Investir dans l’intelligence

Investir dans l’intelligence

Notre problème est que pendant longtemps, nous n’avons été vus que comme des pays pourvoyeurs de matières premières et rien d’autre. Et sans doute qu’inconsciemment, nous avons fini par l’accepter. Notre premier président, Félix Houphouët-Boigny, répétait souvent que qui possédait l’Afrique tiendrait le monde, du fait de nos importantes matières premières stratégiques.

Feu Omar Bongo disait pour sa part que la France sans son pays était comme une voiture sans carburant. Je crois qu’au fond de nous-mêmes, du fait peut-être du traumatisme de la colonisation, nous ne nous sommes jamais vraiment vus comme capables de produire aussi de l’intelligence.

Au temps de la colonisation, l’éducation avait pour fonction de fabriquer de bons agents très serviles destinés à exécuter les ordres du colon. Et les colonies servaient essentiellement à fournir des matières premières aux métropoles et de la chair à canon lors de leurs guerres. Dans une colonie comme le Congo, par exemple, il ne fut pas permis aux indigènes d’aller au-delà de l’école primaire. Le résultat fut que lorsque ce pays accéda à l’indépendance, il disposait d’à peine une cinquantaine de cadres de niveau universitaire.

Après les indépendances, quelques pays ont tenté de sortir de cette condition en développant leurs systèmes éducatifs. Ce fut notamment le cas de la Côte d’Ivoire dont le président considéra l’éducation comme une de ses plus grandes priorités. C’est ainsi qu’il construisit des lycées d’excellence, des lycées scientifiques (il répétait inlassablement que l’avenir appartenait à la science et à la technique), des grandes écoles qui formèrent la crème des cadres de notre pays et même d’autres pays africains.

Déjà, avant l’indépendance, dès qu’il fut élu député à l’Assemblée nationale française, il envoya, sur ses propres deniers, des jeunes gens de son pays poursuivre leurs études en France. Cependant, dans de nombreux pays, l’éducation fut le dernier des soucis des dirigeants.

Mais dans la répartition internationale du travail, le rôle assigné à l’Afrique était de fournir des matières premières et rien d’autre. Durant la guerre froide, la compétition entre les deux blocs consistait pour chaque camp à mettre la main sur le plus de pays disposant de matières premières stratégiques.

A la fin des années quatre-vingts, comme par hasard, tous les pays africains furent frappés par une grave crise qui les obligea à recourir aux recettes des institutions de Bretton Woods, à savoir le Fonds monétaire international et la Banque mondiale. Et dans leurs plans d’ajustement structurel, les fameux PAS, les systèmes éducatifs furent un peu partout les premiers touchés.

La guerre froide est terminée. Les anciens acteurs sont toujours présents, mais de nouveaux ont fait leur apparition. Il s’agit notamment de la Chine, de l’Inde, du Brésil, de la Turquie. Comme quoi, aucun pays n’est condamné à rester éternellement dans son état de pays pauvre. Tous ces nouveaux acteurs ont le regard tourné vers l’Afrique en raison justement de ses matières premières dont ils ont besoin pour développer leurs économies.

A l’évidence, les seuls pays que les produits de base africains n’intéressent pas dans une perspective de développement sont les pays africains détenteurs de ces richesses. Notre principale préoccupation est de trouver des acheteurs pour boucler nos fins de mois, à des prix sur lesquels nous n’avons aucune prise. Nous nous considérons sans doute comme une périphérie par rapport à un centre qui se trouve sur un autre continent, ou comme une banlieue de la civilisation occidentale, et peut-être qu’inconsciemment, le développement de ce centre est ce qui nous préoccupe le plus.

Si nous avions un peu plus investi dans les intelligences, nous aurions certainement trouvé les moyens de transformer nos matières premières. Il n’est pas tard. Au contraire, la compétition que se livrent les pays dit émergents sur notre continent pourrait être l’occasion pour nous de mieux former nos jeunes gens et de développer notre système éducatif.

Tant que nous n’investirons pas dans l’intelligence, nous ne serons vus que par rapport à nos produits de base et les vies humaines seront de peu d’importance. Et tant que nous nous verrons en banlieue, nos problèmes seront toujours secondaires par rapport à ceux du centre.

Venance Konan