L’éditorial de Venance Konan : Le prince et l’Afrique

L’éditorial de Venance Konan : Le prince et l’Afrique

Le moins que l’on puisse dire, c’est que l’information a surpris, pour ne pas dire choqué plus d’un sujet de Sa Majesté la Reine. Aller vivre en Afrique, avec un bébé royal ?

Lorsque l’on est Européen et de sang royal, on va en Afrique pour une visite officielle, pour faire des bonnes œuvres du genre lutter contre le Sida, faire des safaris ou des affaires, mais certainement pas pour y vivre.

L’affaire a fait tant de bruit que le palais royal britannique a dû expliquer que si le prince Harry, son épouse et leur bébé veulent vivre en Afrique, c’est pour faire un travail caritatif et la promotion de la Grande-Bretagne avec la perspective de sceller des alliances économiques. Eh oui ! La jeune famille princière aurait pu annoncer qu’elle s’installerait partout ailleurs dans le monde que cela n’aurait dérangé personne en Grande-Bretagne. Oui, partout, sauf en Afrique. Parce que l’Afrique, peut-être que les Africains ne le savent pas encore, est totalement dévaluée depuis de longues années dans l’opinion des autres peuples de la terre.

C’est le continent de la misère, de toutes les pires maladies, de la violence la plus extrême, des dictatures les plus cruelles ou les plus ubuesques. Bref, l’Afrique, pour de nombreux non Africains, n’est pas très loin de l’enfer. Malheureusement, toutes les images que nous envoyons au reste du monde ne font que corroborer cette vision des choses.

En Afrique de l’ouest, par exemple, il ne se passe pas un seul jour sans que l’on déplore des tueries de masse au Mali, au Burkina Faso, au Niger ou au Nigeria. C’est pareil en Afrique centrale où les djihadistes de Boko Haram sévissent aussi au Cameroun ; où l’est de la République démocratique du Congo est en proie depuis une vingtaine d’années à des rebellions aussi meurtrières et prédatrices les unes que les autres. En Afrique du Sud libérée de l’apartheid, ce sont les étrangers africains qui font régulièrement l’objet de pogroms.

Que dire du Soudan du Sud ? A peine a-t-il obtenu son indépendance qu’il a sombré dans une horrible guerre dont les populations civiles sont les principales victimes.  Lorsque ce ne sont pas des soldats, des djihadistes ou des présumés djihadistes qui assassinent, ce sont les populations elles-mêmes qui se massacrent entre tribus différentes, ou nos élections qui se terminent en bain de sang. Et le Bénin que l’on présentait comme un modèle de démocratie et de stabilité depuis une vingtaine d’années n’a pu résister au démon africain.

Les récentes élections législatives se sont conclues dans le sang. Et comme un malheur n’arrive jamais seul, deux touristes français ont disparu dans le nord du pays, apparemment enlevés par des djihadistes qui sévissent dans le Burkina Faso voisin.

Au nord du continent, c’est la Libye qui est devenue un enfer pour ses habitants, et surtout pour les subsahariens qui s’y aventurent et qui sont vendus comme esclaves lorsqu’ils ne sont pas assassinés. L’autre image que nous envoyons au reste du monde est celle de ces centaines de jeunes gens qui, chaque jour, prennent le risque de traverser le désert ou de prendre la mer sur des embarcations de fortune, au péril de leur vie, et dont les cadavres échouent régulièrement sur les côtes européennes.

Comment un prince peut-il aller vivre avec un bébé sur un continent que ses propres habitants fuient ? Il y a quelques siècles, c’étaient les Européens qui fuyaient en masse leur continent en proie à la misère, aux guerres et aux extrémismes religieux pour aller chercher leur bonheur en Amérique.

Il y eut aussi un temps où les Chinois et les Japonais fuyaient leurs pays pour trouver un mieux-vivre ailleurs. Européens, Chinois et Japonais ont depuis longtemps dé veloppé leurs pays qui nous font aujourd’hui rêver, nous autres Africains. Est-il possible de faire en sorte que nos pays nous fassent aussi rêver un jour ?

Notons qu’en Afrique australe où des Blancs s’étaient installés, ils avaient réussi à créer des pays prospères tels que l’Afrique du Sud, le Zimbabwe et la Namibie, mais au prix de la sueur et du sang des Africains qui étaient exclus du partage de cette prospérité. Cela veut dire que le problème ne se trouve pas dans ce que nos terres peuvent nous offrir.

Il y a une demi-douzaine d’années, au vu de la forte croissance que connaissaient certains de nos pays, le monde avait cru voir l’Afrique commencer à se relever. Mais à l’heure où les djihadistes semblent gagner du terrain un peu partout en Afrique de l’ouest et du centre, où perdurent çà et là des dinosaures politiques totalement anachroniques, çà et là des guerres tout aussi anachroniques mais non moins meurtrières, il devient de plus en plus difficile de partager ce même optimisme.

Il n’est cependant pas question pour autant de se décourager. Nous, Africains, n’avons pas d’autre choix que de nous lever. Nous ne pouvons pas continuer d’accepter d’être considérés comme la lie de l’humanité, les handicapés à vie de l’espèce humaine que tout le monde se doit d’aider sans qu’ils aient à fournir d’effort.

Nous devons ensemencer nos terres et les arroser avec autre chose que du sang afin que les fruits qui en sortent soient beaux et nous fassent à nouveau rêver.

VENANCE KONAN