Théâtre: Réappropriation de la mystique d’une attente

Théâtre: Réappropriation de la mystique d’une attente

Tiburce Koffi a décidé de faire venir Godot. Le fameux personnage du dramaturge irlandais dont le retour a été suspendu par Samuel Beckett au lendemain de la guerre 39-45 qui proposait un travail inattendu, insolite et audacieux pour l’époque. Plus de 60 ans plus tard, le dramaturge ivoirien le convoque en trois actes.

Un travail audacieux également. Pour construire et réussir cet accueil de l’espéré sur les bords de la scène de la lagune Ebrié, au Palais de la culture Bernard Dadié, une jeune troupe ivoirienne qui entend donner âme aux mots, nouveau rayonnement aux actes. C’est possible apparemment. La troupe se nomme Yrouflê et est né de la rencontre d’un terme gourou (Yrou désignant soleil) et d’un adjectif baoulé (ouflê qui signifie nouveau).

Défi ? Besoin plutôt de rompre le silence pesant, l’attente interminable.

Sur scène alors, trois bancs disposés en triangle. Celui de la pointe est tout près d’un arbuste sur lequel pend une corde nouée pour candidat à l’autolyse. Chacun des bancs  accueille progressivement des personnages: Estragon, Vladmir et ...

La parole au silence

Le premier prétend sans vraiment le prouver, être poète et musicien. Il aime les arts sans plus. Des artistes bohèmes, il a les haillons déclenchant non pas l’odeur anisée de la plante éponyme, mais l’odeur de fétidités. Il tient d’eux aussi, de long moment de vacuité.

Vladmir est russe rusé, en tenue de mise. Tous les deux attendent le retour de Godot. Longtemps. 14 minutes 44 secondes de silence ouvrent la pièce. Un silence meublé par de la communication non verbale : geste, mime, variation d’expression faciale etc. Tout est supporté par un public qui débauché de son statut de spectateurs se meut en acteurs qui attendent eux aussi…Godot. Et Vladmir et Estragon et le public ensemble, ne vivent pas, ils espèrent de vivre cette venue.

Dans l’attente commune, un équilibre tant à s’établir entre leurs rythmes. Estragon, le plus lent entrainé, va plus vite qu’isolé. Le plus rapide Vladmir qui était dans la progression obligé de s’arrêter pour ralentir le geste entamé, semble rattrapé. Il est tiré par le plus lent désormais qui lance le refrain ; « Tout ça c’est toi me l’a appris ».

Quand enfin arrive Godot annoncé par un petit garçon, il n’avance pas à visage découvert, pour en avoir plusieurs. Il a plusieurs faces, autant dire facettes. Il est une sorte de ramassis d’émotions écartelé entre le divin et l’humain, le sacré et le banal, le lointain et le proche. Il est là, on attend qu’il se passe quelque chose. Rien. Il ne se passe rien. Et c’est ce rien du tout qui fait tout le charme de cette attente. Surtout qu’à certains  moments leur impatience n’a semblé se réduire qu’à aucune attente, sinon à n’être le produit que de simples désaccords et désharmonies. Sur des questions religieuse, philosophique, le suicide, le pouvoir, la presse.

L’impatience et les désaccords se métamorphosent en exaspération et déclenche une colère tempérée car Godot finit par agacer les « attendeurs ». Mais ces derniers n’arrivent pas à le quitter, à intégrer son départ et restent suspendus sinon à la nostalgie de l’attente  du moins à la quête de sa nouvelle venue. Ils vivent avec lui sans savoir s’il est là, parti ou de retour.

La compagnie Yrouflê aura offert au public du palais de la culture un spectacle acceptable qui -il faut l’intégrer- est au stade expérimentale. Il a  donc souffert d’une moyenne occupation de scène par des comédiens qui semblaient la découvrir depuis trop peu. Konan Kouassi Certain qui campe Vladmir a une marge de progression dans la diction et dans la portée de voix. La voix censée sépulcrale de Godot revenant de loin n’a pas été gâtée par la technique qui a été à la traine des performances de Estragon tenu par Tié Fabrice et par la dextérité de la trompette bouchée servie par Zéphirin Nomel.

A l’abri de reproches vraies et suscitant le débat autour de thèmes diverses, l’écriture de Tiburce Koffi copule avec la philosophie, la spiritualité, la politique au sens noble de gestion de la cité. L’auteur, on voudra le garder en mémoire est à sa cinquième pièce de théâtre dont deux Meledouman et La médaille de la honte sont des adaptations des textes de Jean marie Adiaffi et Maurice Bandaman. Une troisième Le paradis infernal est lauréate du prix Rfi et avait annoncé la question de Jésus reconduite avec moins de virulence dans En rencontrant Godot. Akissi avait insulté Jésus dans Le paradis infernal.

La rencontre de soi

Écrite en période d’exil, la pièce En rencontrant Godot baigne dans la douleur, et en porte les stigmates. Celles de la rencontre avec l’âpreté du froid, de la solitude, de la découverte d’un art de rue né des vomissures des frustrations sur les murs par des jeunes : les graffitis.

L’exil permet aussi à l’auteur d’aller à la rencontre de lui-même. C’est  ainsi qu’il découvre les hautes figures de sa conscience : son cheminot de père. D’abord par un récurrent klaxon de train qui court la pièce puis par la parabole de l’homme de gare : « Le cheminot attend que le train entre en gare, qu’il se vide, des passagers qui doivent  en  descendre, qu’il les remplisse de ceux qui doivent voyager, qu’il reparte et il l’attend, de nouveau (….) le sifflet à la bouche, fidèle au rendez-vous avec le train ».

Il rencontre ce qu’est devenu ce métier embrassé en 1980 autrefois par passion. 38 ans plus tard il en livre un portrait au vitriol: « Ils (les journalistes) pullulent et prolifèrent autour de nous et de par le monde. Ils racontent des histoires qui divisent les gens parfois même des nations ; ou bien ils diffusent des drôleries de mauvais gout qui a  musent le peuple stupide qui, lui, en redemande ! On attend le journal, la dose d’insuline des imbéciles ».

Il rencontre aussi les politiques et raconte la déception qui dégouline de leurs accessions au pouvoir: « La question, c’est  qu’on ne reconnait jamais tout à fait ceux qu’on attend depuis longtemps ; parce  qu’à vrai dire on ne les connait pas vraiment. Tout le monde croit savoir de quoi il s’agit, tout le monde connaître celui qu’on attend ; mais celui qu’on attend n’est souvent pas celui qui arrive. Et celui qui arrive contrarie toujours nos raisons d’avoir attendu et fait vaciller la raison. »

L’écrivain ne lâche pas l’affaire et semble constant. L’auteur aura ici par son passage à l’Insaac marqué ses audacieux étudiants qui prouvent qu’ils ont de qui tenir en jouant sa pièce après s’être fait les dents sur Meledouman. Il marque aussi l’espace dramaturgique universelle en s’appropriant cette mystique de l’attente.

ALEX KIPRE