Ce n’est pas la Côte d’Ivoire

Venance Konan
Venance Konan
Venance Konan

Ce n’est pas la Côte d’Ivoire

Surtout lorsqu’elle est perpétrée au nom de Dieu. Et ceux que l’on accusait, les musulmans, se sont dépêchés de dire, à raison, que ce que nous voyons-là n’a rien à voir avec l’islam. Pourquoi cette indifférence devant ce qui s’est passé au Kenya ? Lors d’un débat sur une chaîne de télévision française, un intervenant a fini par mettre les pieds dans le plat : c’est parce que c’est en Afrique. « Oui, a-t-il précisé, il y a une géopolitique de l’émotion qui fait que ce qui se passe en Afrique n’arrive pas à émouvoir le reste du monde. » Pourquoi ? Peut-être parce que nous avons-nous-mêmes banalisé l’horreur. Au point qu’elle n’arrive plus à nous émouvoir, nous-mêmes. Qui, sur ce continent, s’émeut des massacres commis chaque jour par Boko Haram aux confins du Nigeria ? Qui, sur ce continent, s’est ému des pogroms orchestrés, en ce moment, en Afrique du Sud contre les étrangers, avec la bénédiction du roi des Zoulous ? Nous pourrions, de la Centrafrique à la Somalie, en passant par le Mali, les deux Soudan, l’Ouganda, la République démocratique du Congo, le Burundi, etc., dresser une longue liste des endroits où des massacres sont perpétrés tous les jours, dans l’indifférence totale. Nous sommes indifférents parce que les auteurs de ces barbaries ne sont autres que nous –mêmes. La barbarie nous serait-elle consubstantielle ? Un non-Africain qui poserait une telle question se verrait aussitôt taxé de raciste avant tout débat. Jouissons donc de notre position d’Africain pour poser cette question essentielle.

Je la pose à bon escient, après avoir visionné cette horrible vidéo qui circule en ce moment sur le Net. Il s’agit de l’assassinat d’un homme que l’on voit, dans un premier temps, en sang, menotté, donc ne représentant plus aucun danger. Des personnes lui jettent des pierres, lui assènent des coups de marteau, l’homme se lève et prend la fuite. Puis, dans une autre vidéo, l’on bascule dans l’horreur totale. On tranche à un homme la tête, les membres, le sexe… sous les objectifs de dizaines de téléphones portables. Les réseaux sociaux et les journaux nous ont appris plus tard qu’il s’agit en fait de deux « microbes » qui ont ainsi subi la colère du peuple. Les « microbes », c’est un autre nom pour désigner des bandits ou des assassins, m’a-t-on dit. Les deux suppliciés auraient fait régner la terreur dans la commune d’Attécoubé, et la population serait très contente de leur exécution. La messe est dite. Ceux qui ont pris une hache pour couper la tête, les membres, le sexe de cet homme, ces dizaines d’autres qui filmaient avec leurs téléphones diront certainement qu’ils sont des gens normaux qui n’aiment pas la violence, qui n’aspirent qu’à la paix et à la tranquillité. Mais qu’il me soit permis de dire que si ceux qui ont fait cela représentent les Ivoiriens, cela veut dire que nous sommes une société très malade. Et je refuse de croire que cela soit la Côte d’Ivoire. Non, ce n’est pas ça la Côte d’Ivoire. Ceux qui ont fait cela représentent la partie très malade de notre société. Ne nous voilons pas la face. Que cela ait pu se produire signifie que notre société a des problèmes, qu’elle est malade dans une certaine mesure. Et il est urgent de prendre des mesures afin que le mal ne gagne pas tout le reste du corps. C’est pour cela que la Côte d’Ivoire normale, la Côte d’Ivoire légale, la Côte d’Ivoire qui aspire à faire partie des nations qui compteront demain va se dépêcher de procéder à l’arrestation de tous ces meurtriers, de les juger et de les condamner d’une façon exemplaire. Ce ne sera pas difficile. Ils sont bien visibles dans les vidéos et cela s’est passé en public.

Nous nous demandions pourquoi le massacre du Kenya n’émeut personne ? La réponse est là : pourquoi voulons-nous que quelqu’un s’émeuve pour nous, lorsque des gens normaux sont capables de faire cela ? Si l’État de Côte d’Ivoire ne frappe pas fort, qu’il ne s’étonne pas que personne ne le prenne plus au sérieux lorsqu’il parlera d’émergence. Parce que l’émergence commence par la disparition de tels actes de pure barbarie.

 

Venance Konan