Showbiz/In memoriam: Symphonie (presque) achevée pour l’as N’Guessan Santa !

Showbiz/In memoriam: Symphonie (presque) achevée pour l’as N’Guessan Santa !

Figure emblématique du panthéon des instrumentistes ivoiriens, N’Guessan Santa est passé de vie à trépas, en fin d’après-midi du jeudi 23 août, des suites d’une maladie qui a valsé avec sa santé au gré de ses humeurs ces dernières années. Car, déjà, en 2010, puis en 2016, l’artiste avait eu quelques alertes.

Alertes que presque tous ses proches et artistes imputaient à sa forte charge de travail en tant que requin de studio. Aperçu par le microcosme du showbiz ivoirien, en public, pour la dernière fois, le 13 août 2018, à la faveur du lancement de la célébration des 50 ans de carrière de Justin Stanislas à Abidjan-Cocody Riviera Golf, l’artiste derrière sa légendaire timidité qui participait, tout aussi et paradoxalement, à son charme, n’affichait pourtant pas une mine patibulaire.

Même si, de source familiale, Santa sortait d’environ un mois de maladie. Une maladie que tous qualifiaient de paludisme traité entre tradi-thérapie et médecine moderne, jusqu’à ce que les examens révèlent qu’il s’agit d’une hépatite virale. C’est donc, visiblement remis de cette mauvaise passe, que le musicien sort de sa petite retraite.

Hélas, pour très peu de temps, pour ne pas dire juste une décade. La grande faucheuse aura eu raison d’un mal pernicieux pour faire retourner au père, l’as de la guitare, qui suscite, 24h après, un requiem pour ce (sur) doué de la musique.

S’il apparaît pour les plus jeunes, comme un arrangeur prolifique et débonnaire dans son antre du studio nickel de Marcory, ou encore comme lead-guitare du groupe Les Woody, cette dernière décennie, N’Guessan Santa, pour les plus avertis de la planète Musique Made in Côte d’Ivoire, affiche des états de service dignes d’un « Monument ». Bien plus, l’as Santa est aussi un faiseur de rois !

Un garçon des années Yéyé-Pop !

Natif de Bouaké, le 27 décembre 1951, N’Guessan Kouakou Hugues à l’état civil, à l’instar de toute la jeunesse branchée de l’époque des Seventies (années 70), sera entraîné dans la fièvre frénétique Pop et Yéyé. Au gré de ses affectations scolaires, le collégien, dans la tentaculaire ville d’Abidjan, sera piqué par le virus de la musique. Au gré des boums, fêtes de fin d’année et autres agapes festives.

D’Adjamé à Treichville, en passant par le Plateau et bien des contrées du pays, les week-ends sont estampillés des décibels et autres riffs de guitare des boys-bands en vogue. C’est ainsi que des groupes se font et défont. Santa qui emprunte son surnom en le rétrécissant au grand guitariste brésilien, Carlos Santana, se révèlera comme un virtuose, notamment avec le groupe New System Pop, aux côtés, notamment de Bailly Spinto, dans les années 70. Dont il assurera durant toute la décennie 80, du reste, les arrangements des plus grands succès.

Entre les « Mercatos » estivaux qui rythment les vacances, le doigt d’or est approché par les concurrents des Bozambo avec notamment Jimmy Hyacinthe, Georges Ouédraogo, Rato Venance…, mais aussi les Soul Guys, Les Fétiches, les Djinanhourous, les Djinn’s Music entraînés par un certain Pedro (Wedji Ped), collaborant avec les uns, se liant d’amitié avec les autres, mais demeurant toujours un « homme de consensus ».

C’est en tout cas ce qu’en disait, il y a une dizaine d’années, le nom moins « Monstre sacré du showbiz », lui aussi disparu, François Konian. Qui produisit, notamment en 1983 et 1985, les albums successifs de l’artiste avec son label SIIS.

Après s’être frotté à des pontes des grands studios parisiens, accompagné de grands noms de la musique africaine dont BB Manga sur la scène parisienne, au début des années 80, Santa fait son retour au bercail avec un album de belle facture, s’en suivront une bonne brochette.

Les puristes, à l’aune de solos en tremolos et autres arpèges sui generis, érigent l’instrumentiste en ombre tutélaire de l’orchestration musicale en Côte d’Ivoire. Surtout après les décès en 1981 de Jimmy Hyacinthe et d’Ernesto Djédjé en 1983.

L’alter ego de Bailly Spinto

Si tout le monde entier voit en Bailly Spinto, l’un des artistes chanteurs ivoiriens des plus doués, au plan vocal et scénique, il n’en demeure pas moins qu’il affiche un catalogue des musiques les plus élaborées. Et cette construction quasi-cartésienne de la musique de Spinto, entre variété moderne qui emprunte en rythmique au terroir et qui l’inscrit dans une universalité mélodique, porte la griffe de N’Guessan Santa.

L’artiste et son compère des années printanières qui squattaient les gradins du Centre culturel de Treichville ou du Ccf au Plateau pour voir leur idole François Lougah ou encore les ruelles de Treichville et Adjamé pour écouter Fax Clark, et qui ont entamé leur rêve ensemble avec les New System Pop, ont prouvé de 1979 à ce jour, par leur duo magique, qu’aux âmes bien nées… Bref, deux alter egos.

Entre sa voix langoureuse qui ne le rend pas moins disert pour laisser place au vibrato de sa guitare ou au gimmick de ses arrangements, N’Guessan Santa, lors du concert de la paix en 1985 au stade de Bouaké, arrive à faire vibrer le public, reprenant en chœur certains de ses refrains.

Toute chose qui en ajoute à son capital-sympathie, pour celui qui est, par trop souvent, affublé d’intello de la musique. « Lala Fouénou », « Djasso Djasso », « Mamma Nia », « Anoumakan », entre autres, sont des tubes qui résonnent encore dans les tympans de bien des nostalgiques.

L’homme au plus de 100 arrangements… Woody forever !

S’il est avéré que la musique adoucit les mœurs ainsi que l’édicte l’adage, il est tout aussi de notoriété que les grands esprits ont le partage comme Adn. Et N’Guessan Santa ne déroge pas à la règle. Non seulement il forma bien des arrangeurs qui ont la cote depuis plus de vingt ans. Citons simplement Freddy Assogba et Hervé Goly.

De la fin des années 1980 jusqu’à ce jour, de son labo musical de Marcory, Santa fut de toutes les déferlantes musicales qui ont jalonné l’histoire récente de la musique ivoirienne. De la variété au coupé-décalé, en passant par l’essor du zouglou et la mise en lumière des musiques dites tradi-modernes. Au bas mot, ce sont plus de 100 albums, singles et autres maxi-singles qui portent la griffe de l’arrangeur. Ce qui revient avec un minimum de 2  titres par single, à au moins 200 morceaux !

Après le décès de l’iconoclaste batteur, Chris de Bagnon et le départ pour une carrière solo, de Phil Azoumey, le héros-guitare du groupe Pop-rock, Les Woody qui ont repris le flambeau du genre depuis les années 90, Santa rejoint la bande « des durs gars », au milieu des années 2000 et écrit avec eux, d’autres lettres dorées de ce genre qui le porta à son éclosion artistique.

Bref, cela ne l’empêchait pas de continuer à passer des heures et des heures à la tâche au service des autres artistes, confirmés ou en devenir. Il serait donc superfétatoire d’égrener la discographie qui porte la signature de l’as des tables de mixage. Toutefois, il sied, in memoriam pour in memoriam, de revenir sur une rencontre qui a révolutionné, à un moment, l’écosystème musical ivoirien et qui accoucha d’une bombe : « Esprit » !

L’âme de « Esprit » de Tangara !

La légion ivoirienne du reggae est connue depuis le milieu des années 80 avec dans le sillage d’Alpha Blondy, Cheick Smith, Ramsès De Kimon, Ismaël Isaac…  L’abécédaire est interminable. Mais, avec objectivité, il importe de reconnaître que la révolution quasi-copernicienne du reggae a eu lieu avec Tangara Speed Ghôda, en 1992.

Dans son ascension ô combien remarquable, l’éclectique reggae-maker, à l’initiative du producteur, Séri Sylvain dont le flair de show-maker est indéniable, est mis en osmose avec N’Guessan Santa.

De leur cocon créatif, éclot une nymphe sonore. C’est cette matière brute qui a été sassée à l’incubateur du studio Nickel qui est boostée au Canada pour laisser éclore en 2000, l’album « Esprit ». Le plus abouti de Tangara. 

Qui, hélas, devancera Santa dans l’au-delà. Comme le premier, N’Guessan Santa, vit à jamais, car en tant que créateur, ses œuvres lui survivent. D’autant que les œuvres de l’esprit ne meurent jamais. Œuvres de l’esprit dont il présida, des années durant, la Commission technique dédiée au Bureau ivoirien du droit d’auteur (Burida). Salut l’artiste !

REMI COULIBALY