Avoir foi en soi

Avoir foi en soi

Pourquoi donc ? La réponse nous est donnée par l’homme d’Etat et juriste tunisien Ibn Khaldoum à travers ces lignes qu’il écrivit en 1377 et que cite G.E. Grunebaum dans « L’identité culturelle de l’Islam », (éditions Gallimard, 1973) : «Les vaincus veulent toujours imiter le vainqueur dans ses traits distinctifs, dans son vêtement, sa profession et toutes ses conditions d’existence et coutumes.

La raison en est que l’âme voit toujours la perfection dans l’individu qui occupe le rang supérieur et auquel elle est subordonnée. Elle le considère comme parfait soit parce que le respect qu’elle éprouve (pour lui) lui fait impression, ou parce qu’elle suppose faussement que sa propre subordination n’est pas une suite habituelle de la défaite, mais résulte de la perfection du vainqueur. Si cette fausse supposition se fixe dans l’âme, elle devient une croyance ferme. L’âme, alors, adopte toutes les manières du vainqueur et s’assimile à lui. Cela, c’est l’imitation… Cette attraction va si loin qu’une nation dominée par une autre nation voisine poussera très avant l’assimilation et l’imitation. »

Les peuples noirs d’Afrique sont sortis vaincus de leur rencontre avec les peuples blancs d’Europe, du Moyen-Orient et du nord de leur continent. La défaite fut terrible pour le vaincu. On détruisit sa culture, son organisation sociale, on lui enleva toute humanité et le réduisit proprement en esclavage. Et pour bien le maintenir le plus longtemps dans cet état de dominé, on lui apprit à se haïr. On lui fourra dans le crâne, à coups de fouets, de machette et de crimes horribles qu’il avait été maudit par le seul dieu qu’il y avait, celui des Blancs, que sa couleur noire était celle de la malédiction, celle du mal, celle de Satan.

Le Français Montesquieu (1689-1755), que l’on considère comme l’un des plus grands penseurs du Siècle des Lumières écrivit, sans rire selon certains, avec ironie selon d’autres : « Le sucre serait trop cher, si l’on ne faisait travailler la plante qui le produit par des esclaves. Ceux dont il s’agit sont noirs depuis les pieds jusqu’à la tête ; et ils ont le nez si écrasé, qu’il est presque impossible de les plaindre. On ne peut se mettre dans l’esprit que Dieu, qui est un être très sage, ait mis une âme, surtout une âme bonne, dans un corps tout noir. »

Ils sont encore nombreux, ces Africains noirs qui sont toujours convaincus que le destin du Noir est blanc, c’est-à-dire de ressembler le plus possible au Blanc, dans sa façon de vivre, dans sa façon d’être et même dans son apparence. Combien ne sont-ils pas, sur le continent, à s’échiner à vivre comme des Européens et à mépriser ceux qui, volontairement ou non, continuent de vivre à l’africaine ! Combien ne sont-ils pas à dépenser des fortunes et à se ruiner la santé pour avoir les cheveux aussi défrisés et la peau aussi blanche que celle du Blanc ! Et la spiritualité africaine ? De la sorcellerie, vous répondront une majorité d’intellectuels et de hauts lettrés africains. Les vraies spiritualités sont celles apportées par les Européens et les Arabes. Ou les Asiatiques.

Mais voilà ! Malgré toute la bonne volonté qu’il y a mise, jusqu’à sa mort Michael Jackson n’a pas été reconnu comme étant devenu membre de la communauté blanche. Et tous ses efforts pour ressembler à un Blanc étaient plutôt accueillis avec des sarcasmes. De même, aucun Congolais n’a jusqu’à ce jour été reconnu comme étant devenu un Blanc.

« Le Noir qui veut blanchir sa race est aussi malheureux que celui qui prêche la haine du Blanc », écrivait encore Frantz Fanon dans « Peau noire masques blancs. » Ils sont de plus en plus nombreux, ces Africains qui se rendent compte de la vanité de vouloir ressembler à tout prix à l’autre, lorsqu’il est si simple de rester soi-même.

L’Africain découvre petit à petit son histoire qu’on lui avait cachée. Il découvre que les pyramides d’Egypte furent construites par des Noirs comme lui, que la civilisation grecque, fondatrice de la civilisation européenne fut influencée par celle des Egyptiens. Il découvre les traces des riches civilisations laissées par ses ancêtres un peu partout sur le continent. Et ils sont de plus en plus nombreux à se regarder dans le miroir et à relever la tête avec fierté, parce qu’ils découvrent, tout à coup, que leur nez épaté, leurs cheveux crépus et leur peau noire, tout cela n’a vraiment rien à envier à personne.

Mais comment retrouver l’estime de soi lorsque l’on est présenté partout comme le dernier de la classe en matière de développement et de respect des droits humains, et que l’on est méprisé par tous les autres peuples ? Il faut commencer par s’assumer, car il n’y a pas d’autre voie, et avoir foi en soi, c’est-à-dire se débarrasser de son complexe d’infériorité pour se convaincre que la situation actuelle du continent noir n’est ni une fatalité, ni une malédiction. De nombreux pays africains qui se sont mis au travail sont en train de se développer tout en respectant les principes démocratiques.

Venance Konan
(Article publié dans le numéro d’Afrique Magazine d’octobre 2018)