Houphouétisme

Houphouétisme

Houphouët-Boigny, c’est l’homme qui a proclamé l’indépendance de la Côte d’Ivoire, qui l’a dirigée pendant trente-trois ans, et c’est l’homme dont nos principaux leaders politiques se prétendent les héritiers politiques ou spirituels, et qui se battent pour faire savoir qui est le meilleur héritier. Houphouët-Boigny ne fut pas seulement l’homme de la Côte d’Ivoire. Il fut celui qui créa à Bamako, dans le Mali actuel, le Rassemblement démocratique africain (Rda) qui conduisit presque tous les pays d’Afrique francophone à l’indépendance. Il fut aussi député et ministre en France pendant de longues années avant notre indépendance.

A sa mort, il y a vingt-cinq ans, une bonne partie des dirigeants du monde entier vinrent lui rendre hommage.  Vingt-cinq ans, cela fait un quart de siècle. Sous d’autres cieux, cette année 2018 aurait été celle d’Houphouët-Boigny. C’est-à-dire que tout au long de l’année, l’on aurait organisé des manifestations pour lui rendre hommage et rappeler toutes ses actions.

Sous d’autres cieux, l’on aurait rencontré des statues géantes et des portraits d’Houphouët-Boigny partout dans le pays. Des musées et des mausolées lui auraient été consacrés. Sous nos cieux à nous, aucun de ceux qui se battent en son nom actuellement n’a eu le temps de penser à lui en vingt-cinq ans. Il n’y a aucun musée où les jeunes gens que tout le monde cherche à instrumentaliser peuvent aller découvrir la vie et l’œuvre d’Houphouët-Boigny.

Aucun mausolée où l’on peut lui rendre hommage. Aucune statue pour ne pas oublier son visage. L’on aurait cherché à gommer Houphouët-Boigny de nos mémoires que l’on ne s’y serait pas pris autrement. Dans moins de deux mois donc, cela fera vingt-cinq ans que Houphouët-Boigny est décédé. Patientons. Nous verrons tous ce que ses héritiers ont prévu à cette occasion, en dehors d’aller déposer une gerbe de fleurs sur sa tombe et d’aller assister à une messe à la basilique.

Tiens, y iront-ils ensemble ou chacun de son côté ? Rappelons qu’en 2010, c’est sur la tombe d’Houphouët-Boigny qu’ils avaient juré de ne plus jamais se quitter. Bon nombre de congressistes du Pdci affirment ne jamais vouloir abandonner le nom de son parti, parce que c’est sa création. C’est tout ce qu’ils ont trouvé pour perpétuer sa mémoire ?

Alors, dans quelques jours, le Pdci tiendra son congrès à Daoukro, sa nouvelle capitale. On commencera probablement par chanter l’hymne du Rda qui raconte comment en 1946, au pays de Soundiata, sur les bords du grand Niger, tous les Africains ardents et fiers s’étaient donné rendez-vous. Et le refrain dit «rassemblement, rassemblement démocratique africain…» Vous avez dit rassemblement ? Au temps d’Houphouët-Boigny, lorsque Balla Kéïta disait « un pied dedans, un pied dehors, dehors ! », les vrais sages du parti qu’étaient les Camille Alliali ou Mathieu Ekra disaient : « Si vous avez un pied dehors, faites tout pour le ramener dedans. »

Aujourd’hui au Pdci, ce sont des exclusions à tout va. On assiste à l’humiliation de hautes personnalités de la République qui sont huées sous l’œil impavide, pour ne pas dire complice, du grand chef ; à des menaces, pour de simples divergences de vues. On ne discute plus au Pdci. Non, il n’y a plus de place pour les échanges, les vrais débats. C’est devenu le parti de la pensée unique, de l’intolérance, de l’irrespect, de la violence. Désolé, ce n’est pas là l’héritage d’Houphouët-Boigny.

Ah, Houphouët-Boigny ! A son époque, il y avait même des pré-congrès pour préparer les congrès. De solides commissions composées d’experts planchaient sur tous les aspects de la vie de la nation. Que nous propose le Pdci, aujourd’hui, sur la situation de notre pays ? Quelles sont les propositions de ce parti sur l’école, la santé, la sécurité, le sort des paysans, des fonctionnaires, la salubrité, les problèmes écologiques, les forêts, etc. ? Quel jour le Pdci s’est-il réuni pour réfléchir ou faire semblant de réfléchir sur les problèmes des Ivoiriens ? Il y a longtemps que le sort des Ivoiriens n’intéresse plus ce parti.

Alors à Daoukro, après l’hymne, on écoutera le discours du chef qui cadrera les travaux et les balisera. Puis on l’adoubera, en laissant à une autre instance le soin de le désigner plus tard comme candidat de son parti à l’élection présidentielle de 2020. On entérinera la rupture avec le Rhdp d’Alassane Ouattara. On exclura quelques personnalités. On lancera des menaces contre ceux qui chercheront à déstabiliser le parti. On se congratulera et on se séparera.

A vrai dire, le congrès, c’est juste pour ôter un argument à ceux qui cherchent des poux dans les cheveux du Pdci. Sinon, le Pdci est juste un instrument mis au service de l’ambition du chef qui est de revenir au pouvoir pour calmer son égo.

Venance Konan