UPF/46e Assises de Conakry: Nécessité de réinventer le modèle économique

UPF/46e Assises de Conakry: Nécessité de réinventer le modèle économique

Le ministre d’Etat, ministre de la Justice, Garde des Sceaux, Cheick Sako, a ouvert les travaux avec à ses côtés le président international de l’Upf, Madiambal Diagne, Tidiane Diop, représentant de la Secrétaire générale de l’Oif, le président de la section de Guinée, Ibrahima Koné, Jean Kouchner, secrétaire général de l’Upf. La section ivoirienne a envoyé une délégation de 13 membres conduite par son président, Adama Koné.

Le thème des présentes assises annuelles est: « Journalisme d’investigation: enjeux, limites et perspectives ». La notion d’investigation (ou enquête) a été définie par Pierre Ganz, journaliste, vice-président de l’Odi (France) comme « l’action de suivre à la trace, de rechercher attentivement quelque chose ». C’est aussi « rechercher minutieusement, systématiquement quelque chose ». Et « l’investigation est faite par le policier, le juge, le médecin, le journaliste ».

Cependant, tous ces acteurs ne font pas le même métier. La constatation est faite, aujourd’hui, que ce type de travail intéresse moins les médias à cause de son coût élevé, des risques auxquels s’exposent les journalistes et la paupérisation des journalistes et des organes de presse et des médias. D’où l’intérêt de la problématique soumise à réflexion aux journalistes et patrons de presse à Conakry.

Le journalisme d’investigation est plus que nécessaire

Justement, lors de la conférence d’ouverture animée par Julia Cagé, professeur d’économie, sciences Po Paris (France) que du premier débat qui s’en est suivi, il a été admis la nécessité de réinventer « le modèle économique » des médias face aux menaces de toutes sortes, estime Romaine Jean (Suisse). Elle ajoute que ces menaces sont traditionnelles (arrestations, emprisonnements, confiscation de matériels, assassinats) mais aussi nouvelles (la concurrence des réseaux sociaux en rapport avec le développement des Tic, les fausses informations, la rumeur, la paupérisation et la concentration des journalistes).

Pour Romaine Jean, il est question pour le journaliste de réfléchir à « comment faire passer sa voix » dans cet environnement. Et cela passe par le journalisme d’investigation. « Il faut réinventer le modèle économique. Le journalisme d’investigation est plus que nécessaire et le journalisme est menacé. Mais il faut aussi savoir qu’il n’y a pas de bon journaliste sans sécurité économique. La profession de journaliste est précarisée et le modèle de bon journaliste est un peu révolu à cause de la course à l’aspect commercial », a-t-elle dit.

Le Président directeur général (Pdg) du groupe marocain EcoMédias, AbdelmounaIm Dilami, a ajouté que le patron de presse a un intérêt dans le journalisme d’investigation car il apporte un plus au média. « C’est indispensable, surtout pour la presse et vu la multiplication des médias », a-t-il dit. Il le définit comme « une information pas souvent disponible et qui vient pour dénoncer et critiquer, loin du travail routinier ». Le conflit ou l’incompréhension entre le journaliste et le juge nait du fait que pour le juge, « un fait n’est établi que lorsqu’il a fait l’objet d’un jugement ». La solution utilisée au Maroc devant les tribunaux, c’est « une stratégie de défense basée sur la forme seulement et non sur le fond ». Et cela lui permet de gagner 80% des procès.

Le ministre de la justice de la Guinée, qui a salué les avancées notamment la dépénalisation de loi sur la presse depuis 2010 - même si les relations avec le secteur des médias est tendu en ce moment – le juge tient à des principes fondamentaux qui ne doivent pas être violés au nom du principe de la liberté de l’expression revendiquée par les journalistes. Ces principes sont : « le secret de l’instruction de l’enquête et la présomption d’innocence », estime Cheick Sako.

« Il ne faut pas oublier que le magistrat instruit à charge et à décharge. Celui qui est accusé de crime est présumé innocent tant qu’il ne passe pas devant les tribunaux. Ce sont des principes cardinaux à respecter ». Il estime que ce qui est valable pour les journalistes concernant « la protection des sources » et aussi valable pour le secret de l’instruction. Par ailleurs, il a déconseille la médiatisation à outrance des actions de justice pour éviter d’exposer les victimes. A ne pas aussi confondre la convocation d’un journaliste par le juge et son interpellation et arrestation.

Créer des sociétés de médias à but non lucratif

Pour Julia Cagé, il est plus que jamais temps de « sortir les médias de la logique du marché, du lucratif, du profit pour opter pour des choix non lucratifs. Il faut donc aller vers des sociétés des médias à but non lucratif. Les actionnaires des médias doivent être des journalistes et des lecteurs. Et en cas d’ouverture aux actionnaires extérieurs, il ne faut pas donner de pouvoir consistant à ces nouveaux actionnaires », a-t-elle recommandé. Elle préconise aussi la création de « fondation » pour soutenir les médias car leurs présence est importance à l’existence de la démocratie.

Le premier travail de transparence des journalistes consiste à « définir la structure de l’actionnariat des médias » qu’elle résume en deux termes: « complexité et transparence ». Elle a déploré le fait que plusieurs actionnaires des médias tirent leurs revenus du trafic d’armes et de la vente de drogue ou que de grands groupes économiques imposent leur loi aux médias au risque de leur refuser les recettes publicitaires.

Si ce n’est des acteurs politiques qui en font une couverture. « C’est dangereux car cela donne lieu à la censure et à l’autocensure » sur le traitement de certains sujets axés sur l’économie ou les Tic, a-t-elle dit.

Christophe Champin, directeur adjoint chargé des contenus numériques à Rfi a indiqué que les réseaux sociaux ne sont pas des médias mais « des tuyaux » et que toute information mérite d’être vérifiée avant diffusion. Il a révélé que le Web documentaire sur « L’assassinat de Thomas Sankara », ancien Président du Burkina Faso, qui est passé par épisode sur Rfi a attiré 270 mille visiteurs.

Une satisfaction pour son groupe. Comme les autres panélistes, il a considéré « les réseaux sociaux comme une menace pour la démocratie ». En plus, il est difficile de les contrôler car leurs codes ne sont pas maîtrisables. D’où l’obligation pour les médias de fournir davantage d’effort pour s’imposer.

PAULIN N. ZOBO
Depuis la Guinée