Être et avoir été

Être et avoir été

Prenons le cas de Nelson Mandela. Lorsqu’il menait la lutte armée contre le régime de l’apartheid dans son pays, il aurait pu entrer ainsi dans l’Histoire. Mais il fut arrêté et emprisonné à vie. Ses bourreaux croyaient le jeter ainsi dans les oubliettes de l’Histoire. Or, c’est justement ainsi qu’il obtint sa place dans l’Histoire, non seulement de son pays, mais aussi celle du monde entier.

Place qu’il renforça en quittant le pouvoir après l’avoir exercé durant un seul mandat. Que se serait-il passé s’il avait accepté de faire un second mandat comme les lois de son pays l’y autorisaient ? Personne ne peut le dire. Peut-être le pire, peut-être le meilleur. Mais en se retirant volontairement du pouvoir, il est devenu de son vivant une icône, un demi-dieu vénéré de la terre tout entière.

Que dire de cet autre homme politique africain qui est, lui aussi, entré dans l’Histoire de son pays et qui semble vouloir à tout prix en sortir pour être mis aux oubliettes ?

Lorsqu’il dirigeait son pays, il fut accusé d’avoir divisé son peuple en créant un concept qui établissait la discrimination entre les citoyens pour l’accès à certains postes. Il consacra le plus clair de son énergie à poursuivre un de ses adversaires politiques à qui il dénia tout droit de porter la nationalité de son pays. Finalement, il fut balayé par un coup d’État et contraint à l’exil. Il n’y eut pas grand monde pour le regretter.

Au contraire, l’on crut qu’il était tombé dans les basses fosses de l’Histoire. Mais dix ans plus tard, il se réconcilia avec son principal adversaire qu’il avait poursuivi de ses foudres et à qui il avait retiré la nationalité, s’allia à lui et contribua à le faire élire à la magistrature suprême. Le monde entier le plaça sur un piédestal, lui donna le titre de « sage d’Afrique » et lui ouvrit toutes grandes les portes de l’Histoire. Son nouvel allié ne manqua pas de lui témoigner toute sa reconnaissance, en lui donnant tous les honneurs, et en le consultant sur toute décision importante concernant le pays.

Est-ce bien sage, à ce stade d’une vie, de chercher à revenir au pouvoir, surtout que le poids des années commence à se faire sentir et que le pays que l’on a dirigé il y a vingt ans a changé ?

Tonton, pour tout le respect que nous avons pour vous, et dans l’intérêt de votre pays, ne cherchez plus à revenir au pouvoir. Choisissez, parmi tous vos suiveurs, celui qui présente le plus de qualités pour diriger le pays et soutenez-le de toutes vos forces. C’est la seule façon pour vous de conserver votre place dans l’Histoire et d’être utile à votre pays. Mieux, rencontrez votre ancien allié, celui qui vous appelait « mon aîné », mettez à plat vos divergences en ayant à l’esprit l’intérêt de notre pays, et, nous en sommes tous certains, vous arriverez à nouer, sous les auspices du père fondateur Félix Houphouët-Boigny, une nouvelle alliance pour faire avancer notre pays.

Tonton, le jour où vous annoncerez votre candidature, une bonne partie de vos militants vous abandonneront. Parce que, s’ils vous soutiennent contre votre adversaire à qui ils reprochent beaucoup de choses, ils ne souhaitent pas pour autant vous voir revenir au pouvoir à 86 ans. Beaucoup autour de vous sont en train de mouiller le maillot dans l’espoir que vous les désignerez comme le candidat de votre parti. Ils avaleront difficilement de savoir que tout ce combat, vous ne l’aurez mené que pour vous-même. De plus, je puis vous assurer que personne dans la communauté internationale ne vous soutiendra. Or, ce genre de soutien compte dans nos élections, quoi que l’on en pense. Et puis, si dans ce pays où tous les impossibles deviennent possibles, vous accédez au pouvoir, croyez-vous que vous pourrez l’exercer ? Vous le croyez vraiment ?

Pour terminer, rappelons aux uns et aux autres que cette année, le 7 décembre plus précisément, marque le vingt-cinquième anniversaire de la mort d’Houphouët-Boigny, celui dont on se dispute l’héritage. C’est dans moins de deux mois. N’est-ce pas honteux que ceux qui se proclament ses héritiers soient en train de se battre comme des chiffonniers, au risque de plonger encore son pays dans la tourmente ?

Que reste-t-il de Yamoussoukro, son village, du lycée scientifique, des grandes écoles, de la Fondation, de « la maison du Parti », de tout ce que Houphouët-Boigny a laissé ? Que l’on s’appelle Pdci (parti fondé par Houphouët-Boigny) ou Rhdp (parti dont le nom fait référence à Houphouët-Boigny), le meilleur hommage que l’on puisse lui rendre est de se présenter, unis, devant sa tombe le 7 décembre. Si l’on n’en est pas capable, que l’on laisse le père de notre nation reposer en paix et que plus personne ne s’avise d’utiliser son nom pour satisfaire sa seule ambition.

Venance Konan