Venance Konan, à propos de son dernier livre : " J’ai des messges à faire passer "

Venance Konan, à propos de son dernier livre : " J’ai des messges à faire passer "

 

Vous êtes journaliste, écrivain, vous êtes à ce Salon pour présenter vos œuvres, surtout le dernier ouvrage qui vient de sortir…

Je suis directeur général de Fraternité Matin, un groupe de presse à Abidjan. Je suis aussi écrivain. J’ai été grand prix littéraire d’Afrique noire avec mon livre Edem Kodjo, un destin. C’est mon dernier livre qui vient de sortir. Il parle de la problématique de l’aide. Cette aide qui a tant infantilisé l’Afrique. Au point que beaucoup d’Africains sont convaincus que sans aide, sans les autres, ils ne sont rien, ne peuvent rien faire, qu’on ne peut pas organiser un petit évènement culturel, ni une élection sans tendre la main. Mais moi, je suis convaincu que nous avons les capacités de faire beaucoup de choses par nous-mêmes. C’est un peu la problématique de mon livre.

 

Vous venez de lancer un essai… On l’a vu partout, pourquoi avoir choisi ce titre ?

J’ai été choqué lorsque j’ai aperçu un jour un Wc traditionnel sur lequel il était marqué : Financement de la coopération française. Je me suis demandé si nous ne pouvions pas le faire nous-mêmes. J’ai vu cela, il y a peut-être huit ans. Et puis l’année dernière, j’ai vu en Côte d’Ivoire, une opération pour amener les gens à construire des Wc traditionnels dans leur village. Je me suis dit : « Enfin, Soyons un peu sérieux ! Même pour ça aussi, il faut qu’on tende la main ? Cela m’a fait beaucoup réfléchir. Je me suis dit qu’il est temps que nous nous prenions en charge ; que si nous voulons nous faire respecter des autres, il y a un certain nombre de choses que nous ne devons plus demander. Bien sûr que nous avons besoin d’aide. Mais on te respecte par rapport à tes capacités à te prendre toi-même en charge. En interrogeant notre histoire, on se rend compte qu’il y a eu effectivement des périodes où l’Afrique noire a été une civilisation brillante et a même influencé certaines civilisations. On sait que la civilisation grecque a été influencée par la civilisation égyptienne qui était noire. Quand on voit les restes de certaines civilisations, certains royaumes, certains empires qu’on a connus, on comprend qu’on a eu un passé brillant. On a été vaincu dans l’histoire, certes. Mais cela ne doit pas faire de nous, des éternels esclaves des autres. Il est temps qu’on s’élève, pour qu’on nous respecte un peu. C’est un peu cette réflexion-là qui m’a amené à écrire ce livre.

Comment le livre a-t-il été perçu ?

Il suscite beaucoup d’intérêt, beaucoup de débats ici au Salon du livre (de Paris). Les ventes suivent aussi et ça me fait plaisir.

Vous avez été grand reporter à Fraternité Matin. Vous êtes aujourd’hui Directeur général de Fraternité Matin. Vous êtes aussi écrivain. A combien d’ouvrages en êtes-vous à ce jour ? Par ailleurs, quelle est votre source de motivation et quel est réellement le message que vous voulez passer ?

Je dois être à mon dixième ou onzième livre. Il y en a que j’ai écrit seul. Et d’autres que j’ai écrit avec d’autres personnes.

Je suis journaliste, certes, je ne cherche pas quelque chose de particulier. J’ai simplement des messages à faire passer…

 

Les différentes problématiques du livre

Ce livre est subdivisé en deux parties. J’ai intitulé la première partie, le noir couché. Elle raconte les problèmes des temps actuels. Depuis l’esclavage, la colonisation. On tend à croire que l’état normal de l’Africain, c’est d’être couché, d’être piétiné par les autres, d’être le dernier de la classe. Mais j’explique à travers l’histoire que nous avons une belle histoire ; une histoire qui a fortement influencé d’autres civilisations. Quand on lit par exemple les livres de Cheick Anta Diop, on s’en rend compte, l’Égypte pharaonique était noire. La civilisation grecque est partie d’Égypte. Mais comme toute autre civilisation, il y a une apogée et un déclin. Nous avons été vaincus et nous avons été faits esclaves. Et on nous a mis dans la tête que notre état naturel, c’est d’être des esclaves. Eh bien, non ! L’Afrique a eu de grands empires. L’empire du Mali, le Monomotapa, Chaka Zulu, le Zimbabwe, etc. Cela montre que nous avons eu de grandes civilisations. Mais la deuxième partie, justement, s’appelle comment se tenir debout ?

J’explique que nous pourrons nous tenir debout le jour où nous allons nous libérer spirituellement, culturellement et créer une école qui soit adaptée à nos besoins. Et enfin, lorsque nous aurons réellement foi en nous-mêmes. A partir de ce moment-là, nous serons capables de nous lever et affronter tous les défis qui nous attendent avec les autres peuples sur un pied d’égalité.

Comment comptez-vous vous faire entendre ?

En faisant connaître mon livre, en invitant les Africains à le lire. Je pense que s’ils le lisent, certains adhéreront à ce que je dis. Je ne ferai pas l’unanimité, mais je pense que certaines personnes y adhéreront. Et peut-être qu’ils amélioreront mon livre. Ils y apporteront leurs réflexions. C’est un débat qui est ouvert.

J’espère que beaucoup de gens y participeront pour l’avenir de notre pays. Moi, j’ai honte d’être méprisé. Or, je ne crois pas être plus bête que les autres. Je ne veux plus accepter cela.

Nous devons arrêter de nous faire passer pour des victimes. Notre histoire ne s’arrête pas à l’esclavage et à la colonisation. Il y a eu cela, mais il y a eu autre chose également.

Arrêtons de pleurnicher tout le temps et de tendre la main tout le temps. Levons-nous et tenons-nous debout, nous en avons les moyens

Il y a des choses qui nous empêchent de nous tenir debout. Je veux qu’on laisse tomber ceux qui ne se croient pas capables de se tenir à la verticale. Qu’on ne se croit pas obligé d’aider tout le temps l’Africain. Si on ne se croit pas capables de se tenir debout nous-mêmes, qu’on nous laisse tomber.

Mais attention, ne nous empêchez pas de nous tenir debout.

C’est une phrase qui a été dite par un Noir américain en 1865. Il s’appelle Frédéric Douglas. Il a dit : « Les abolitionnistes me demandent tous les jours, qu’est-ce qu’on peut faire pour les nègres ? Et je leur ai dit, c’est vous qui nous avez mis dans cet état. Tout ce que je vous demande, c’est de nous laisser tomber, si on ne peut pas se tenir debout. Mais seulement, ne nous empêchez pas de nous tenir debout ». J’ai estimé que cela illustre notre histoire aujourd’hui. L’histoire des Africains à qui on est en train de mettre dans la tête que sans l’aide des autres, ils ne peuvent rien faire. On est tellement attaché aujourd’hui à cette aide-là, que pour des choses banales comme construire des Wc, on se croit obligé de tendre la main. Pour organiser un festival, on va venir solliciter l’aide de l’Union européenne, la Coopération française ou la Coopération allemande. Pour nos élections, on va solliciter de l’aide. Et pourtant, on dépense des milliards dans des choses plus futiles.

Quand je vois le siège de l’Union africaine à Addis Abeba. C’est la Chine qui l’a construit pour les Africains. Nous sommes 54 Etats africains indépendants. Aussi pauvres que nous soyons, ne pouvons-nous pas construire un immeuble, aussi grand soit-il ? Mais non, on préfère tendre la main à la Chine. Et vous voulez qu’on soit indépendant par rapport à la Chine ? Aujourd’hui, on se plaint qu’ils ont mis des micros dedans pour nous espionner. Ah bon, ça nous surprend ?

La Voix de la diaspora