Des hommes et des dieux

Des hommes et des dieux

La Bible, le livre sacré des Européens qui leur servit de support idéologique pour la conquête et la domination du reste du monde, nous apprend que Dieu déclencha un jour un déluge pour punir les hommes. Mais il demanda à l’un d’eux, Noé, moins pécheur que les autres, de construire une arche et d’y emmener un couple de toutes les espèces vivantes.

A la fin de ce déluge, Noé sortit de son arche, planta de la vigne, en fit du vin et s’enivra avec. Son fils Cham, père de Canaan, vit sa nudité et en parla à ses deux frères Sem et Japhet qui le couvrirent sans le regarder. Lorsque Noé se réveilla de sa cuite, il maudit Canaan et le condamna à être l’esclave des esclaves de ses frères. En quoi étions-nous concernés, nous, Africains ? A priori en rien.

Toujours est-il que quelqu’un a trouvé le moyen de dire que notre couleur noire était celle de l’esclavage, que par conséquent nous les Noirs étions les descendants de Cham et de son fils Canaan que Noé avait maudits, et que notre destinée naturelle ou divine était d’être des esclaves. Et les Noirs furent pendant des siècles réduits en esclavage, traités pire que des objets, et l’on s’arrogea le droit de les coloniser et de les martyriser chez eux. A ce jour, dans le conscient ou le subconscient de nombreux Blancs et Arabes, le Noir leur est inférieur et sa destinée est de les servir.

Six siècles plus tard, lorsqu’une nouvelle religion vit le jour en Arabie, une religion à vrai dire pas très différente de celle de la Bible, elle trouva aussi normale que les Noirs soient réduits en esclavage. Ce qui fut fait et continue de se faire jusqu’à présent sous diverses formes dans certaines contrées arabes.

Que fit le Noir, lorsqu’il recouvra sa liberté, dont celle de choisir sa religion ? Il opta, dans sa grande majorité, pour ces deux religions et rejeta les siennes propres, au motif qu’elles étaient démoniaques. C’étaient les dirigeants des religions qui l’avaient réduit en esclavage qui le lui avaient dit, et il s’y accrochait comme à son unique bouée de sauvetage. Puisque ce que disent les livres sacrés des religions est censé être la Vérité, ils sont certainement nombreux parmi les Africains à croire que leur destin est effectivement d’être les esclaves des autres peuples.

Certains Africains pensent probablement que s’ils ont été vaincus, c’est parce que leurs dieux ont été plus faibles que ceux de leurs vainqueurs. Et en adoptant les dieux de ces derniers, ils espèrent devenir aussi forts qu’eux. Que ceux des Africains qui ont adopté le dieu des Juifs et leur livre sacré le lisent bien. Ils verront que l’une des particularités du peuple juif est sa fidélité à son dieu, malgré les épreuves qu’il subit.

Ce peuple a aussi été vaincu, déporté en pays étranger, envahi, massacré, humilié, chassé de ses terres pendant presque deux millénaires, et il a même failli être totalement exterminé au siècle dernier. Mais jamais il n’a renié son dieu, jamais il n’a cherché à adopter le dieu de ses vainqueurs. Bien au contraire, ce sont ses vainqueurs qui le plus souvent ont fini par adopter son dieu. Dans le judaïsme en revanche, celui qui adopte un autre dieu cesse tout simplement d’être juif.

Que les Africains qui ont adopté le livre sacré des Juifs lisent bien ce psaume 137 qui marque leur fidélité à leur dieu : « Sur les bords des fleuves de Babylone, nous étions assis et nous pleurions en nous souvenant de Sion. Nous avions suspendu nos harpes aux saules du voisinage. Là, ceux qui nous avaient déportés nous demandaient des chants, nos oppresseurs nous demandaient de la joie : “Chantez-nous quelques-uns des chants de Sion !” Comment chanterions-nous les chants de l’Éternel sur une terre étrangère ?

Si je t’oublie, Jérusalem, que ma droite m’oublie ! Que ma langue reste collée à mon palais, si je ne me souviens plus de toi, si je ne place pas Jérusalem au-dessus de toutes mes joies ! Éternel, souviens-toi des Édomites ! Le jour de la prise de Jérusalem, ils disaient : “Rasez-la, rasez-la, jusqu’aux fondations !” Toi, ville de Babylone, tu seras dévastée. Heureux celui qui te rendra le mal que tu nous as fait ! Heureux celui qui prendra tes enfants pour les écraser contre un rocher ! »

Mais ce qui me rend le plus perplexe dans l’attitude de l’Africain est qu’il est fermement convaincu que ce sont les âmes des morts des autres peuples, ceux qui ont décrété qu’il était bon pour être leur esclave, qui viendront le sauver. Que sont les saints, sinon essentiellement les ancêtres des Européens ?

De même suis-je encore plus perplexe lorsque l’Africain invoque le dieu d’Israël, petit pays du Moyen-Orient. Pourquoi l’Africain qui vit en Afrique attend-il que ce soit le dieu de ce pays qui vienne le sauver ? Et cela fait des siècles qu’il attend ce salut. Avec le résultat que l’on connaît. Quelqu’un peut-il m’expliquer tout cela ?

Venance Konan