Fraudes

Fraudes

Il y a quelque temps, un Européen installé dans notre pays m’a interpellé sur ce qu’il appelle « les descentes musclées » des agents de la Cie qui, « autoritairement et arbitrairement, c’est-à-dire sans la moindre preuve tangible et formelle, vous accusent de tromperie et d’escroquerie sous couvert d’une position monopolistique. » Il se trouve que j’ai failli être victime de l’une de ces « descentes », il y a quelques mois.

Un jour, l’on m’appela de mon domicile pour m’informer que des hommes se disant agents de la Compagnie ivoirienne d’électricité (Cie) étaient venus pour enlever mon compteur, parce qu’il aurait été truqué. J’ai demandé à leur parler. Après m’être présenté, je leur ai dit que je rentrais chez moi pour voir la preuve qu’ils avaient que mon compteur était truqué. Celui que j’avais au téléphone m’a répondu qu’ils ne m’avaient pas accusé d’avoir truqué mon compteur, mais qu’ils étaient venus pour un simple contrôle. Quelques minutes plus tard, ils m’ont rappelé pour m’informer qu’ils n’avaient rien trouvé de suspect sur mon compteur. Je suis conscient que mon nom et ma fonction ont contribué à dénouer rapidement cette affaire; et j’imagine aisément ce que cela aurait été pour un citoyen moins connu ou un étranger, qui n’a rien à se reprocher, mais qui serait sommé de prouver qu’il n’a pas fraudé. Comme nous sommes en Côte d’Ivoire, la seule façon de ne pas se voir enlever son compteur et se retrouver sans électricité, est de mettre la main à la poche. Il y a de quoi parler d’autoritarisme et d’arbitraire. Il y a, à n’en pas douter, des agents véreux de la Compagnie ivoirienne d’électricité qui abusent leurs clients.

Cependant, il faut dire, à la décharge de la Cie, que la fraude fait partie de nos sports préférés. Lorsque j’emménageais… dans mon logement actuel, il y a quatre ans, un de mes très bons amis, qui est à classer dans la catégorie des cadres moyens, et qui peut parfaitement payer ses factures, tenta de me convaincre d’adopter un système indétectable qui m’aurait fait économiser sur ma facture d’électricité.

Il me proposait, tout simplement, de truquer mon compteur. J’eus beaucoup de mal à lui expliquer que j’étais capable de payer mes factures et que je ne voyais pas la nécessité de frauder. Il revint à la charge, lorsque je décidai de m’abonner au bouquet de chaînes télévisées satellitaires. Il m’expliqua, en long et en large, les vertus du « système araignée » qui m’aurait permis d’économiser beaucoup d’argent. Ils sont nombreux, ceux qui, comme mon ami, ont la fraude chevillée au corps. Ils ne conçoivent rien en dehors de la fraude. Ils ne voient pas pourquoi ils paieraient une facture normale lorsqu’ils ont la possibilité de payer moins, malgré tous les risques qu’ils courent s’ils se font prendre ; pourquoi ils achèteraient un journal à deux cents francs lorsqu’ils peuvent le... louer à cinquante francs, ou tout simplement l’emprunter. La Cie a publié les pertes colossales qu’elle subit du fait de la fraude. Les responsables de Canal Horizons, que j’ai rencontrés récemment, m’ont fait part des leurs. Et le directeur de journal que je suis est bien placé pour savoir dans quel état se trouvent les journaux ivoiriens aujourd’hui. Plusieurs risquent, tout simplement, de disparaître, non pas par manque de lecteurs, mais par la faute de lecteurs qui ne veulent pas payer le juste prix de leur journal. Certaines entreprises de presse ont dû se séparer de plusieurs journalistes pour pouvoir survivre.

Nous mettons à mal notre économie avec cet esprit. Les entreprises victimes de nos fraudes ont tout le mal du monde à faire des investissements pour améliorer leurs services. Ce que nous ne  réalisons pas, c’est qu’en dernier ressort, nous faisons régresser notre pays; et nous sortons perdants dans l’affaire, parce que les entreprises que nous croyons gruger nous répercutent leurs pertes. En croyant gagner, nous payons plus cher, en fin de compte.