Ghislaine, Claude…

Venance Konan
Venance Konan
Venance Konan

Ghislaine, Claude…

Qui peuvent avoir été les victimes de ce kidnapping ? A Bamako, il y a Serges Daniel. Il y a aussi des envoyés spéciaux qui viennent régulièrement de Paris. Qui ? Je ne me souviens plus. Je sais aussi qu’une équipe devait descendre de Paris sur Bamako, ces jours-ci, mais je n’ai pas les noms. Pour l’histoire de l’enlèvement, je pensais à un groupe appâté par les chiffres qui avaient circulé après la récente libération des quatre otages français. On avait parlé de 20 millions d’euros. De quoi susciter une vocation de kidnappeur. Mais je me disais qu’avec la présence des forces françaises dans la région, la libération des confrères pourrait intervenir rapidement. Puis  cette annonce brutale, cruelle : les deux journalistes ont été assassinés. Sans autre précision. Par qui, bon Dieu ? Et pourquoi ? Pourquoi une telle chose ? Pourquoi tuer des journalistes désarmés qui ne faisaient que leur travail ?

Quelques minutes plus tard, les noms ont suivi : Ghislaine Dupont et Claude Verlon. Le choc ! De Ghislaine, je connais seulement le nom et la voix. Peut-être nous sommes-nous croisés un jour dans les couloirs de Rfi, peut-être avons-nous été présentés. Je ne sais plus. Claude, par contre, c’était un ami. Je l’avais connu à Abidjan, à la fin de l’année 2010, pendant les heures chaudes de notre crise. De Claude, le grand public connaissait seulement le nom, car il était un technicien, un alchimiste des sons. Nous avions passé le réveillon du 31 décembre 2010 ensemble, avec Cyril et Juliette qui deviendra, trois années plus tard, mon épouse. Elle aussi était amie à Claude. A l’Onuci où elle travaille, elle s’occupait des « voyages » des journalistes en « République du Golf », c’est-à-dire la traversée de la lagune en hélicoptère de l’Onuci, pour aller à l’hôtel du Golf où le Président Alassane Ouattara et tous ses proches étaient assiégés par l’armée de Laurent Gbagbo. Ce soir-là, nous avons mangé des lapins braisés chez Jeff à Biétry, avant d’aller prendre un verre dans une boîte du coin. Notre pays dansait alors au bord du volcan et cette nuit-là, plusieurs personnes nous appelèrent pour nous dire qu’on entendait des coups de feu par-ci, des détonations par-là. Moi-même, je n’en menais pas large à cette époque et je ne m’attardai pas longtemps dehors. Quelques jours après ce réveillon, j’ai pris le large et le 19 janvier, je me suis retrouvé à Paris. Claude et tous ces amis de la presse française me donnèrent un sacré coup de main durant ces moments difficiles. Je rencontrais Claude à Rfi ou à des fêtes chez des amis. Lorsqu’il apprit mon mariage avec Juliette, il dit, comme Cyril, que cette union était nulle et de nul effet parce qu’il n’y avait pas assisté et qu’il nous fallait le recommencer pour le valider. La dernière fois que je l’ai vu, je crois que c’était à une fête chez un ami. Chaque fois que je vais à Paris, un de mes amis organise une fête chez lui et tout le monde s’y retrouve. Je ne sais plus chez qui cette fête où j’ai vu Claude pour la dernière fois avait eu lieu. Chez Cyril ? Chez Christophe ? Je ne sais plus. S’il te plaît Claude, ne t’en vas pas avec ma mémoire.

Claude, Ghislaine ! Il y a quelque temps, les autorités ivoiriennes rendaient hommage à Jean Hélène, tombé, il y a dix ans, sous les balles d’un policier guidé par sa seule haine. Et aujourd’hui, Claude et Ghislaine. Tombés pour quel motif ? La haine aussi ? Ou simplement la bêtise d’un groupe d’hommes ? Quelle humanité y a-t-il encore en ces hommes pour qui la vie des autres n’a aucune valeur ? Quelle absurdité que de croire qu’en tuant froidement des innocents, l’on s’assurerait ainsi une place au paradis ! Quelle religion enseigne-t-elle cela ? Aucune, aucune, aucune. C’est une bêtise que de tuer un journaliste qui ne faisait que son métier. Mais c’est trop douloureux lorsque c’est un ami qui part ainsi.

Venance Konan