Au nom de la réconciliation

Au nom de la réconciliation

Car, pour eux, tant que la justice serait uniquement celle des vainqueurs et non aussi celle des vaincus, l’on ne saurait parler de réconciliation et encore moins de paix. Le Président de la République, pour sa part, a choisi de créer une Commission dialogue, vérité et Réconciliation dont la redoutable tâche était de panser les plaies et apaiser les cœurs. Dans le même temps, il a permis à de nombreux exilés de rentrer au pays et mener une vie tranquille.

Cependant, de nombreux cœurs étaient loin d’être apaisés ou même de chercher un quelconque apaisement. Qui d’entre nous ne connaît pas un pro-Gbagbo pour qui la vraie réconciliation ne viendrait que le jour où Alassane Ouattara, considéré comme un usurpateur, aurait quitté le pouvoir et que Laurent Gbagbo, son vrai détenteur, l’aurait repris ? De 2012 à 2014, il y eut de nombreuses attaques d’installations militaires, dans le but de déstabiliser le pouvoir et le reprendre. Des personnes ayant participé à ces opérations furent arrêtées et certaines essayèrent de les faire passer pour des prisonniers politiques.

De l’eau a coulé sous les ponts et l’on a cru que les esprits s’étaient quelque peu refroidis. Un dialogue politique s’est engagé avec l’opposition. Et la question de la réconciliation s’est à nouveau posée dans les mêmes termes. Jusqu’où doit-on aller pour avoir la réconciliation et la paix ? Et de nombreuses voix, y compris dans le camp du Président Ouattara, ont murmuré qu’il serait peut-être temps de libérer les personnes impliquées dans les attaques de 2012 à 2014.

Ces voix ont été entendues et effectivement, certaines de ces personnes ont été élargies. Croyiez-vous que cela aurait suffi à apaiser définitivement les cœurs brûlants de haine ? Que nenni ! Au fur et à mesure que le pouvoir se montrait ouvert au dialogue et déterminé à pardonner, l’on entendait des voix qui criaient de plus en plus fort que le seul vrai détenteur légitime du fauteuil présidentiel est l’homme détenu à La Haye et qu’il n’y aurait pas de réconciliation tant qu’il ne serait pas revenu. Il y eut des pétitions, des caravanes, des tentatives pour mobiliser certains Chefs d’État africains et quelques-uns crurent, de bonne foi, à son retour imminent.

Au début de l’année et au mois de mai, certains militaires se mutinèrent. Des démobilisés entrèrent dans la danse. Est-ce cela qui donna l’illusion à certains que le pouvoir s’était affaibli et qu’ils pouvaient lui porter le coup de grâce ? Ils sont nombreux à y avoir effectivement cru. Qui d’entre nous n’a pas entendu, ces derniers mois, que le pouvoir d’Alassane Ouattara était fini ? Certains l’ont même écrit.

Sous nos tropiques, il suffit parfois qu’un féticheur ou un marabout donne l’assurance à des « pieds nickelés » qu’ils peuvent devenir président sans coup férir, après avoir fait certains sacrifices, pour qu’ils tentent le coup. Certains l’ont tenté. Et, comme disait quelqu’un, ils ignoraient que l’on voyait leur dos pendant qu’ils nageaient.

Jeudi dernier, lorsque le communiqué du Conseil national de sécurité qui précisait qui avait mené les opérations et qui en étaient les commanditaires a été rendu public, certaines personnes qui annonçaient tous les jours sur les réseaux sociaux la chute imminente du pouvoir de Ouattara ont aussitôt crié au complot. Et les personnes citées ont vigoureusement démenti. Quoi de plus normal ! Mais qui a encore envie d’être dupe ?

Et nous en sommes encore à la même question : jusqu’où aller pour la réconciliation ? Il faut, sans doute, continuer de tendre la main aux personnes sincères qui veulent ouvrir une nouvelle page de notre histoire politique qui ne rimera plus avec violence et déstabilisation, tout en demeurant intransigeant avec les autres dont la haine continue de consumer le cœur. Nous connaissons trop le prix que nous avons payé lorsque la violence s’est introduite dans notre jeu politique, pour accepter qu’elle y revienne au moment où nous relevons la tête.

Venance Konan