Venance Konan: « Plus on aide les Africains et plus ils s'appauvrissent »

Venance Konan: « Plus on aide les Africains et plus ils s'appauvrissent »

Venance Konan: « Plus on aide les Africains et plus ils s'appauvrissent »

Venance Konan, journaliste-Ecrivain, Directeur général de Fraternité-Matin, a prononcé une conférence à Paris, le 20/06/18, autour du thème: « Doit-on continuer d'aider l'Afrique ? ». Et ce, à l'initiative de l'Association « VOIX AFRICAINE », avec pour modérateur, Hervé de Charrette, Ancien ministre des Affaires étrangères, ancien député, membre du Bureau Exécutif de l'UDI.

Devant une pléiade d'invités, l'orateur a défendu la thèse selon laquelle l'Afrique a plus besoin d'aide utile que d'aide qui l'infantilise et qui ne lui profite pas. Ivoiregnerie.com vous propose son speech en intégralité.

C'est avec un immense plaisir et beaucoup d'honneur, que je me retrouve à nouveau parmi vous, à cette table, pour vous entretenir d'un sujet concernant notre chère Afrique. La planche que j'ai à vous présenter ce soir porte sur l'aide à l'Afrique. Et mon interrogation est de savoir s'il faut vraiment continuer d'aider l'Afrique, ou, si vous voulez, est ce que l'on rend vraiment service à l'Afrique en l'aidant de cette manière que nous connaissons.

En 2011, j'ai participé pour la première fois à Munich aux rencontres annuelles organisées par la Communauté Sant'Egidio. Dans mon panel, le débat tourna autour de l'aide à l'Afrique. Et quelqu'un, qui avait l'air assez exaspéré, demanda pourquoi malgré l'aide importante dont il bénéficiait depuis toujours, le continent noir avait encore du mal à décoller, pour ne pas dire qu'il ne décollait pas du tout. Chacun y alla de son explication et on fustigea la mauvaise utilisation de l'aide ainsi que la corruption des élites africaines.

Pour ma part, je me demandai si la meilleure façon d'aider l'Afrique ne serait finalement pas d'arrêter de l'aider et de laisser les Africains se débrouiller comme des adultes. Je ne comprenais pas bien pourquoi l'Afrique, ce continent pourtant si riche en matières premières et en femmes et hommes de grandes qualités, restait cet éternel grand corps malade sur qui aucune thérapie ne marche. Je ne pouvais pas me résoudre à admettre que le problème viendrait de ce que le continent serait peuplé de gens tarés, de gens génétiquement moins intelligents, comme une certaine idéologie qui n'a pas disparu, loin s'en faut, tend à le faire croire. Je ne pouvais pas l'accepter.

D'où venait donc notre problème ? Ne viendrait-il pas plutôt de ce qu'on ne nous laisse pas nous réaliser nous-mêmes ? J'étais donc dans ces réflexions lorsque le lendemain j'ai rencontré un jeune prêtre burkinabé et une jeune femme congolaise originaire de Goma qui avaient participé au débat de la veille. Le jeune prêtre me dit : « j'ai beaucoup apprécié ce que vous avez dit hier sauf ce que vous avez dit sur l'aide. » Je lui ai demandé si pour lui l'Afrique devait toujours tendre la main. Il m'a dit « non, ce n'est pas ce que je veux dire. Sur le fond vous avez raison, mais il y avait dans la salle des représentants de tous ceux qui nous permettent, à nous religieux, de venir en aide à nos populations. Et plusieurs d'entre eux n'ont pas apprécié que vous disiez que l'Afrique doit se passer de l'aide. Ce sont des gens de bonne volonté qui se dévouent pour nous, et je pense que c'était déplacé de leur dire comme ça, en face, que l'Afrique devrait se passer de leur aide. »

La jeune Congolaise de son côté me fit remarquer que sans l'aide d'une dame dont l'organisation lutte contre le sida et qui était intervenue la veille, son pays se serait probablement vidé d'une bonne partie de sa population. J'avoue que depuis lors, je n'ai pas arrêté de méditer sur ces paroles. J'avais là en face de moi deux personnes, deux Africains, qui sont persuadés que l'aide est tellement vitale pour l'Afrique qu'évoquer son arrêt est presqu'une hérésie, une insulte aussi bien aux receveurs qu'aux donateurs. Il y avait aussi, comme ils me l'ont dit, des donateurs européens, fâchés qu'un Africain leur dise en face qu'il faudrait arrêter d'aider l'Afrique.

Alors, l'Afrique ne peut vraiment pas se passer d'aide ? L'aide donnée à l'Afrique lui fait-elle du bien ? Commençons par la première interrogation : l'Afrique ne peut-elle vraiment pas se passer de l'aide des autres ? Ils sont nombreux à le croire. Il y a ceux qui, ici ou ailleurs, sont réellement convaincus que les Africains sont moins intelligents que les autres peuples, notamment les Blancs, ce qui explique qu'ils ne soient pas capables de se prendre en charge et qu'il soit du devoir des Blancs de s'occuper d'eux : le fameux fardeau de l'homme blanc.

Tout le monde connaît le fameux discours de Jules Ferry du 28 juillet 1895 à l'Assemblée nationale française : « les races supérieures ont le devoir de civiliser les races inférieures. » Plus près de nous, le général de Gaulle avait dit lors d'une conférence de presse le 10 novembre 1959 : « il est vrai que pendant longtemps l'humanité a admis -je crois qu'elle avait raison- que pour ouvrir à la civilisation des populations qui en étaient écartées, de par les obstacles de la nature ou leurs propres caractères, il était nécessaire qu'il y eut pénétration de la part de l'Europe occidentale, malgré quelques fâcheuses péripéties. »

Il y avait donc la CIVILISATION, qui était détenue par les peuples occidentaux, et ceux qui en étaient dépourvus, à savoir entre autre les Africains. Cette idée que l'Afrique serait dépourvue de civilisation n'est pas seulement ancrée dans des esprits d'ici. Ils sont nombreux, ceux de chez nous à le penser aussi, et à être persuadés que l'Europe a sauvé l'Afrique en la « civilisant » par la colonisation. Ce qui fait de cette colonisation quelque chose de bénéfique pour nous.

Ainsi les crimes de la colonisation, l'avilissement de l'homme noir, la destruction de sa culture, tout cela fait juste partie des fâcheuses péripéties dont parle le général de Gaulle. Dès lors, il est tout à fait naturel que ceux de la race supérieure, ou les civilisés si l'on veut, nous prennent en charge. A côté de ceux-là, il y a les personnes, d'ici ou de là-bas, qui sont persuadées de leur côté, par certaines religions, que l'homme noir a été maudit par un certain Dieu que l'on trouve dans des livres sacrés. Pour ces personnes, l'homme noir a été damné ad vitam aeternam, et il n'y a donc rien à faire pour lui.

Il sera toujours inférieur à l'homme blanc ou à l'Arabe, lequel ne peut que l'aider par charité, à ne pas trop souffrir sur terre, et, par la pratique de la religion ainsi que par sa soumission, à trouver une petite place auprès de lui ou plutôt derrière lui, au paradis. Nombreux sont les religieux d'Europe qui par charité chrétienne, consacrent leurs vies à ces pauvres Africains qui sans eux, ne connaîtraient jamais le vrai dieu. Et ces hommes et ces femmes sont convaincus que leur propre place auprès de dieu dépend de ce qu'ils auront fait pour aider ces pauvres Noirs. Vous comprenez que pour ces hommes et femmes, les priver de la possibilité d'aider, c'est chercher à leur fermer la porte du paradis.

A côté de toutes ces personnes il y a ceux qui ne croient pas une seule fois que l'Africain soit inférieur de quelque manière que ce soit à qui que ce soit, mais qui restent persuadés, comme le dit Axelle Kabou, que le développement de l'Afrique est d'abord une affaire de Blancs. Dans son livre publié en 1991 intitulé « Et si l'Afrique refusait le développement », elle écrit ceci : « les Africains restent largement persuadés que leur destin doit être pris en charge par des étrangers. Et que les prétentions civilisatrices de l'Occident ne s'arrêtent pas avec les indépendances. » Plus loin elle ajoute : « L'Afrique noire reste profondément humiliée par l'idée même de développement, considérant que c'est une tâche qui relève légitimement des obligations du colonisateur. »

Lorsque l'on ne s'inscrit dans aucun de ces courants de pensée, quelle réponse peut-on apporter à notre interrogation ? Ma réponse à moi est que ces courants de pensée se sont imposés sur presque tout le continent, chez une majorité d'Africains, au point où une grande partie d'entre nous croît de bonne foi que sans aide, nous ne pouvons rien faire, rien être. Mieux, nous nous sommes persuadés que l'aide nous est due. C'est ainsi qu'aujourd'hui, nous nous croyons incapables de faire quoi que ce soit sans tendre la main. Ainsi nous ne pouvons plus organiser une quelconque activité culturelle, aucune élection, aucun colloque, même construire de simples latrines, sans demander l'aide de l'Occident.

Dans mon livre, je parle de ces quatre latrines que j'avais vues au Bénin, au bord du lac Ahémé sur lesquelles il était écrit fièrement « financement : coopération française. » De même, j'avais vu en Côte d'Ivoire, une autre opération de construction de latrines qui était financée par la coopération européenne. Il y a quelque temps, j'ai vu sur internet, un débat sur une chaîne de télévision de chez vous, où quelqu'un a dit, parlant de l'Afrique : « de là à dire qu'elle se prenne en main et ne plus attendre d'aide de l'extérieur, vous savez que si l'on arrête de donner la becquée à un oiseau qui ne sait que la recevoir. »

Oui, on nous voit et nous nous voyons aussi comme des oisillons à qui la mère doit donner à manger sans qu'ils ne fassent d'autre effort qu'ouvrir le bec. Dans certaines régions de nos pays, des ONG donnent presque tout aux paysans. Et le plus souvent, on ne se donne même pas la peine de savoir si ce que l'on donne correspond vraiment aux besoins des populations qui reçoivent. Et nous, nous ne réalisons pas la situation profondément humiliante dans laquelle nous nous sommes ainsi placés.

Une large catégorie d'Africains, à force de croire que ce sont les autres qui doivent tout faire pour lui, ne réalise pas qu'elle s'est enfermée dans un cercle vicieux qui ne peut jamais le conduire à son développement. Comme par hasard, la relative forte croissance que l'Afrique a connue au cours de la dernière décennie s'est faite pendant que, dans le même temps, l'aide au développement diminuait. Qui plus est, plusieurs études y compris d'institutions sérieuses comme la Banque africaine de développement, montrent que la croissance africaine de la dernière décennie n'est pas fondamentalement le fait des concours extérieurs, mais est d'abord domestique. Pour répondre donc à la première question : l'aide au développement n'est pas vitale pour l'Afrique ?

Personne ne sauvera l'Afrique à la place des Africains.

Et cela m'amène à la question de savoir si l'aide donnée à l'Afrique lui a fait du bien. Les résultats sont là sous nos yeux, implacables. Plus on aide les Africains et plus ils s'appauvrissent. Et plus ils ont envie de sauter dans la première pirogue pour traverser la Méditerranée quel qu'en soit le prix. Quelle aide donne-t-on à l'Afrique ? Il y a celle donnée par des particuliers, des associations, des religieux, des ONG sur lesquelles je ne vais pas trop m'étendre, même si certaines associations et ONG ont fait de l'aide leur profession, et qu'elles disparaîtraient si cette aide venait à disparaître.

Je m'étendrai plutôt sur l'aide des Etats et des institutions internationales telles que l'Union européenne, le FMI, la Banque mondiale, ou la Banque africaine de développement. En quoi consistent les aides d'Etat à Etat ? C'est beaucoup de prêts et quelques dons. Selon les modes de calcul, l'Afrique aurait reçu entre trente et cinquante milliards de dollars d'aide. D'autres parlent de plus de mille milliards d'aide reçue par le continent depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Mais selon un rapport publié par une quinzaine d'ONG en 2014, 134 milliards de dollars entrent en Afrique chaque année sous diverses formes, pendant que 192 en sortent. Je ne m'étendrai pas sur les chiffres.

Ce qui compte ici est de savoir à qui profitent ces aides. Elles profitent prioritairement aux pays donateurs pour qui l'aide n'est rien d'autre, en fin de compte, qu'un investissement. Il n'y a que les Africains qui ne comprennent pas que les Etats ne font pas de la philanthropie, et que les classes politiques qui sont élues en Europe le sont pour travailler à améliorer le niveau de vie de leurs populations, leur donner du travail. Qui d'autre ensuite profite de l'aide ?

Citons mon ami Laurent Bigot, ancien diplomate français qui connaît bien le sujet : « l'aide publique au développement est d'abord un business qui fait vivre des dizaines de milliers de fonctionnaires internationaux et nationaux, mais aussi une myriade de consultants. Ils ont en commun un objectif : ne pas scier la branche sur laquelle ils vivent grassement. J'ai toujours été fasciné par l'irresponsabilité que génère l'argent de l'aide publique au développement. C'est l'argent de personne. Tout le monde se comporte comme si c'était de l'argent créé ex nihilo. Les bailleurs sortent pourtant ces sommes de la poche de leurs contribuables, mais n'ont aucune exigence sur l'utilisation.

Les bénéficiaires n'ont guère plus de considération pour ces sommes (parfois folles) qui tombent dans leur escarcelle sans grand effort (on se demande d'ailleurs s'il n'y a pas une prime au mauvais élève.) Le Mali est à cet égard, le meilleur (ou le pire) des exemples. Plus les autorités faillissent, plus l'argent coule à flot. Cette irresponsabilité généralisée est bien illustrée par l'UE puisque le seul critère qui compte, c'est le taux de décaissement de l'aide. L'efficacité ? Peu importe. Je n'évoquerai pas les frais de fonctionnement de tous ces programmes (salaires, logements, et protection des expatriés, flotte de voitures 4X4.) ni la course effrénée aux per diem, ces indemnités journalières que versent les bailleurs aux fonctionnaires locaux pour participer aux missions, ateliers, séminaires et autres joyeusetés. Il y a même des ministres qui réclament leur per diem pour inaugurer tel ou tel équipement financé par l'aide internationale. »

Il en est de même pour l'aide des institutions financières internationales. Là aussi, il s'agit de quelques dons, et de beaucoup de prêts. Ecoutons ce qu'en dit l'économiste zambienne Dambisa Moyo qui a consacré un livre dont le titre est « l'aide fatale : les ravages de l'aide inutile et de nouvelles solutions pour l'Afrique » sur le sujet : « Il existe en premier lieu une véritable contrainte de prêter. La Banque mondiale emploie 10 000 personnes, le FMI plus de 2500 ; il faut en ajouter 5000 pour les autres agences des Nations Unies, ajouter les employés d'au moins 25 000 organisations non gouvernementales enregistrées, des organisations de bienfaisance privées, et l'armée des personnels des agences gouvernementales chargées de l'aide. Au total, cela représente un demi-million de personnes, soit la population du Swaziland. L'aide est leur gagne-pain, comme elle l'est pour les fonctionnaires qui la reçoivent (et la détournent.) »

Est-il besoin d'ajouter que l'aide entretient la corruption des élites et qu'au fond, elle profite à tous, sauf à ceux qui en ont le plus besoin ? Avant d'être assassiné en 1987, Thomas Sankara, le père de la révolution burkinabè avait dit : « nous encourageons l'aide qui nous aide à nous passer de l'aide. Mais en général la politique d'assistance et d'aide n'aboutit qu'à nous désorganiser, à nous asservir et à nous déresponsabiliser. » J'ai parlé plus haut des latrines qui ont été construites avec l'aide des coopérations française et européenne au Bénin et en Côte d'Ivoire.

Y a-t-il meilleure façon de se déresponsabiliser que d'attendre que ce soit les autres qui viennent construire des WC pour vous quand vous avez toutes vos capacités intellectuelles et physiques ? C'est à cela qu'a abouti la fameuse aide à l'Afrique. Les Africains doivent ouvrir les yeux et comprendre qu'il est temps pour eux de se prendre en charge. La responsabilité de développer leurs pays, de faire en sorte que leurs populations vivent dans des conditions décentes leur incombe en premier lieu. Jamais un pays n'a développé un autre à la place de ses populations.

Les Africains ne vont pas rester ces éternels gamins, ces éternels oisillons à qui les autres doivent toujours donner la becquée. Les défis auxquels toute l'humanité doit faire face actuellement sont tels que le temps où les autres vont totalement les laisser tomber n'est pas loin. Parce que les autres auront d'autres chats à fouetter que de tenir par la main un peuple qui refuse de grandir. Les Asiatiques ont été aussi colonisés que les Africains. Comment font-ils pour tenir debout ? C'est parce qu'ils ont eu foi en eux. Il est temps que les Africains apprennent à avoir foi en eux-mêmes. Je crois qu'une bonne partie de nos problèmes vient de là. Nous avons perdu foi en nous-mêmes, et nous nous sommes totalement dévalorisés. L'Africain est victime de ce que l'historien et théologien camerounais Engelbert Mveng, cité par Daniel Etounga-Manguelle dans son livre « peut-on guérir d'une crise de civilisation ? » appelle la pauvreté anthropologique qu'il définit ainsi : « une espèce de dévalorisation globale des richesses de notre être et de notre historicité, une démonétisation vitale de nos cultures, de nos civilisations et de nos arts de vivre, comme si tout d'un coup, rien en nous ne représente plus quelque valeur que ce soit dans le concert des richesses des peuples.

Rien, sauf notre force de travail physique qui sera utilisée comme la force des bêtes de somme dans la « marchandisation » des êtres humains où nous perdîmes notre statut d'humain. » Il est vrai que l'intérêt de la vie en société est la possibilité de s'entraider. Mais la dignité de chacun est de chercher d'abord à résoudre soi-même ses problèmes avant de demander l'aide des autres. Il n'y a aucune dignité à dépendre totalement des autres, surtout lorsque l'on dispose de toutes ses facultés. Et le jour où les Africains chercheront à trouver eux-mêmes des solutions à leurs problèmes, ils seront étonnés de découvrir ce dont ils sont capables.

Comprenons-nous bien : lorsque nous parlons de solutions africaines aux problèmes africains, loin de nous toute idée de repli autarcique. Il fut un temps, en effet, où l'on avait peur de parler de développement endogène, parce qu'on était aussitôt traité de nostalgique du passé. Et pourtant, le développement de l'Afrique sera endogène ou ne sera pas. Rappelons-nous cette fameuse phrase du savant burkinabé, Joseph Ki-Zerbo : dormir sur la natte des autres, c'est comme si on dormait par terre. Car, le jour où le propriétaire de la natte décide de la récupérer, on se rend bien compte de l'inanité d'une telle solution axée sur le bon vouloir d'autrui.

Il nous faut agir, et arrêter de tendre la main. Fort heureusement, ils sont de plus en plus nombreux, les Africains qui se battent au quotidien, réussissent leurs entreprises, et n'attendent pas qu'on leur vienne en aide. C'est cette génération d'Africains debout que nous voulons pour transformer les innombrables potentialités de l'Afrique en richesses effectives au profit de ses habitants. Pour que cette génération prospère davantage et atteigne une masse critique, il importe que les élites dirigeantes africaines, elles également, changent radicalement de politique en faisant leur ce credo cher au penseur burkinabè : on ne développe pas un pays, un pays se développe. Et cela, nous l'ajoutons, en comptant d'abord sur ses propres moyens. D'aucuns pourraient me rétorquer que l'Afrique ne dispose pas de suffisamment de ressources financières domestiques pour financer son développement et que les concours extérieurs, sous diverses formes, resterons indispensables. Permettez-moi, en guise de réponse à ce courant de pensée dominant mais en porte-à-faux avec les faits, de convoquer ici, un économiste-financier gabonais, M. Mbeng Mezui, cadre à la Banque africaine de développement, qui a commis l'année dernière un livre vibrant intitulé Financer l'Afrique, qui bat en brèches les théories sur la prétendue modestie des financements africains, tout en démontrant que l'Afrique est en réalité un créancier net du reste du monde.

Malgré un secteur informel dominant, nous informe-t-il dans son livre, on estime les fonds propres de catégorie 1 des banques commerciales africaines de l'ordre de 100 milliards de dollars et une capacité de crédits bancaires de plus de 1 000 milliards de dollars, disponibles sur le continent. Le total des actifs de l'industrie des assurances est d'environ 300 milliards de dollars EU avec 71 et 8,3 milliards de dollars pour les primes collectées par les compagnies d'assurance et de réassurance respectivement. Il y a plus de 400 milliards de dollars EU pour les fonds de pension et 121 milliards de dollars pour les fonds souverains.

L'industrie de la gestion d'actifs regorge d'environ 634 milliards de dollars. La collecte des impôts et taxes est maintenant d'environ 520 milliards de dollars par an, etc. Il n'y a donc pas de malédiction du Noir qui tienne, pas plus qu'il n'existe pas de fardeau de l'homme blanc qui devrait saisir à chaque fois l'Africain par la main pour lui donner des subsides. Il y a juste une révolution mentale à opérer pour que les Africains reprennent confiance en eux-mêmes et bâtissent leur destin sans complexe.

Je voudrais terminer en vous citant ce passage d'un discours de Frederick Douglass prononcé le 26 janvier 1865 à Boston : « Les Américains ont toujours été anxieux de savoir comment se comporter avec nous. Tout le monde s'est posé la question et a exigé une position urgente des abolitionnistes : « que devons-nous faire avec les Noirs ? » J'avais la solution dès le début. Ne faites rien ! Ce que vous avez déjà fait a créé notre malheur ! Ne faites rien de nous ! Si les pommes ne parviennent pas à rester sur l'arbre d'elles-mêmes, si elles sont rongées en leur cour par les vers, si elles sont matures, précoces et disposées à tomber, laissez-les tomber ! Je ne suis pas pour qu'on les accroche ou les attache à l'arbre de quelconques façons, respectons la volonté de la nature, si elles ne tiennent pas à l'arbre, laissons-les tomber ! Et si le Noir ne peut pas se tenir sur ses jambes, laissez-le tomber également. Tout ce que je vous demande, c'est de lui laisser une chance de se tenir debout, sur ses propres jambes. Laissez-le tout seul ! » Remplacez simplement les mots « Américains » par « Européens » et « Noirs » par « Africains ».

Je vous remercie.

Source : lebanco.net