Éditorial: Quand Ouaga fait son cinéma

Éditorial: Quand Ouaga fait son cinéma

Nous sommes ‘’versés’’ ici, comme on dit au pays, parce qu’il faut ajouter à ces trois cents Ivoiriens tous ceux qui sont venus d’eux-mêmes. Difficile de faire quelques pas dans la ville de Ouagadougou sans rencontrer un Ivoirien. La Côte d’Ivoire a offert un concert de notre Alpha Blondy national aux Ouagalais qui ont bien apprécié le cadeau.

Nous avons aussi offert le village « Akwaba » où ont lieu des animations, des expositions et des rencontres entre les professionnels et le public. Fraternité Matin y tient, d’ailleurs, un stand où ont lieu des séances de dédicace. Mon ami Anicet Bekrou qui a fait le voyage avec un groupe d’artistes ivoiriens n’en revenait pas de leurs caprices. « Grand frère, ils sont compliqués hein, m’a-t-il dit. Ils se plaignaient de tout.

Pourquoi on leur a envoyé un car au lieu de voitures, le car qui n’est pas assez climatisé, la chambre qui n’est pas assez grande, l’eau qui n’est pas assez chaude, le climatiseur qui fait trop de bruit… ». « C’est tout ce qu’ils n’ont pas chez eux qu’ils vont exiger ici,
lui ai-je répondu. Espérons qu’à la fin, ils ne versent pas notre figure par terre. »

Pour le moment ce n’est pas le cas. C’est plutôt notre compatriote, Kramo Lanciné Fadika, qui a été immortalisé à travers sa statue érigée sur le boulevard des cinéastes. Il rejoint ainsi les grands noms du cinéma africain que sont Sembène Ousmane, Souleymane Cissé, Idrissa Ouédraogo et Gaston Kaboré qui ont déjà leurs statues sur le boulevard. Le Président ivoirien sera présent lors de la cérémonie de clôture le 4 mars prochain.

À propos de cinéma justement, le même Anicet m’a posé cette question : « Puisque le Fespaco a 48 ans cette année, comment se fait-il que le Burkina Faso ne soit pas devenu un grand pays de cinéma, comme le Nigeria par exemple ? » Violente question, comme on dirait au pays ! Après réflexion, et après en avoir discuté avec mon ami, le cinéaste Idrissa Ouédraogo, j’avance cette réponse, en étant conscient qu’elle n'est pas totalement satisfaisante.

Le cinéma des pays francophones était trop dépendant de la France et de l’Union européenne. Il suffisait de voir les tournages de films dans nos pays, il y a quelques années, pour s’en rendre compte. Les équipes techniques étaient presque toujours composées d’Européens, parce que les financements étaient presque toujours européens, soit totalement, soit en partie.

Le rêve de tout cinéaste africain francophone, en écrivant son scénario, est de pouvoir avoir un financement, soit de la Coopération française, soit de l’Union européenne. Et, consciemment ou non, il écrivait en fonction de ce qui pourrait plaire aux Européens. Le résultat était que nos films, même techniquement bien faits, intéressaient rarement nos populations. Et, puisque nous dépendions presque totalement des fonds européens, puisque nos États n’ont vraiment jamais pris au sérieux notre cinéma, puisqu’il n’y a pas suffisamment de producteurs privés capables de financer entièrement un film, il fallait qu’il y en ait pour pouvoir faire nos films. Lorsque le budget européen destiné au cinéma africain était épuisé, les réalisateurs devaient attendre l’année suivante. Même le Fespaco est, en grande partie, financé par l’Union européenne.

Au Nigeria par contre, ils ont commencé par compter sur eux-mêmes. Il y a quelques années, les films nigérians étaient techniquement mal réalisés, tournés parfois avec de simples téléphones, avec des acteurs aux jeux très approximatifs, mais leurs histoires plaisaient à leur public. Ils faisaient leur cinéma pour plaire à leur public et non à un fonctionnaire européen. Et  ce public était très nombreux dans ce pays le plus peuplé du continent.

De bricolage en bricolage, le cinéma nigérian s’est amélioré au point de devenir, aujourd’hui, une vraie industrie qui est partie à la conquête du continent, voire du monde, qui rapporte beaucoup d’argent au pays et qui a ses stars aussi adulées que celles d’Hollywood.

En Afrique francophone, les réalisateurs qui arrivent à coller aux goûts du public sont ceux qui font des séries télévisées. Mais dans nos pays, il faut parfois payer les télévisions pour qu’elles passent vos séries, alors qu’elles sont promptes à aller acheter les séries sud-américaines ou asiatiques.


Venance Konan