Encore Fraternité Matin !

Encore Fraternité Matin !

Ils exigent le départ de la direction qui aurait mal géré l’entreprise, la conduisant à de grosses difficultés financières et à l’annonce d’un plan social. « Encore Fraternité Matin ! », se sont écriés certaines personnes en apprenant la nouvelle. Ceux qui suivent l’actualité ivoirienne ont certainement entendu le communiqué du Conseil des ministres du 16 novembre dernier dans lequel le plan de restructuration de notre entreprise a été annoncé. Un plan qui se décompose ainsi, selon le communiqué lu par le ministre de la Communication, de l’Économie numérique et de la Poste, et apporte une vraie bouffée d’air frais à la Snpeci :

- L’abandon d’un certain nombre de dettes vis-à-vis de l’État qui se chiffrent à 5,5 milliards de francs Cfa.

- Des appuis en numéraires à hauteur de 3,6 milliards de francs Cfa en subvention d’investissement et de 1,4 milliards de francs Cfa en 2017 et 2018 au titre du plan social qui est envisagé dans le plan de redressement.

Le ministre a fait cette précision à la fin du communiqué: « Il s’agit de relancer durablement cette société, donc nous prendrons toutes les mesures pouvant permettre de relancer durablement cette société, à la fois avec des gens d’expérience, qualifiés, des gens qui y sont aujourd’hui, des gens qu’il faudra faire venir. Nous réunirons toutes les précautions pour que l’effort qui est fait aujourd’hui par le gouvernement porte ses fruits. » (In Fraternité Matin du 17 novembre).

De nombreux travailleurs ont applaudi après avoir entendu ce communiqué du Conseil des ministres qui marquait la volonté du gouvernement de mettre fin aux difficultés de l’entreprise et permettre aux travailleurs d’envisager l’avenir avec un peu plus de sérénité. Mais d’autres n’en ont retenu que la partie « plan social » qui, pour eux, se traduira nécessairement par des licenciements.

D’où leur inquiétude qui s’est traduite en coup de colère ayant conduit au déclenchement d’une grève totalement illégale. Leur raisonnement est le suivant : si l’entreprise va mal, c’est parce qu’elle a été mal gérée. Donc les responsables de cette mauvaise gestion doivent être les premiers à être sanctionnés.

Le directeur général de l’entreprise que je suis ne peut que comprendre cette réaction des travailleurs et leurs inquiétudes, même si je ne saurais approuver les méthodes utilisées. Il convient cependant de donner quelques explications à nos lecteurs, ceux grâce à qui notre entreprise vit.

Fraternité Matin traverse des difficultés depuis longtemps. Difficultés qui avaient amené l’un de mes prédécesseurs à licencier une bonne centaine de personnes sans aucune mesure d’accompagnement. Nous trainions de lourdes dettes fiscales envers l’État. À notre arrivée à la tête de l’entreprise, l’État nous a aidé à acquérir une nouvelle rotative qui nous permet aujourd’hui d’imprimer trois (3) quotidiens, dix-neuf (19) hebdomadaires, deux (2) bi-hebdomadaires et deux mensuels parmi lesquels de nombreux journaux d’opposition.

Nous avons, pour notre part, apporté un certain nombre de changements, notamment au niveau de la ligne éditoriale, qui ont permis aux ventes de remonter et à l’entreprise de connaître une certaine embellie financière. Cela nous a permis de régulariser la situation de plusieurs travailleurs qui avaient connu des promotions sans effet financier, et même d’obtenir du Conseil d’administration l’augmentation de tous les salaires des travailleurs, à l’exception du directeur général, de 20%. À cette époque, le directeur général était le meilleur du pays.

Avions-nous été trop optimistes ? Avions-nous fait une mauvaise lecture de l’environnement économique de notre entreprise ? Cela est possible. Toujours est-il que la subvention dont nous bénéficiions de la part de l’État a été supprimée et l’économie de la presse s’est fortement dégradée dans le monde entier. Les journaux ne se vendaient plus, et le public se tournait de plus en plus vers les journaux numériques, les télévisions, les radios et les réseaux sociaux auxquels il pouvait accéder à partir de son téléphone portable.

De grands journaux européens et américains ont dû fermer ou se restructurer, réorienter leurs activités pour faire face aux nouveaux enjeux. Nous étions dans les années 2014. Nous aussi avons compris qu’il nous fallait faire notre mutation, opérer les changements nécessaires et nous adapter à la nouvelle donne qui est la migration vers le numérique. Ce ne fut pas facile à faire comprendre à tous les travailleurs de l’entreprise.

Nous fûmes à cette époque l’objet de violentes et parfois grotesques attaques de toutes parts, et principalement sur les réseaux sociaux. La bourrasque a fini par se calmer. Mais les problèmes sont restés. Les problèmes ? Essentiellement un personnel devenu pléthorique par rapport à la production de l’entreprise et des machines vieillissantes et inadaptées aux nouvelles tâches susceptibles d’accroître nos revenus, des difficultés à honorer des dettes qui s’accroissaient, à payer les fournisseurs, et même les salaires.

Nous nous sommes donc tournés vers l’actionnaire unique de l’entreprise qui est l’État. Pendant un an, un cabinet spécialisé est venu ausculter notre entreprise sous toutes les coutures,  a rencontré pratiquement tous les travailleurs et a établi son diagnostic qui a été transmis à l’État. Ce qui a abouti à la décision prise en Conseil des ministres le 16 octobre dernier.

Nous avons rencontré le personnel lors d’une assemblée générale pour discuter de la meilleure manière de mettre en œuvre ce plan social, dans l’intérêt de tous les travailleurs. Nous avons expliqué que le plan social ne signifie pas nécessairement licenciement, mais aussi formation et reclassement. Et que si départ il devrait y avoir, nous avons tous intérêt à travailler à ce que personne ne soit laissé sur le carreau.

Quelques jours plus tard, certains responsables syndicalistes m’ont informé de leur intention d’organiser une assemblée générale de leurs membres pour discuter de la situation. Ce que j’ai naturellement accepté. Et le mardi dernier cette assemblée générale s’est muée en grève sauvage pour demander le départ du directeur général. Nous ne sommes pas la première entreprise à faire face à une restructuration et à connaître des remous sociaux.

Mais lorsqu’il s’agit de Fraternité Matin, cela prend une autre ampleur, compte tenu de ce que ce média représente pour les Ivoiriens et même au-delà de nos frontières. J’ai été surpris du nombre de médias internationaux qui se sont intéressés à cette affaire, somme toute banale. Mais cela traduit l’excellente image dont jouit notre journal à l’extérieur. Et je peux dire sans aucune prétention, que de nombreux confrères africains nous envient et viennent copier ce qu’ils appellent notre réussite.

C’est pour toutes ces raisons que je prie encore une fois mes collaborateurs de savoir raison garder, afin que nous nous montrions dignes de la confiance que le gouvernement a placée en notre entreprise en lui donnant les moyens d’atteindre son objectif d’être le premier groupe de presse d’Afrique.

Venance Konan