Jacqueville, ou la renaissance d’une ville

Venance Konan
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Jacqueville, ou la renaissance d’une ville

Elle se sait belle et désirable, et, comme toute belle femme consciente de son charme, elle sait se faire désirer. L’accès de Jacqueville n’est pas aisé. Il faut simplement être patient. D’abord emprunter la route de Dabou. Ensuite, une dizaine de kilomètres après le bourg baptisé « Kilomètre 17 », bifurquer sur la gauche et rouler encore cinq kilomètres. Un panneau vous avertit que vous risquez de vous retrouver dans la lagune si vous allez trop vite. On se retrouve effectivement au bord de la lagune, et il faut attendre le bac. Il vient toutes les heures. Parfois plus. Car il lui arrive de tomber en panne. De l’autre côté de la lagune se trouve le village de N’Djem, et l’on y aperçoit la carcasse du second bac qui, il y a de cela de longues années, permettait de gagner deux fois plus de temps. Aujourd’hui il ne reste plus que ce vieux bac un peu capricieux. Les Jacquevillois assurent que même s’il fait des caprices, jamais il n’a laissé ses passagers en rade. Il vient toujours, même si c’est parfois avec beaucoup de retard. Il suffit d’attendre. Pourquoi se presser ? Jacqueville sera toujours là, pour vous accueillir. Il y a si longtemps déjà qu’elle se languit… Les habitants de Jacqueville rêvent d’un pont qui faciliterait l’accès à leur cité. Ils rêvent d’industries et de nombreux touristes qui leur permettraient de développer leur ville. Ils envient un peu Grand Bassam. Ils ignorent la chance qu’ils ont d’avoir une ville où l’on peut encore prendre le temps d’apprécier les choses. En attendant le jour hypothétique où ce fameux pont sera construit, vous avez encore le temps d’aller goûter aux charmes discrets de Jacqueville la boudeuse. »

C’est ce que j’écrivais, il y a quelques années, sur la ville natale de Philippe Grégoire Yacé, fidèle compagnon du Président Houphouët-Boigny. Il n’y avait pas encore de pont et il n’en était même pas question, après une excursion. Oui, Jacqueville avait un charme certain que lui conféraient à la fois sa situation entre mer, lac et lagune, et aussi l’absence de touristes. Dans quelques jours, le pont que les habitants ont rêvé depuis tant de décennies deviendra une réalité. Il doit être inauguré ce 21 mars. Jacqueville obtient enfin, sous Ouattara, ce qu’elle n’avait pu obtenir sous Houphouët-Boigny, malgré l’influence de Philippe Yacé, sous Bédié, sous Gbagbo. Quelqu’un a demandé sur les réseaux sociaux le nom qu’il conviendrait de donner à ce pont. Philippe Yacé ? Henriette Dagry Diabaté ? Laurent Gbagbo ? Les paris sont ouverts. En tout état de cause, voici un nouveau pont, commencé certes sous Laurent Gbagbo, mais achevé par Alassane Ouattara, un pont pour relier les hommes et les femmes de ce pays, un pont pour faire circuler les biens et le progrès, un pont pour aller vers l’émergence. On imagine aisément le calvaire qu’ont vécu les habitants de cette ville balnéaire pendant des décennies, lorsqu’il fallait évacuer un malade ou un blessé en pleine nuit, alors que le bac a cessé toute activité.

Sans doute à cause des difficultés d’accès, dues à l’absence de pont, la ville n’a pas beaucoup investi dans les hôtels, et, de façon générale, dans le tourisme. Avec le pont, le problème d’accès sera réglé, et il appartiendra à la ville de tirer profit de l’arrivée des touristes, ou plutôt d’attirer les touristes pour amorcer son développement. Jacqueville dispose de nombreux atouts qui pourraient faire d’elle la rivale d’une localité telle qu’Assinie. Elle est très proche d’Abidjan, se trouve entre mer et lagune, et possède quelques vieilles maisons coloniales presque toutes en ruine, et de nombreuses îles que certains habitants disent habitées par les génies et qui valent quand même un détour. Au-delà de Jacqueville, se trouvent de très charmantes localités telles que Toukouzou-Hozalem, le village de Papa Nouveau, le fondateur d’une église syncrétique pratiquée par la population de la région, le village sur pilotis de Tiagba, Grand Lahou, ancienne ville coloniale que la mer est en train de dévorer. Jacqueville pourrait rapidement devenir l’endroit où tout nanti devrait rêver de posséder une résidence secondaire, au bord de l’eau.

Elle a désormais tous les atouts entre ses mains. Il appartient à ses autorités d’en tirer le meilleur profit pour la faire renaître.

 

Venance Konan