L'éditorial de Venance Konan : La malédiction de Sisyphe

L'éditorial de Venance Konan : La malédiction de Sisyphe

Mais dès qu’il atteignait son but, le rocher retombait jusqu’au pied de la montagne et il était obligé de recommencer. Et cela pendant toute l’éternité. Pourquoi une telle punition avait-elle été infligée au pauvre homme ? C’est parce que Sisyphe aimait rouler les dieux dans la farine.

Ainsi, lorsque Hadès, le dieu de la mort vint le chercher une première fois, Sisyphe s’arrangea pour passer à Hadès les menottes qui lui étaient destinées et échapper ainsi à la mort. Lorsqu’il finit par mourir, il réussit à convaincre les dieux de le laisser revenir à la vie, tout juste pour trois jours. Mais lorsque les dieux accédèrent à sa requête, il revint auprès de sa femme et ne voulut plus repartir au royaume des morts. A la fin, les dieux se fâchèrent et lui imposèrent la fameuse condamnation à pousser éternellement un rocher au sommet d’une montagne.
Lorsque je regarde mon pays, je pense au mythe de Sisyphe. Et Sisyphe me fait penser à notre classe politique dont tout l’art de la politique consiste à chercher à se rouler les uns les autres dans la farine. Ce n’est pas pour rien que dans la compréhension de l’Ivoirien, le mot politicien est le synonyme du mot roublard.

Sous Houphouët-Boigny, nous avions réussi à pousser le rocher très haut sur la montagne de ce que l’on appelait le développement. Nous n’étions pas au sommet de la montagne mais nous nous en approchions. Et puis, après la mort de notre premier président, nous avons laissé le rocher dégringoler.

Nous sommes redescendus dans la plaine. Et avec l’actuel président, nous avons repris notre rocher et avons entrepris de le pousser à nouveau vers le sommet de ce que l’on appelle émergence. Nous nous rapprochons du sommet. Allons-nous laisser le rocher dévaler à nouveau la pente de la montagne ? Oui, nous sommes là, l’épaule bien calée sous le rocher, nos muscles tendus, la sueur dégoulinant de notre front.

Allons-nous bander encore plus fort nos muscles pour poursuivre l’escalade ou les laisser se détendre pour que le rocher retombe vers la plaine ? A l’évidence nous sommes en train de préparer tous les arguments pour laisser le rocher chuter. Et il en sera toujours ainsi, tant que nous aurons des hommes et des femmes politiques pour qui les principes et la morale n’existeront pas, et dont le principal moteur sera l’intérêt personnel et la haine de l’autre.

Effectivement la haine est ce qui unit le plus fortement nos politiciens. En 1995, le Front populaire ivoirien (FPI) et le Rassemblement des républicains (RDR) qui n’avaient idéologiquement rien à faire ensemble s’étaient cependant trouvé un point d’accord qui était leur haine commune d’Henri Konan Bédié. En 2005 le RDR, le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) et d’autres petits partis s’étaient unis dans la détestation de Laurent Gbagbo. On avait cru que le RDR et le PDCI qui se réclamaient de l’héritage de Félix Houphouët-Boigny et qui gouvernaient ensemble aller fusionner et redevenir le même parti qu’ils étaient auparavant, mais la haine est venue les diviser. Ils ne pouvaient pas faire autrement. La même haine est donc revenue et cette fois-ci, c’est le PDCI et le FPI qui s’unissent pour haïr Alassane Ouattara.

n vérité la seule idéologie qui fait vibrer nos partis politiques est la haine qu’ils ont pour tel ou tel adversaire politique ou tel groupe social. Comment voulez-vous qu’un pays prospère sur des sentiments aussi négatifs ? Comment voulez-vous construire une nation lorsque le sentiment qui nous unit le plus fortement est la haine ? Puisque nous suivons nos leaders politiques comme des moutons, il suffit qu’ils nous disent de haïr ou d’aimer tel adversaire, pour ne pas dire ennemi politique, et par ricochet tous ses militants, pour que nous le fassions.

Ainsi, au temps du Front républicain qui unit le FPI et le RDR, les militants de ces deux partis étaient les meilleurs amis du monde, opposés à ceux du PDCI qu’ils étaient prêts à tuer au besoin. Et il y eut effectivement des affrontements meurtriers. Il en fut de même avec le Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP) qui unit le PDCI et le RDR. Il y eut aussi des affrontements qui firent des milliers de morts entre ce camp et celui du FPI, leur ennemi commun. Aujourd’hui c’est le PDCI qui s’unit au FPI contre le RDR. Et les militants de ces partis se doivent de détester ceux d’en face. Ce qu’ils ont commencé à faire. Ainsi, depuis que je me suis affiché résolument contre la candidature de Bédié en 2020, certains de mes « frères » PDCI du village ne m’adressent plus la parole, sans parler des menaces qu’ils profèrent à mots à peine voilés. Les morts ont commencé à tomber comme on l’a vu lors des élections municipales et régionales. Combien y en aura-t-il à la présidentielle de 2020 ? Nul besoin d’être devin pour savoir qu’il y en aura encore plus qu’en 2010. C’est quel pays ça ? C’est quels leaders politiques ça, qui ne savent pas enseigner l’amour et la fraternité à leurs suiveurs, mais seulement la haine ?

C’est quel peuple ça, qui se laisse manipuler comme un enfant attardé mental, parce qu’il refuse d’utiliser lui-même les cerveaux dont ses membres ont été dotés ? Tous ceux que l’on est en train d’entrainer à se haïr aujourd’hui et à se tuer demain savent-ils ce qu’il est advenu des victimes des palabres passées ? Pauvre Côte d’Ivoire, pauvres Ivoiriens. Pendant longtemps encore, vous pousserez votre rocher sur la montagne, et elle dégringolera toujours.

Ce soir, ceux de nos politiciens qui se proclament chrétiens iront célébrer la naissance de Jésus Christ, le fils de leur dieu. Ils chanteront ce dieu d’amour et de paix. Et lorsqu’ils sortiront de leurs églises, leur première préoccupation sera de mieux haïr ceux d’en face. Joyeux noël quand même !

Venance Konan

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