Faux débats sur la nouvelle Constitution

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Faux débats sur la nouvelle Constitution

C’est ce qu’a écrit mon confrère et ami K.K. Man Jusu, ancien journaliste à Fraternité Matin, dans l’édition de Notre Voie des samedi 3 et dimanche 4 septembre 2016. Nous sommes d’accord avec lui. Poursuivons donc ce débat sur notre projet de nouvelle Constitution. Il y a ceux qui ont parlé d’opportunité, en entendant par là qu’il ne serait pas judicieux de changer de Constitution. Nous disons que cet argument est dangereux et est avancé par des personnes qui n’ont tiré aucune leçon de notre histoire.

 

K.K. Man Jusu écrit que : « fortement attachée à son ‘’ET’’, la majorité des Ivoiriens n’est pas prête à céder d’un iota sur l’article 35 de la Constitution actuelle…Une victoire du ‘’OU’’ sur le ‘’ET’’ à l’heure actuelle reviendrait sûrement à réveiller les vieux démons qui, comme les ‘’crocodiles de Yamoussoukro’’ (pour paraphraser Félix Houphouët-Boigny) dorment les yeux ouverts ! » Je ne sais pas sur quel sondage ou suffrage K.K. Man Jusu fonde cet argument selon lequel la majorité des Ivoiriens serait contre une modification de l’article 35 de notre Constitution, mais son propos traduit de sa part une cécité qui m’étonne. Combien de guerres nous faut-il pour comprendre que cet article est mauvais, a divisé notre pays et nous a conduit déjà à une guerre ? Combien d’autres guerres nous faudra-t-il encore endurer pour comprendre que cette disposition de notre Loi fondamentale va contre la marche de notre pays et du monde, qui sont de plus en plus globalisés, de plus en plus mélangés entre ethnies, entre nationalités, entre couleurs?  à Linas-Marcoussis, tous les acteurs politiques ivoiriens avaient reconnu que cet article était dangereux et devait être ôté de nos textes. Avant sa chute, Laurent Gbagbo avait reconnu, lors de son discours de fin d’année en 2009, qu’il fallait enlever cet article si nous voulions la paix dans ce pays. Alors, parce que la paix est revenue, que notre pays est redevenu normal, Kinimo Kangah Man Jusu a oublié les huit terribles années que nous avons connues entre 2002 et 2010, et toutes les horreurs de la guerre postélectorale de 2010-2011 ! Et il nous ressort que nous devons continuer d’exclure du jeu politique une partie de plus en plus grandissante de notre population, sans comprendre que les mêmes causes produisent toujours les mêmes effets !

 

à côté de cet argument, il y a ceux qui estiment que le moment n’est pas approprié, parce que nous n’aurions pas encore réalisé la réconciliation, vaincu le chômage, la corruption, etc. Cet argument est tout simplement stupide. Parmi les problèmes importants et urgents que notre pays a à résoudre, figure l’adaptation de nos textes fondamentaux à l’évolution du monde et de notre société. Un pays qui a une Constitution qu’il est obligé de contourner chaque fois qu’il veut avancer, et qui ne cherche pas à se doter d’un texte qui sera respecté, est un pays peuplé d’idiots.

 

Enfin, il y a la question de la méthode. Affi N’Guessan, le leader du Front populaire ivoirien (Fpi) et ses petits camarades regroupés au sein d’une coalition de partis d’opposition disent qu’ils ne sont pas d’accord avec la méthode proposée par le Chef de l’État pour rédiger la nouvelle Constitution. Certaines personnes parlent de la nécessité de passer par une Assemblée constituante. Et notre ami K.K. Man Jusu de se poser cette question : « N’est-il pas plus indiqué d’élire une ‘’Assemblée constituante’’ à l’instar de la France dont la Constitution de la Ve République (1958) continue de résister au temps ? » K.K. Man Jusu, s’il est bon de participer au débat, il faut cependant éviter de dire n’importe quoi. Où as-tu appris que la Constitution de la Ve République en France a été adoptée par une Assemblée constituante ? Ouvre n’importe quel livre de droit constitutionnel, ou, va sur Internet, tape « Constitution de la Ve République française », et tu auras toutes les informations sur ce texte, notamment sur la méthodologie suivie pour le faire adopter. Je te la résume :

 

- Mise en place d’un comité d’experts pour la conduite des travaux préparatoires, sous la présidence du ministre de la Justice, Garde des Sceaux

 

- Examen du projet de Constitution par un Comité consultatif constitutionnel composé de représentants de l’Assemblée nationale et du Sénat.

 

- Adoption du projet en Conseil des ministres.

 

- Référendum pour l’adoption de la Constitution.

 

Il s’est passé exactement quatre mois entre le moment où il a été décidé de changer de Constitution et le référendum qui l’a adoptée. Ceci pour vous dire qu’il n’y a pas une méthode universelle que tous les pays se doivent de suivre. Chaque pays adopte la méthode qui lui sied, en fonction de ses réalités. Rappelons que la Constitution actuelle à laquelle notre ami K.K. Man Jusu et certains obscurantistes s’accrochent n’a pas été adoptée par une Assemblée constituante. Pour la nouvelle, le Président de la République nous a proposé une méthode. Elle ne plaît pas à Affi et ses camarades. C’est leur droit de le dire. Mais leur droit s’arrête là. Ils n’ont pas celui d’empêcher, par quelque moyen que ce soit, le déroulement du processus d’adoption de la nouvelle Constitution. Parce qu’ils ne représentent pas la majorité, ni au Parlement, ni dans la société ivoirienne. Et j’espère qu’ils ne contesteront pas ce propos.

 

Venance Konan