Logistique et transports en Afrique: Des pistes pour accélérer la modernisation

Logistique et transports en Afrique: Des pistes pour accélérer la modernisation

Un développement économique et social sans logistique appropriée ni moyens et voies de transport adéquates est-il possible ? Pour l’Africa ceo Forum et le cabinet de stratégie et de finance Okan auteurs de « Logistique africaine. L’heure de la révolution », la réponse est évidement négative, et il urge d’accélérer la modernisation de ce secteur vital pour l’émergence du continent et l’intégration régionale.

La modernisation de la logistique africaine est l’un des chantiers les plus importants auquel fait face le continent aujourd’hui estime le rapport. « Malgré les progrès enregistrés ces quinze dernières années, notamment dans le domaine portuaire par lequel transite 90% du commerce continental, le secteur reste insuffisamment compétitif et moderne pour soutenir l’industrialisation et l’intégration économique africaine : le continent enregistre 23 fois moins d’investissements logistiques comparé à la Chine et compte uniquement 10 pays dans les deux premiers quartiles du Logistics Performance Index 2018, soit 15% des Etats africains », soutient le document.

Si la plupart des observations sur l’état de la logistique africaine et l’importance des financements à accorder à ce secteur pour en faire le pivot de la croissance et de l’intégration continentale sont amplement connus, le rapport Africa Ceo-Okan innove surtout par la qualité des recommandations pragmatiques, autant de pistes de solution à suivre, qu’il met à la disposition des décideurs et des opérateurs du continent.

Renforcer les capacités des Etats, structurer la logistique intra-africaine, accélérer la modernisation des ports ou encore prendre en compte les exigences de la classe moyenne : de Tanger à Djibouti, en passant par Nairoibi, Mombasa et Lomé, ce rapport s’appuie sur l’étude de cas de nombreuses success stories africaines, ainsi que les nombreux défis qui freinent l’avènement du secteur, pour dresser six recommandations qui ont pour vocation de répondre aux besoins des investisseurs et entrepreneurs.

Six recommandations

Premièrement, faire « bloc »: structurer les hinterlands autour de corridors continentaux multimodaux. Les États doivent mieux coopérer pour structurer des dorsales continentales, à l’image du corridor Djibouti-Éthiopie. Un effort particulier doit être fait pour désenclaver les pays riches en matières premières et agricoles, dont l’immense potentiel à l’export est encore trop peu exploité (Niger, à travers la « boucle du Sahel » et l’oléoduc ; Copperbelt de la région Zambie-Katanga). À l’image du pont qui relie désormais la Chine et Hong Kong, l’accélération des rocades routières (Abidjan-Lagos, Brazzaville-Kinshasa) est également un enjeu pour les États, et pour les investisseurs et les promoteurs privés.

Deuxième recommandation : accélérer la modernisation des ports, créer des escales continentales incontournables. Pour consolider la position du continent dans le commerce mondial, les États africains, en lien avec les opérateurs privés et les bailleurs de fonds, doivent accélérer le déploiement des infrastructures portuaires. Ils doivent également se coordonner pour doter le continent des hubs de classe mondiale qui lui manquent encore. L’ambition de Lee Kwan Yew à Singapour dans les années 1950 a trouvé un écho au Maroc : le port de Tanger-Med rivalise désormais pour le titre de hub continental avec Durban et Port-Saïd.

Ces développements doivent s’accompagner d’une intégration des ports à leurs hinterlands, en les reliant à des zones logistiques et à des ports secs, en développent des zones industrialo-portuaires, en améliorant les processus réglementaires et douaniers pour faciliter les flux de marchandises. Il faut, ensuite, renforcer les capacités des États dans leur rôle de stratèges, de financiers et de garants de la sécurité.

Pour les rédacteurs, les États africains doivent jouer pleinement leur rôle dans le développement des infrastructures logistiques. Ils doivent avoir une vision claire pour planifier à très long terme. Le rôle régalien de « gendarme des mers et des terres » doit également être renforcé, dans un contexte de piraterie (golfe de Guinée, Corne de l’Afrique) et de coupeurs de route (Sahel). Les gouvernants doivent également contribuer au financement des infrastructures, en mobilisant leurs ressources fiscales, les bailleurs de fonds internationaux (asiatiques et occidentaux) et des partenariats public-privé.

Ces PPP sont un moyen idéal pour stimuler l’investissement local (marchés financiers, caisses de retraite, fonds de pension).

Des solutions de financement innovantes

Mieux structurer les projets dans les infrastructures logistiques et de transport, constitue l’autre recommandation forte. Les projets d’infrastructures logistiques doivent faire l’objet d’études de faisabilité solides et être correctement calibrés, en vue de rassurer les bailleurs de fonds, les investisseurs, et d’assurer leur viabilité, plaide le rapport.

À travers la mise en œuvre de solutions de financement innovantes (annuités, obligations, PPP), un juste équilibre entre utilisation des ressources budgétaires et investissement privé doit être trouvé, comme pour le 3e pont d’Abidjan. Les capitaux sont désormais relativement abondants en Afrique, et les fonds d’investissement en infrastructures (Meridiam, A.P. Moller Capital, AIIM) offrent un accès privilégié à des ressources longues et « intelligentes ». Les secteurs portuaires, des transports urbains et de l’aérien sont particulièrement adaptés au développement de projets en PPP.

La piste numéro 5 : développer des solutions adaptées aux méga-villes africaines du 21è siècle. L’urbanisation galopante complique la mobilité et l’approvisionnement des villes, confrontées à de fortes problématiques de congestion, du fait d’infrastructures non adaptées. Ces problématiques
exigent le développement de zones logistiques périurbaines efficientes ainsi qu’une redéfinition des modalités de transport des personnes et des colis, en s’appuyant sur les réussites observées dans certaines mégalopoles (bus rapides en site propre et tramway d’Addis, navettes fluviales d‘Abidjan, téléphériques d’Alger) et grâce aux nouvelles technologies, plaident les rédacteurs. Il faudra, enfin, placer les exigences de la classe moyenne africaine au cœur de la modernisation logistique.

La croissance des secteurs de l’agroalimentaire et des biens de consommation est un puissant vecteur de transformation et de sophistication de la logistique africaine et représente une opportunité d’affaire pour le privé. De nouveaux opérateurs s’installent ou développent des pratiques innovantes pour répondre aux nouveaux besoins et modalités de consommation apparaissant en Afrique.

Les enjeux consistent maintenant à développer la « logistique du dernier kilomètre » et accélérer l’effort d’innovation dans ce secteur pour offrir des solutions adaptées aux spécificités du continent.

C’est Philippe Labonne, P-DG de Bolloré Ports, qui souligne que la logistique, à elle seule, ne suffit pas : « la logistique ne se limite pas aux seules infrastructures : les progrès doivent aussi être réalisés sur le front des procédures administratives et douanières qui entravent la circulation des flux de marchandises ».

Valentin Mbougueng