Génération de cancres

Génération de cancres

Nous y sommes entrés en 1970. A cette époque, le lycée s’appelait Cours d’enseignement général (Ceg). Avant d’avoir ce statut, il était appelé Cour complémentaire (Cc). Norbert et moi avons visité nos classes et nous nous sommes souvenus de nos condisciples de l’époque, de nos professeurs dont certains sont aujourd’hui décédés et de plusieurs scènes enfouies dans notre mémoire.

Nous nous sommes souvenus, entre autres, de ces deux professeurs guinéens qui avaient été emprisonnés parce que l’on avait découvert que leurs diplômes étaient faux ; qu’à cette époque, celui qui se faisait prendre en train de tricher était renvoyé ; que porter la main sur un professeur ne pouvait même pas traverser l’esprit d’un élève, parce que cela lui aurait valu d’être interdit d’école dans tout le pays.

Nous nous sommes aussi souvenus que lorsque nous entrions en sixième, on nous faisait signer un « engagement » à ne jamais faire de grève sous peine d’être renvoyés. Le pays venait de connaître des grèves et Houphouët-Boigny, le Président d’alors, ne voulait plus que cela recommence. Il disait qu’il préférait l’injustice au désordre, parce que la première pouvait se réparer, alors que le désordre pouvait conduire au chaos.

Nous étions, à cette époque, sous le régime du parti unique que certains ont qualifié de dictature. Aujourd’hui, nous sommes en démocratie et à quoi assistons-nous ? Nos enfants sont actuellement en grève simplement parce qu’ils veulent aller en vacances plus tôt qu’aux dates arrêtées par le gouvernement. Ce n’est pas la première fois qu’ils font cela.

Le 7 août dernier, j’ai parrainé la fête de l’indépendance à M’Batto et je me souviens que dans son discours, le préfet avait déploré ces grèves intempestives à propos des dates des vacances scolaires. Aujourd’hui, pour un oui ou pour un non, élèves ou étudiants refusent d’aller au cours. Il en est de même des enseignants. Ce ne sont plus les parents, les aînés ou les autorités qui imposent les règles, mais les enfants, les cadets.

Le résultat de tout cela ? Ce sont des cancres qui sortent de nos écoles. Le niveau de nos enfants est tellement bas que cela donne envie de pleurer. Mais ce sont ces cancres que nous serons obligés d’injecter dans notre administration, dans notre armée, dans notre police. Devrons-nous nous étonner des mutineries et autres futures rébellions ? Ce sont eux aussi qui seront nos médecins et infirmiers.

Vous pouvez aisément imaginer les dégâts que peut causer un médecin ou un infirmier mal formé. Et ce seront toujours eux qui créeront des temples et des églises pour faire les poches aux autres cancres qui croiront qu’il suffit de donner de l’argent à un pasteur pour accéder au bonheur. Nous demandons-nous, de temps en temps, ce que ce pays deviendra dans dix, vingt ans ? Comment pourrons-nous émerger avec de telles ressources humaines ? Et moins les gens sont compétents, plus ils sont corrompus.

Si nous ne prenons pas le taureau par les cornes dès maintenant, nous courons tout droit dans le mur. Voyez dans quel état se trouve un pays comme la Centrafrique ! Si nous n’y prenons garde, c’est dans un état pareil que notre pays risque de se trouver. Surtout si nous continuons de ne former que des cancres.

Nous déplorons tous cette situation, nous nous demandons tous ce que l’État fait, mais personne ne s’interroge sur sa propre responsabilité. Eduquons-nous nos enfants comme il se doit ? Leur consacrons-nous le temps nécessaire qu’il faut pour leur assurer une bonne éducation ? Si nous n’avons pas le temps de nous occuper de notre progéniture et que nous laissons le soin à la rue et à l’école de le faire à notre place, nous ne devrions pas être étonnés du résultat.

Qui s’inquiète du taux de plus en plus élevé de grossesses en milieu scolaire ? J’ai appris, ce week-end, que l’une des récentes spécialités de la région de Daoukro est le viol, parfois commis par des agents des forces de l’ordre qui ne sont pas punis et qui sont toujours en poste.

Je ne sais pas s’il faut organiser des états généraux sur l’éducation de nos enfants, mais nous devons nous montrer fermes, dans un premier temps, et mettre vraiment fin à l’impunité. N’oublions pas ce que Houphouët-Boigny disait. Il préférait l’injustice au désordre. Nous devrions, dans ce pays, connaître déjà le prix du désordre.

Venance Konan