L'éditorial de Venance Konan: Apprendre des Libanais

L'éditorial de Venance Konan: Apprendre des Libanais

(À l’occasion de la visite dans notre pays du Président libanais, qu’il nous soit permis de publier, à nouveau, cette chronique parue dans Ivoir’Soir, le 27 février 1998, et qui nous semble toujours d’actualité. )

S’il est une communauté étrangère vivant en Côte d’Ivoire que les Ivoiriens aiment bien critiquer, c’est la communauté libanaise. C’est l’une des plus anciennes à s’être installées dans ce pays, mais aussi celle avec laquelle les relations sont les plus ambiguës.

On accuse les libanais de beaucoup de choses. Citons, pêle-mêle, leur racisme qui les pousserait à s’opposer à toute relation sexuelle entre leurs filles et des ivoiriens, leur manque d’ouverture envers les ivoiriens, et surtout leur propension à vouloir corrompre tout le monde sur leur passage. Loin de nous l’idée de réfuter ou d’accréditer tous ces préjugés sur les libanais, mais il convient de les nuancer fortement. Plusieurs d’entre nous, surtout ceux qui ont vécu dans les villes de l’intérieur, ont eu des amis intimes libanais. Et ces relations d’amitié ne souffraient aucune ambiguïté. Souvent, les parents libanais traitaient l’ami ivoirien comme leur propre fils.

De nombreux libanais de l’intérieur sont mariés à des ivoiriennes. Si peu d’ivoiriens sortent avec des libanais, on ne peut blâmer ces derniers de veiller jalousement sur l’inté grité morale de leurs filles. Concernant leur côté corrupteur, il faut reconnaître que les libanais sont difficiles à défendre sur ce point. Mais il faut aussi reconnaître que les ivoiriens eux-mêmes ne sont pas des en fants de choeur en la matière. Il y a quelque temps, un confrère avait fait un dossier sur les interventions des libanais au niveau du tribunal pour supprimer ou alléger une condamnation. Lors d’un débat à la télévision, un magistrat avait souligné qu’il aurait aussi fallu parler de celles des ivoiriens pour les mêmes raisons. On reproche beaucoup de choses aux libanais. Depuis le temps que nous vivons à côté d’eux, que nous les fréquentons, nous n’avons remarqué que leurs mauvais côtés. En oubliant qu’ils ont aussi de bons côtés et que nous gagnerions à appré hender ces qualités. À force de critiquer les libanais, nous n’avons jamais remarqué à quel point ils étaient solidaires et dy namiques. Lorsqu’un libanais arrive en Côte d’ivoire, sa commu nauté l’aide, dans un premier temps. Et il n’hésite pas à aller s’installer dans le village le plus reculé, à sillonner les pistes les plus difficiles pour acheter ou vendre des produits, à travailler très dur en se contentant de peu. Un ami libanais nous a raconté un jour que lorsqu’il est arrivé en Côte d’ivoire, il a ouvert une petite épicerie dans laquelle il a dormi pendant deux ans avant de louer un appartement.

On dit souvent “avez-vous déjà vu un Libanais en congé?” ou “avez-vous déjà vu un Libanais en costume?” Ce sont des expressions qui signifient beaucoup de choses. Dans nos villes de l’intérieur, les libanais sont souvent les plus aisés. On devrait se demander comment ils font. On aurait alors remarqué qu’ils étaient, avant tout, de gros travailleurs. Et la réussite vient, avant tout, du travail. Dans une ville comme daoukro, par exemple, les principaux immeubles appartiennent à des libanais qui y sont installés depuis plus de trente ans. Bien qu’il soit le propriétaire d’un grand immeuble de trois étages et d’autres biens, M. Issam est toujours assis derrière le comptoir de son épicerie et on a l’impression qu’il porte la même chemise depuis trente ans. On verrait difficilement un ivoirien ayant cette aisance continuer à vendre des yaourts et des bonbons. Une autre qualité des libanais que nous ne remarquons pas assez est qu’ils investissent ici.

Tout le monde s’extasie devant SOCOCÉ. Beaucoup d’ivoiriens ont toujours eu les moyens de faire quelque chose du genre, mais personne n’y a songé. Des africains ont voulu faire un hypermarché. C’était prima. Ils ont commencé par se donner des salaires et des avantages faramineux. Le résultat est que l’affaire n’a pas tenu un an. Une bonne partie des immeubles du plateau et de nos villes de l’intérieur appartiennent à des libanais. Ce qui est sûr, c’est que le jour où ils s’en iront, s’ils doivent partir, ils n’iront pas avec. Et ils sont d’ailleurs nombreux les libanais qui ne se voient plus vivre ailleurs que dans ce pays qu’ils considèrent comme le leur. Au liberia, il y avait beaucoup de libanais dans le commerce. Au plus fort de la guerre, plusieurs d’entre eux ont quitté le pays.

Certains sont restés, bravant tous les risques. Dès que la guerre s’est arrêtée, ils sont tous repartis au liberia et contrôlent à nouveau tout, investissant dans tous les nouveaux secteurs porteurs. Les ivoiriens, eux qui, d’une certaine façon, ont eu à supporter une partie du poids de cette guerre, attendent que l’on vienne les prendre par la main avant d’aller faire des affaires dans ce pays voisin. Loin de nous l’idée de faire croire que les libanais n’auraient que des qualités. Mais aujourd’hui, l’ivoirien doit changer de mentalité et se montrer plus entreprenant, plus audacieux. L’État providence est terminé. Les bonnes planques de la Fonction publique vont se raréfier. L’ivoirien devra créer son entreprise, la gérer et la faire prospérer. On nous dira qu’il n’a pas encore la bosse des affaires. Cette bosse s’acquiert en apprenant. Et les libanais, malgré leurs défauts, ont beaucoup à nous apprendre dans ce domaine. Si nous voulons vraiment apprendre. PS : Jusqu’à ce jour, M. Issam est toujours assis derrière le comptoir de son épicerie de Daoukro et m’offre toujours une bouteille de vin chaque fois que j’y vais, à la place de bonbons qu’il me donnait lorsque j’étais petit.