Europe et Afrique, un même destin

Europe et Afrique, un même destin

Il devient plus qu’urgent effectivement de faire cet investissement, parce que c’est cette jeunesse qui fuit en masse nos pays pour périr le plus souvent de soif dans le désert, se noie dans la Méditerranée ou est vendue comme esclave en Libye. Le rêve de tous ces malheureux est d’atteindre l’Europe qu’ils voient d’ici comme la terre promise, l’eldorado.

L’Europe de son côté ne sait plus quoi inventer pour empêcher les migrants de l’envahir. Certains Africains soupçonnent même la diffusion des images de ce marché d’esclaves d’être une opération montée pour dissuader les Africains de tenter d’aller en Europe par la route. Ce qui est certain, c’est que l’Afrique ne peut plus croiser les bras et regarder ses jeunes gens, qui représentent sa force vive, la fuir sans rien faire.

L’Afrique ne se construira pas avec des vieillards, même si ces derniers ont leur utilité. Oui, l’Afrique n’a pas d’autre choix que d’investir dans sa jeunesse, si elle rêve de s’en sortir un jour. Que peut ou doit faire l’Europe dans ce projet ? Si les dirigeants africains sont les premiers responsables du développement de leurs pays, l’Europe de son côté peut y contribuer de manière significative.

D’abord, parce que nous sommes voisins (en certains endroits du Maroc l’on voit l’Europe à l’œil nu), mais aussi parce que nous avons une histoire commune qui remonte à la nuit des temps, et surtout parce que nos futurs sont liés. Notre histoire commune fut parfois douloureuse, mais le plus important est l’avenir. L’Europe vieillit alors que l’Afrique est pleine d’une jeunesse qui ne sait que faire de sa vitalité. L’Europe est riche alors que l’Afrique est pauvre.

Les mouvements migratoires auxquels nous assistons en ce moment, malgré les drames qui les accompagnent, prouvent bien qu’il est difficile de jouir tranquillement de ses richesses lorsque l’on a pour voisins des pauvres. Il deviendra de plus en plus difficile d’avoir, au nord de la Méditerranée, une Europe très riche et repliée sur elle-même, et au sud, une Afrique vivant dans la misère. Jusque-là, tous les moyens mis en œuvre pour dissuader les Africains sans emploi et sans moyens d’aller en Europe n’ont pas donné de résultats probants.

Un pays tel que l’Italie est en train de crouler sous le poids des migrants qui échouent tous les jours sur ses côtes. Même cette histoire d’esclavage ne dissuadera pas les candidats à la migration. Que faire ? Il ne s’agira pas pour l’Europe de jeter des miettes de sa richesse aux pauvres Africains, mais de trouver un moyen pour aider les Africains à sortir de la misère.

Dans la « Déclaration de Lisbonne », adoptée lors du Sommet qui s’est tenu les 8 et 9 décembre 2007 dans la ville éponyme, les signataires se convainquaient bien d’être « … résolus à bâtir un nouveau partenariat politique stratégique pour l’avenir, en dépassant nos relations traditionnelles établies sur le mode bailleurs de fonds/ bénéficiaires et en nous appuyant sur des valeurs et des objectifs communs dans notre recherche de la paix et de la stabilité, de la démocratie et de l’État de droit, du progrès et du développement ».

De son côté, Mario Giro, le vice-ministre italien des Affaires étrangères, disait ceci, dans une interview qu’il avait accordée à Fraternité Matin il y a quelques mois: « De l’Europe, on parle beaucoup de l’Afrique d’une manière nouvelle. Bien sûr, l’impulsion est donnée par la question migratoire et finalement les réflexions tournent désormais vers l’idée de concevoir le co-développement. Parce qu’on ne s’en sortira pas si on n’a pas compris combien les deux continents sont entrelacés et surtout combien est fort l’intérêt commun de se développer ensemble. Si je regarde la situation européenne et africaine de façon globale, je vois que les grands dangers sont ailleurs… L’approche, c’est d’éviter de croire que l’Afrique est simplement un gisement à ciel ouvert, mais de comprendre que l’Afrique est le futur de l’agriculture du monde, qu’elle a encore des terres à exploiter, qu’elle est jeune, alors que l’Europe est vieille. L’Afrique est le sud de l’Europe et l’Europe, le nord de l’Afrique, en quelque sorte. On ne peut pas répondre aux défis, par exemple le défi migratoire, seulement avec l’aide au développement. »

Européens et Africains doivent changer de paradigme, ou de logiciel, si l’on veut. Nous devons bâtir un nouveau partenariat qui permette ce co-développement dont parlait Mario Giro.

Pour ce faire, l’Afrique doit cesser d’attendre que les autres viennent réaliser son destin à sa place. Elle doit être la première à investir effectivement dans sa jeunesse, en lui donnant la formation nécessaire qui lui permettra de se prendre en main, en créant les cadres qui permettent à cette jeunesse-là de s’épanouir chez elle.

Ne nous voilons pas la face: une bonne partie des jeunes Africains qui finissent dans l’enfer libyen ou dans la Méditerranée ne fuient pas que la misère. Ils fuient parfois des dictatures et des pays où les droits humains les plus élémentaires sont inexistants ou régulièrement bafoués.

L’Europe, de son côté, peut aider à assurer cette formation et elle peut investir encore plus en Afrique pour créer les emplois qui maintiendront les jeunes sur place.

Venance Konan