il aujourd’hui de nos cultures ? Où les rencontre-t-on ? Avec notre maladie de la modernisation, il faut chercher longtemps maintenant pour rencontrer la culture ivoirienne, aussi bien dans les grandes villes que dans nos régions. Sur le plan architectural par exemple nous avons opté pour la destruction de nos habitats traditionnels et pour l’uniformisation. Pour le reste, l’essentiel de nos manifestations culturelles se limite désormais à des chants et danses.

Il y a la culture traditionnelle qui devrait être le socle sur lequel reposerait notre développement, mais que nous nous évertuons à détruire systématiquement, et puis la culture moderne que créent nos artistes contemporains. Où rencontre-t-on cette dernière ? Il y a quelque temps, l’ancien maire d’Abobo avait émis le souhait de construire un musée d’art moderne dans sa commune. L’idée était fort louable, mais je doute fortement qu’Abobo ait été la localité dont les habitants auraient été le plus sensibles à cet art.

Il y a fort longtemps de cela, l’on construisit des centres culturels dans tous les quartiers d’Abidjan et dans toutes les villes de l’intérieur. C’est dans ces centres culturels que nous présentions nos pièces de théâtre lorsque nous étions gamins et que nous allions écouter nos musiciens préférés une fois devenus adultes. Je crois que nos centres culturels n’ont servi qu’à cela, c’est-à-dire des salles de spectacle, en plus des réunions qui s’y tenaient.

La culture doit-elle être réduite à cette seule dimension ? N’est-il pas temps de faire évoluer ces centres culturels pour qu’ils méritent pleinement leurs qualificatifs ? Pourquoi ne ferions-nous pas en sorte que chaque centre culturel expose toute la culture de la région où il se trouve ? Prenons par exemple le centre culturel de Venancekonankro. On pourrait, en y entrant, trouver des espaces où les sculpteurs, peintres, photographes, dessinateurs, tisserands, par exemple, que l’on formerait sur place, exposeraient et vendraient leurs travaux. On pourrait aussi éditer des petits guides qui permettraient à l’étranger de passage de tout savoir sur la région et ce qu’il y aurait à y voir, mais aussi où loger et se restaurer, ce qui favoriserait le tourisme par exemple. On pourrait également y installer des bibliothèques, des salles multimédias, et des podiums où les artistes locaux pourraient, les soirs, produire de la musique, du théâtre, des contes, etc. L’on verrait alors que la culture peut faire vivre ceux qui la pratiquent.

L’une des caractéristiques de nos cités est l’absence quasi-totale de monuments. A ce propos, voici une partie de ce me disait mon ami le sociologue Francis Akindès il y a quelques années: « Dans tout projet d’aménagement de l’espace, il y a ce que l’on appelle les lieux de mémoire qui, mis les uns à côté des autres, retracent l’histoire d’une société.

Cela fait partie des legs transférables d’une génération à une autre. Sur cent ans, par exemple, l’on peut reconstituer l’histoire d’une société, d’une communauté rien qu’à partir de ces lieux de mémoire (monuments, stèles, classement de lieux d’habitation de femmes et d’hommes ayant marqué l’histoire positivement ou négativement, car l’histoire qui s’écrit d’une société est la somme des histoires positives ou négatives qui se fabriquent dans le rationnel comme dans l’irrationnel)… Même en le faisant localement, c’est l’histoire nationale qui se fabrique ainsi. Cela demande une expertise qui ne manque pas dans ce pays.

Il suffit de le savoir et de le vouloir ainsi. C’est même une façon très subtile de construire les imaginaires politiques en entretenant la mémoire et le sentiment d’appartenance. Et progressivement, cela devient aussi une ressource économique, parce que cette mémoire entretenue nourrit le patrimoine des sites touristiques offerts à l’humanité. Pas de tourisme sans sites touristiques effectivement chargés d’histoires. Ceux qui savent voyager, mais avec leurs têtes et non rien que pour faire du shopping, savent et voient de quoi je parle. Et c’est en cela que la mémoire et la culture deviennent économiques. D’autant plus que nous sommes très faibles, en Côte d’Ivoire, en matière d’offres de sites touristiques. Il y a là une fenêtre d’opportunités que les maires ne comprennent pas encore qu’ils doivent saisir. »

Méditons ces paroles et travaillons à ne pas perdre totalement notre culture. On dit qu’elle est justement ce qui reste lorsque l’on a tout perdu.

Venance Konan