Amour des autres et haine de soi

Amour des autres et haine de soi

La première d’entre elles est que vous participez à la déification d’un autre peuple. Vous allez en pèlerinage en leurs lieux saints et en le faisant, vous renforcez leur sacralité…Vous vous agenouillez devant les figures qu’ils ont décrétées saintes, vous leur offrez des suppliques. Ou bien vous faites face à leur lieu sacré lorsque vous vous adressez à leur dieu. Vous apprenez par cœur leur texte sacré dans leur langue sacrée. Vous donnez à vos enfants les noms de leurs ancêtres, de même qu’à vos rues, vos écoles, etc. En  d’autres termes, vous contribuez à la mythologie de leur sacralité.

Ce faisant, et il s’agit de la deuxième conséquence, tout à fait dramatique, vous tournez le dos à vos ancêtres, dont vous vous éloignez de plus en plus. La mesure de votre éloignement donne la mesure de votre égarement et de votre dislocation. Les histoires et les traditions forgées et léguées par nos ancêtres, qui affirment notre caractère sacré, en vertu de notre humanité, sont inconnues de nous, de même que les rituels qu’ils ont conçus et pratiqués.

Le fait que nous ne soyons plus fermement ancrés dans ces traditions, qui sont les nôtres, nous place dans un état de grande faiblesse et de grande vulnérabilité. Victimes de la propagande culturelle d’un autre groupe, notre imaginaire est sapé à la base, et notre courage de rêver et d’agir chancelant… Nous n’arrivons même plus à rêver nos propres rêves. Nous n’arrivons plus à nous mettre debout, car notre sève ancestrale s’est tarie.

L’affaiblissement de nos ancêtres et de nos divinités signifie nécessairement notre propre affaiblissement. Non pas que nos ancêtres nous aient tourné le dos. Il s’agit plutôt du fait qu’occupés à suivre les enseignements des ancêtres d’autres peuples, à visiter leurs lieux saints, à adorer leurs divinités, et à nous adonner à leurs rituels, nous ne pouvons plus être à l’écoute de nos propres ancêtres.

Pire même parfois, nous en arrivons à vouer une haine terrible à nos ancêtres…Mais il y a pire, et il s’agit de la troisième conséquence: en participant à ces rituels qui établissent et affirment leur sacralité, nous leur faisons littéralement cadeau de notre propre énergie spirituelle, et ceci à nos dépens. Autrement dit, nous les fortifions spirituellement, et nous nous affaiblissons en même temps. Pouvons-nous, par conséquent, nous étonner de l’état dans lequel nous sommes ? »

Je crois que tout le drame de l’Afrique se trouve résumé en ces lignes. L’Africain noir est le seul homme au monde à qui l’on a appris à se haïr totalement. Il déteste tout ce qui fait sa spécificité d’homme. Il déteste sa couleur, la forme de son nez, ses cheveux, son nom, sa langue, toute sa culture, son histoire, sa cosmogonie, sa spiritualité, tout, il déteste tout cela ! Son unique rêve est de se transformer en l’autre, celui qui l’a colonisé, ou même celui qui ne l’a pas fait. Quand il ne rêve pas d’être Européen, il veut être Arabe. Et certains veulent être Hindous, Japonais, ou Chinois, en adoptant les spiritualités de ces peuples. C’est faire injure à l’Africain que de lui demander de rester lui-même et d’améliorer ce qu’il est.

En Côte d’Ivoire, ne donnez que des noms typiquement africains à votre enfant dont le père et la mère sont exclusivement africains, et vous passerez pour un original. Dites à une assemblée de hauts cadres africains que vous pratiquez une religion africaine, et l’on pensera dans un premier temps que vous plaisantez, que vous faites de l’esprit.

Mais si vous les convainquez que vous êtes sérieux, si vous leur montrez par exemple un gris-gris que vous avez dans votre portefeuille ou autour de votre bras ou de votre taille, alors, on vous regardera de haut, avec mépris : « Comment ? Quelqu’un de votre niveau n’est ni chrétien, ni musulman, ni bouddhiste, ni franc-maçon, ni rosicrucien, ni bahaï, ni shintoïste, ni hindou ? Vous n’avez donc aucune spiritualité ? Et vous croyez en ces sauvageries-là ? C’est grave ça ! »

On a appris à l’Africain noir à se haïr et le résultat a dépassé toutes les espérances des endoctrineurs. Le colon blanc a emporté dans ses musées les représentations de la spiritualité de l’Africain. Lui-même s’est chargé de brûler le reste. Sans se rendre compte qu’en tuant ses dieux, il tuait son âme.

Pourquoi s’étonne-t-il de l’état dans lequel il se trouve ? Pourquoi s’étonne-t-il d’être la proie de tous les prédateurs de la terre, et d’être méprisé de tous les autres peuples ? Qui maintient-on encore dans les liens de l’esclavage en ce XXIe siècle, en Afrique même ? L’Africain, pardi ! Et que dit l’Africain ? Rien évidemment, puisque c’est un peuple à qui il a tout abdiqué qui le pratique !

Venance Konan