Démocratie ivoirienne

Plume
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Démocratie ivoirienne

Qu’aurait été, selon vous, la réaction de nos opposants ? Je parie qu’ils auraient traité le Président de tous les noms, l’auraient accusé de trahison, de parjure, de ne pas vouloir faire avancer le pays, et auraient organisé des marches et des sit-in pour exiger une nouvelle Constitution adaptée aux réalités actuelles de notre pays. Mais voilà ! Il se trouve qu’Alassane Ouattara a décidé de doter la Côte d’Ivoire d’un nouveau Texte fondamental. Notre opposition s’est donc mise en face de lui, pour le traiter de tous les noms et le menacer de tous les maux tant qu’il n’aura pas retiré son projet de Constitution. Cela me fait penser à ce que me dit un jour un confrère camerounais que j’interrogeai sur l’appui inconditionnel que ses compatriotes apportent à Laurent Gbagbo. Il me dit : « Mon frère, dis à Alassane Ouattara que nous n’avons rien contre lui. Notre problème, c’est la France. Nous avons un vieux contentieux avec ce pays et dès qu’il prend une position, nous nous mettons automatiquement en face de lui. Si la France avait soutenu Gbagbo, nous aurions été tous alassanistes. » Notre opposition est donc ainsi conditionnée, comme toutes les oppositions du monde d’ailleurs. Dès que le pouvoir prend une position ou une décision, quelle qu’elle soit, elle se déclare résolument contre. De même, lorsqu’il y a plusieurs chemins pour atteindre un objectif, cette opposition estimera que la meilleure voie est forcément celle que le pouvoir n’aura pas choisie. Ainsi, lorsque le Président a opté pour le comité d’experts afin d’élaborer le projet de nouvelle Constitution, tous ses opposants et beaucoup de va-nu-pieds se sont érigés en spécialistes du droit constitutionnel pour expliquer doctement que la meilleure voie aurait été une Assemblée constituante. Certains, pour faire croire qu’ils étaient des érudits, ont été jusqu’à ajouter : « comme de Gaulle l’avait fait pour adopter la Constitution de la Ve République en France. » Sauf que justement, de Gaulle n’était pas passé par une Assemblée constituante, mais avait créé un comité d’experts. Le débat porte maintenant sur le type de bulletin qu’il faut pour voter. Unique ou double ? Cela n’a pas d’importance. Tout dépend de ce que le pouvoir a choisi. S’il a choisi « unique », on exigera « double » et s’il a choisi « double », on exigera « unique ». C’est comme ça, c’est tout.

Parlons à présent d’autre chose. Quel est le rêve d’un opposant qui n’a pu se faire élire au Parlement, ni ailleurs ? Qui n’est pas capable de mobiliser plus de cent badauds dans la rue ? C’est de trouver des tribunes pour pontifier, et arriver à se faire arrêter. Dans ce cas, le bénéfice est double. D’un, Radio France internationale (Rfi) parle de lui à longueur de journée, ce qui lui donne une audience internationale, ce que dans ses rêves les plus fous il n’avait jamais imaginé, et du coup, le pouvoir se fait passer pour dictatorial aux yeux de l’opinion internationale, c’est-à-dire aux yeux des Occidentaux. Pour eux, ne l’oublions pas, le fait d’arrêter un opposant ou un journaliste est la marque typique de la dictature. Aussi, depuis qu’il est question de la nouvelle Constitution, certains opposants en mal de publicité font-ils des pieds et des mains pour se faire arrêter. Ainsi, lorsque le Président de la République doit se rendre à l’Assemblée nationale, l’un d’eux décide d’y être aussi, sachant qu’il n’est pas un élu, et qu’il n’a pas reçu d’invitation pour la cérémonie en question. Tout cela fait partie du folklore de notre démocratie.

Le 30 octobre prochain, il s’agira, pour nous Ivoiriens, de sortir du folklore et de prendre une décision qui engagera notre destin sur le long terme. Il s’agira pour nous de décider si nous voulons maintenir notre pays dans l’obscurantisme ou si nous voulons l’insérer harmonieusement dans ce monde globalisé. Il s’agira pour nous de choisir entre faire bande à part dans ce monde interconnecté avec des concepts surannés qui ont déjà fait couler du sang ou projeter nos enfants dans le monde de demain qui abolira de plus en plus les frontières, de choisir entre une instabilité chronique  et des institutions solides. Au moment du choix, il nous faudra impérativement éviter de voir les acteurs politiques actuels et de choisir en fonction d’eux. La Constitution qui nous est proposée est appelée à traverser le temps. Nous devons voir si elle répondra à nos aspirations dans dix, vingt, trente ans ou plus.

Venance Konan