Sécurité alimentaire mondiale: L’industrie du phosphate et la recherche-développement, les bases de la stratégie intégrée du Maroc

Sécurité alimentaire mondiale: L’industrie du phosphate et la recherche-développement, les bases de la stratégie intégrée du Maroc

« Nourrir le sol pour nourrir la planète ». Un slogan qui en dit long sur les ambitions du royaume chérifien en matière de développement agricole et de sa contribution à l’atteinte des objectifs pour le développement durable (ODD). L’expérience de près d’un siècle (1920-2020) d’aventure économique dans toute la chaîne de valeur de l’exploitation minière et de la transformation de la matière première en produits finis et son impact sur l’écosystème communautaire et naturel du Maroc est édifiante pour un pays africain en développement.

Au cœur de cette révolution, l’exploitation d’un minerai, le phosphate, par une entreprise étatique qui est devenue plus tard une société anonyme, le Groupe OCP Maroc (ex-Office chérifien des phosphates). Un pays qui est aujourd’hui le premier exportateur mondial de phosphate avec 31% de part de marché, deuxième producteur au monde (après la Chine) tout en détenant les plus importants gisements sur la planète et pour plusieurs années. Les produits issus de cette industrie sont : l'acide phosphorique, le minerai, les engrais, les engrais complexes, les engrais solubles et les compléments alimentaires pour animaux.

La visite de plusieurs sites donne à voir l’ampleur des investissements. Au plan de la formation, c’est l’UM6P _qui utilise 30% de l’énergie solaire produite dans un centre de recherche, la Green Energy Park_ est orientée vers la recherche appliquée et l’innovation ouverte sur l’Afrique (méthode ‘’learning by doing’’). Plusieurs compartiments ont été présentés, notamment son centre de conférences, le bâtiment d’enseignement avec son Digital Learning Lab, la mecatronic, la bibliothèque, le centre de recherche en énergie solaires et énergies renouvelables, le laboratoire MSN, le laboratoire d’analyse des sols, le complexe sportif avec des équipements professionnels et le site des dortoirs d’étudiants.

Au plan de l’industrie du phosphate, la curiosité a été la dragline M8400, avant de mettre le cap sur la zone de réhabilitation et plantation d’arbres, où les journalistes ont immortalisé leur passage par le planting d’oliviers et d’arganiers. Ils ont aussi visité le centre de compétences industrielles Beni Amir (CCI), la laverie Beni Amir, la station de tête du Slurry Pipeline, la médiathèque, le Mail central (Ecole 1337). Symbolisant un code dans le langage informatique, l’Ecole 1337 se distingue par sa gratuité, son fonctionnement 24h/24, son ouverture aux jeunes volontaires, quel que soit leur niveau, est un lieu de partage d’expériences puisqu’il n’existe pas d’enseignants attitrés.

Une richesse insoupçonnée

Les faits sont connus : l’Afrique, c’est 60% des terres arables non cultivées au monde et une production en dessous de la moyenne mondiale. Par ailleurs, la population de la planète est en constante croissance et particulièrement en Afrique avec une jeunesse représentant les 2/3. La conséquence évidente, c’est qu’il faudra cultiver plus, mieux et plus aisément avec des fertilisants  (engrais) pour satisfaire en matière de sécurité alimentaire les sept milliards d’habitants qui peuplent actuellement le monde et ceux à venir dans un contexte de changement climatique.

Le phosphore est un nutriment essentiel à la vie, car il garantit la fertilité des sols pour nourrir la planète. L’agriculture a nécessairement besoin d’engrais pour améliorer la productivité et les rendements en vue du développement durable. Voilà que le Maroc regorge de réserves de phosphates, des gisements datant de 60 millions d’années où sont enfouis les vestiges d’une vie marine passée. Ainsi, l’extraction de ce minerai existant dans plusieurs régions du pays et sa transformation en une vaste gamme de produits destinés à l’exportation est une richesse inestimable.

Khouribga, capitale mondiale du phosphate

Le Maroc est le « leader des engrais en Afrique ». Mais il a décidé d’une « utilisation raisonnée » pour garantir un avenir radieux aux générations futures, ont confié des ingénieurs en charge du site de production. C’était lors de la présentation des activités et projets de développement du Groupe OCP dans la salle du lac de Sidi Chennane à Khouribga, principale région minière du pays et « capitale mondiale du phosphate, avec un périmètre d’opération de 40 Km ».

La région, située à environ 130 Km de Casablanca, détient 43% de la réserve totale du pays et abrite trois laveries dont le rôle est d’enrichir le phosphate, ce minerai éparpillé sur une large superficie et une profondeur d’une soixantaine de mètres. Ce qui n’autorise pas une exploitation artisanale (comme dans le cas de l’or ou du diamant) car nécessitant une logistique impressionnante en machinerie, « une technologie de pointe » et un process de transport hors de portée des entreprises ordinaires.

Et la plus grande curiosité de la mine et du pays est « la Marion 8400 », un mastodonte dragline, car elle est la toute dernière machine de cette marque au monde après la fermeture de la société qui l’a produite aux Etats-Unis avant les années 60. Elle a un périmètre d’action de 100 m parcourant un périmètre de 22 Km par an et dont l’entretien préventif et la maintenance sont suivis avec rigueur par les ingénieurs pour ne pas qu’elle soit hors service. Car elle ne peut être remorquée et son déplacent nécessite plusieurs semaines d’une région à une autre.

Le pipeline double la production

D’ailleurs, pour une meilleure exploitation et valorisation du phosphate, une nouvelle stratégie a été adoptée en 2008. Il s’agit d’« une stratégie industrielle combinant performance et responsabilité environnementale », qui s’appuie sur une nouvelle chaîne de valeur.

Les résultats ne se font pas attendre puisque la production a pratiquement doublé, passant de 20 millions de tonnes/an à 38 millions de tonnes/an. Et le secret est l’intégration dans le processus du pipeline par lequel la pulpe de phosphate (grâce à un mélange avec l’eau) est désormais transportée depuis les laveries sur les sites de production à la station de tête puis à la station terminale de Slurry pipeline de Jorf Lasfar, en zone portuaire. Un transport non pas par train, mais par des tuyaux sur près de 235 Km. L’opération se fait « sans contrainte ni saturation» puisque « le diamètre du tuyau est de 90 cm ». Evidemment, cette nouvelle stratégie engendre un gain au niveau des coûts logistiques de l’ordre de 90%. « Aujourd’hui, c’est une gestion intégrée ».

Autres axes d’innovations, c’est l’intégration du digital industriel qui améliore les conditions de travail, la création d’une université moderne, l’Université Mohammed 6 Polytechnique et des centres de formation.

La stratégie eau est basée sur la construction d’un barrage pour traiter le phosphate malgré le doublement de la production et préserver les eaux souterraines pour les générations futures. Au titre du développement durable, l’entreprise se présente comme le leader de l’économie circulaire par la réutilisation des eaux usées dans le cadre d’une ceinture verte. Laquelle consiste à reboiser après un nivèlement des sols exploités.

Ainsi, des arbres fruitiers comme l’olivier et l’arganier sont plantés pour mieux valoriser économiquement les terres. Terres qui pourront être aussi mises à disposition des populations dans le cadre d’une réinstallation, même si celles-ci avaient été indemnisées antérieurement pour leurs sols à usage principalement pastoral (car zone aride non agricole).

Deux Ivoiriens à l’UM6P sur 650 étudiants ; les sols de la sous-région au labo.

Inaugurée le 12 janvier 2017 par le Sa majesté le roi dont il porte le nom, l’Université Mohammed VI Polytechnique de Benguerir, ville verte située à environ 130 Km de Casablanca, s’inscrit dans un projet de développement durable de la localité d’accueil. Khalid Baddou, directeur de la communication de l’Université a présenté l’institution comme étant à la pointe de la technologie à l’image de son bâtisseur, la société de phosphate. Et presque toutes les disciplines y sont enseignées. La priorité étant accordée à la formation des futurs formateurs que sont les professeurs et les doctorants. Qui se chargeront de former les autres niveaux. Néanmoins, des ingénieurs (4-5 ans) sont en formation, ainsi que des étudiants en année préparatoire (Bac+1).

Se voulant aux normes internationales, l’UM6P qui veut relever les défis de l’innovation, a noué des partenariats avec l’Ecole des mines de Paris et de grandes universités américaines et européennes pour un échange d’enseignants.

Sur les 650 étudiants inscrits, quelques-uns viennent de l’Afrique subsaharienne dont deux Ivoiriens (un en fin de cycle ingénieur) et le plus récent est en troisième année après deux ans passés à l’Institut National Polytechnique Félix Houphouët-Boigny de Yamoussoukro. Il a eu la chance de postuler au concours lancé par l’UM6P avec une bourse de la société OCP.

Il faut dire que l’INPHB fait partie des partenaires et la Côte d’Ivoire figure en pole position des amis du Maroc. D’ailleurs, des échantillons de sol de plusieurs pays d’Afrique de l’Ouest dont la Côte d’Ivoire sont dans le laboratoire d’analyse des sols, eau et plantes pour produire un engrais adapté. Les sols représentent 95% des études et 5% pour les plantes.

L’ambition de l’université est de recevoir 6 000 étudiants plus tard. Déjà, force est de constater que les jeunes étudiantes sont suffisamment représentées. Vu la qualité de l’établissement et du coût, la plupart des étudiants  sont boursiers, a dit le directeur de la communication. La visite a permis d’échanger avec des professeurs en étudiants.

PAULIN N. ZOBO
Correspondance particulière